Les Eglises et l’Europe, un dialogue trop mal connu
« La COMECE, le dialogue entre les Eglises et l’Europe » (Documents Episcopat N° 8-2016) consacré à la Commission des épiscopats de la Communauté européenne raconte avec clarté la longue marche des Eglises en Europe pour faire entendre leur voix au sein des institutions européennes. Et comment elles peuvent aujourd’hui encore apporter leur pierre pour aider l’Europe à redéfinir un projet d’avenir. Sa rédactrice, Monique Baujard, évoque cette histoire et cette contribution. Propos recueillis par Chantal Joly.
Vous avez suivi les affaires européennes pour la Conférence des évêques de France depuis 2002 et accompagné l’évêque délégué de la CEF aux assemblées plénières de la COMECE de 2005 à 2016 ; qu’est-ce qui vous a frappé dans cette immersion ?
La COMECE est un lieu qui permet de voir la diversité comme une richesse. Autour de la table, lorsque les évêques des différents pays membres de l’Union européenne s’expriment, l’on perçoit très vite les différences de culture, d’histoire ou de langue dont chacun est porteur. Et chaque évêque doit s’efforcer de comprendre l’autre dans un échange qui passe de l’italien à l’allemand, en passant par l’anglais et le français (avec des traductions simultanées). Personnellement, j’aime bien cette ambiance internationale qui permet de vraies rencontres. Pour les évêques, c’est aussi un exercice de collégialité par-dessus les frontières tout à fait inédit.
En fréquentant les institutions européennes, j’ai découvert à quel point ce monde européen peut parfois être clos et déconnecté de ce qui se passe dans les pays et, en même temps, il permet d’avoir une vision beaucoup plus large des questions politiques ; ce qui est très stimulant.
La COMECE a-t-elle une réelle influence ?
Il faut rester modeste. La question est un peu semblable pour la CEF en France. Ce n’est pas parce qu’elle se prononce sur un sujet que le monde politique va automatiquement reprendre ses idées. Mais elle apporte aux débats un point de vue spécifique que personne d’autre ne fait valoir. Il en va de même pour la COMECE. Elle a su au fil des ans se faire respecter comme un partenaire de dialogue fiable et constructif. L’article 17 du Traité de Lisbonne a consacré l’apport spécifique des Eglises, qui ne sont ni des lobbies, ni des ONG, et institué avec elles un dialogue ouvert, transparent et régulier. Il a fallu de l’audace et beaucoup de persévérance pour en arriver là. La COMECE, et en particulier son secrétariat général qui assure le travail permanent à Bruxelles, a dû apprendre à traduire les préoccupations de l’Eglise en termes accessibles pour tous et à s’intéresser aux dossiers traités par les fonctionnaires et les parlementaires pour « s’insérer dans leurs conversations », comme dit le pape François. C’est ainsi que la COMECE peut faire entendre sa voix pour défendre une certaine vision de l’homme et du bien commun.
Comment définiriez-vous le rôle de la COMECE ?
De même que chaque évêque représente une portion du peuple de Dieu, l’instance qui réunit les épiscopats européens représente les catholiques de l’Union européenne. La voix qu’elle cherche à faire entendre est donc la voix des catholiques dans leur pluralité, une voix qui pour un certain nombre de questions est très proche de celle d’autres Eglises chrétiennes. Ce n’est pas la voix du Saint Siège qui a sa propre représentation auprès de l’Union européenne, même si le nonce est bien sûr étroitement associé aux travaux de la COMECE. Les évêques de la COMECE se réunissent deux fois par an pendant deux jours, ces sessions étant préparées en amont par le secrétariat général souvent avec l’aide d’experts. Cette présence demande aux évêques un réel travail car certains sujets sont complexes et pas toujours familiers (comme par exemple il y a quelques années, un travail sur l’économie sociale de marché, notion davantage connue dans le Nord de l’Europe). A cela s’ajoute la difficulté des traductions, la nécessité d’arriver à un compromis, etc. Mais, in fine, les évêques de la COMECE arrivent à faire entendre ensemble une voix dans laquelle la plupart des catholiques peuvent se reconnaître ; comme par exemple leur appel du 12 décembre 2016 pour une approche intégrale de la lutte contre la pauvreté en Europe.
