Colombie : « Il n’est pas facile de guérir les blessures et de pardonner »
De passage en France, Monseigneur Oscar Urbina Ortega, archevêque métropolitain de Villavicencio et président de la Conférence épiscopale de Colombie et Monseigneur Héctor Fabio Henao, directeur de Caritas Colombie, ont rencontré des membres du Conseil permanent de la Conférence des évêques de France (CEF). Le rôle de l’Église dans le processus de réconciliation nationale, le Synode de l’Amazonie, la crise migratoire vénézuélienne… ont été les sujets abordés lors de cette visite.
INTERVIEW
Quel est l’objet de votre présence en France ?
Nous venons en Europe pour rencontrer différentes conférences épiscopales (NDLR. Ils étaient la veille à Londres) et l’Église catholique dans l’Union Européenne (Comece) située à Bruxelles. Nous souhaitons qu’elles nous soutiennent dans notre travail de paix et de réconciliation en Colombie. Après les accords de paix, signés à La Havane, le 24 juin 2016, entre le gouvernement et la guérilla des Forces armées révolutionnaires colombiennes (Farcs), nous avons essayé de poursuivre ce travail de réconciliation nationale. Nous devons faire face à de nouveaux problèmes. Après plus de cinquante ans de guerre, il n’est pas facile de guérir les blessures et encore moins de pardonner. Il faut accompagner les huit millions de victimes et les anciens combattants qui doivent se réinsérer dans la société civile.
Quels sont les freins à la mise en place de l’accord de paix ?
Il faut du temps pour mettre en œuvre le dialogue. Juan Manuel Santos, l’ex président colombien en poste jusqu’en août 2018 a signé l’accord de paix avec les Farcs. Il a investi des milliards dans les domaines de la santé, de l’éducation et du travail. Les Colombiens ont élu un nouveau président Ivan Duque. Les négociations avec l’Armée de libération nationale (ELN) se sont arrêtées à cause du changement de gouvernement. Il faudra voir comment la négociation reprendra.
L’Église a-t-elle payé un fort tribu ? Quel rôle a-t-elle joué dans le processus de paix ?
De nombreux prêtres, religieux et laïcs ont été assassinés. Monseigneur Jesus Emilio Jaramillo Monsalve, l’évêque d’Arauca a été assassiné par l’ELN en 1989. Le Pape François l’a béatifié pendant son dernier voyage en Colombie (NDLR. Septembre 2017). Monseigneur Isaias Duarte, l’archevêque de Cali a été tué par la guérilla en 2002. C’est le prix qu’on a payé pour être indépendant. Ils ont tué beaucoup de monde spécialement dans la région de Villavicencio, un des territoires occupés par les Farcs. Pour les accords de paix, l’Église a eu un rôle d’accompagnement et de dialogue. Le président a écouté l’avis de l’Église. Les Nations Unies, quant à elles, ont la charge de voir sur le terrain s’il y a des confrontations ou des attaques. Ils sont les vérificateurs de la mise en place du cessez-le-feu.
En septembre 2017, le souverain pontife s’est rendu dans quatre villes différentes : à Bogota, Villavicencio, Medellin et Carthagène des Indes. Il était porteur d’un message de paix et de réconciliation. En quoi ce voyage apostolique a-t-il contribué à la réconciliation nationale ?
Le Pape est venu à la fin du conflit avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc). Il a demandé spécialement aux évêques d’accompagner tout le processus de réconciliation. C’était un appel très important. La caractéristique de cette réconciliation nationale est d’avoir mis les victimes au cœur de la rencontre. De passer de l’état de victimes à survivants. L’Eglise par le biais des organisations dont la Caritas a mis en place un cheminement pédagogique dans les écoles et les universités car je pense que la rencontre concerne tous les Colombiens.
Une loi d’amnistie des Farcs a été votée en décembre 2016. Qui concerne-t-elle ?
Nous avons mis en place un tribunal spécial pour la paix : la justice transitionnelle de paix. Un système de justice pour ceux qui ont été impliqués dans la guerre. Il faut se présenter et dire la vérité. Il y a des punitions donc ce n’est pas une amnistie au sens propre du terme. Dans ce processus de réconciliation nationale, nous avons aussi appris des autres processus de paix.
Le Venezuela connait une crise migratoire et la Colombie est le premier pays d’accueil. Comment vivez-vous cette situation ?
Le diocèse de Cúcuta est la frontière la plus vivante de l’Amérique latine. Cette situation existe depuis des années. Mais il y a depuis des semaines de nombreux migrants en Colombie. Plus de 5000 migrants traversent la frontière chaque jour mais ça reste un phénomène de migration pendulaire. Ils viennent en Colombie pour travailler puis retournent dans leur pays. La frontière est très poreuse. Au total, ce sont plus de deux millions de Vénézuéliens qui ont fui. Un million sont en Colombie mais la plupart ne veulent pas rester. Leur objectif est de se rendre en Équateur dont la monnaie officielle est le dollar, ou au Chili, un des pays les plus riches d’Amérique latine.
Vous êtes-vous rendus à la frontière colombienne ?
Il y a une semaine, Mgr Oscar Urbina Ortega s’est rendu à la frontière, à Cúcuta, l’un des points de passage entre les deux pays. Nous y avions organisé un tournoi de football appelée la « Coupe de la Foi ». Cette coupe réunissait sur le terrain 600 prêtres issus de tous les pays. Après avoir célébré la messe dans la zone frontalière, nous sommes allés dialoguer avec les migrants. C’était pour les Vénézuéliens un symbole de solidarité. Avec l’afflux de personnes, la police vénézuélienne a décidé de fermer la frontière. Le diocèse de Cúcuta a mis en place un programme sanitaire et alimentaire avec une maison d’accueil et sept restaurants appelés : « La divine providence »
Comment la Colombie s’implique-t-elle au sein de la future Assemblée spéciale du Synode des Évêques sur le thème “Amazonie : Nouveaux chemins pour l’Église et pour l’écologie intégrale” qui se tiendra en 2019 ?
Les communautés locales sont engagées activement dans la préparation du Synode. Il y a des réunions dans chaque diocèse avec la participation de laïcs, consacré(e)s, prêtres et évêques. Au total, ce sont treize pays qui prennent part à ce projet. La Conférence épiscopale colombienne fait partie du Réseau ecclésial de la « Panamazonie » (Repam). À partir d’un document de travail envoyé par le Pape, nous travaillons sur trois grands axes qui sont « Identité et aspirations de la Panamazonie », « Discerner vers une conversion pastorale et écologique », et « Agir, nouveaux chemins pour une Église au visage amazonien ». À la fin de l’année, nous enverrons les réponses du questionnaire à Rome.
Quel est l’enjeu de ce Synode ?
Protéger la population indienne des expropriations et préserver la biodiversité de la déforestation. L’Amazonie est convoitée pour ses richesses minérales. La question de l’Amazonie est un enjeu important pour la planète. Ce territoire a été oublié pendant des années à cause de la guerre. Cela pose aussi la question de la réforme agraire. Pendant des siècles, ce territoire était vierge de toute population. La guerre a entrainé des déplacements massifs de populations. Il faut résoudre le problème de la possession de la terre. L’Église peut aider de nombreuses personnes car c’est l’unique institution qui a encore dans ses archives des actes de mariage ou de baptêmes, là où l’État n’a pas de registres.