Mais comment faire communion entre des Eglises si diverses dans leurs statuts et leurs histoires ?
C’est certain que chaque Eglise reflète la culture particulière d’un pays, que les petits pays n’ont pas la même vision de l’Europe que les grands, que les différences entre l’Est et l’Ouest restent marquées et que celles entre le Nord et le Sud resurgissent fréquemment, mais au final il y a bien plus de choses qui nous rassemblent que de choses qui nous séparent : le souci du respect de tout homme et de tout l’homme, la volonté de penser l’économie au service de l’homme (et non pas de l’homme au service de l’économie), de voir la nature comme Création de Dieu et la vie comme don de Dieu… La foi catholique offre un socle commun qui est suffisamment solide pour pouvoir dépasser les inévitables divergences et produire des déclarations communes. Mais cela ne va pas de soi, même entre évêques. Cela demande à chacun l’effort de se détacher un instant de son cadre de référence habituel pour déterminer quel est l’enjeu humain prioritaire dans la question européenne qui lui est soumise.
Dans l’Europe politique, le couple fort reste le tandem France-Allemagne, qu’en est-il à la COMECE ?
L’image du moteur franco-allemand est une vision franco-française, je ne l’ai jamais entendu évoquer dans d’autres pays. La France a été un moteur à certaines époques et j’espère qu’elle le sera encore à l’avenir, mais aujourd’hui il ne me semble pas que ce soit le cas. A la COMECE, cette question ne joue pas. En revanche, la laïcité à la française n’est pas toujours facile à comprendre pour d’autres pays. Elle est le résultat de l’histoire française où un Etat fort et une Eglise forte se sont longtemps affrontés et où les relations restent crispées. D’autres pays n’ont pas connu d’Etat fort ou pas d’Eglise forte et les relations entre l’Eglise et l’Etat peuvent alors être plus souples et informelles.
Nous sommes bien loin de 1957 où, ainsi que vous l’écrivez, « toutes les cloches de Rome sonnent pour célébrer la naissance de la Communauté européenne ». Le climat est à l’euro scepticisme avec notamment le Brexit. L’Eglise peut-elle remobiliser sur le projet européen ?
Le projet européen est profondément chrétien à la base. C’est un projet de pardon et de réconciliation, un projet d’établir une paix durable sur le continent européen. C’est pour saluer cet effort de paix que les cloches de Rome ont sonné ! Aujourd’hui nous sommes devant un problème de dérèglement de l’économie qui creuse les inégalités sociales et épuise la planète. Le défi pour l’Europe est de définir un nouveau modèle économique et social, plus respectueux de l’homme et de la nature. Le pape François invite à rêver une nouvelle Europe (cf. son discours pour la réception du prix Charlemagne le 6 mai 2016) et dans Laudato Si’, il demande à redéfinir la notion de progrès. L’Eglise ne peut pas apporter les solutions politiques et économiques pour l’avenir de l’Europe mais elle peut nourrir la réflexion et être un partenaire de dialogue pour chercher ensemble à humaniser l’économie.
Préfacé par Mgr Jean-Pierre Grallet, archevêque de Strasbourg, La COMECE, le dialogue entre les Eglises et l’Europe est construit en quatre parties. La première raconte l’invention de cette présence d’Eglise auprès des institutions européennes. La deuxième relate son évolution : de Jacques Delors appelant à la fin des années 1980 à donner « une âme à l’Europe » à l’institution d’un dialogue ouvert, transparent et régulier par le Traité de Lisbonne en 2007. Le troisième chapitre détaille l’activité au quotidien de la COMECE et les grands dossiers en cours. Le quatrième évoque les défis qui attendent l’Europe et le rôle de l’Eglise. En annexe figurent le texte de l’article 17 du Traité de Lisbonne et la liste des dirigeants de la COMECE de 1980 à nos jours.