Miséricorde, la révolution de la tendresse
Recteur du sanctuaire d’Ars, le père Patrice Chocholski est l’auteur de plusieurs ouvrages sur cet art d’aimer de Dieu. Il invite les chrétiens à se saisir de l’Année de la Miséricorde pour, à la fois, retourner aux sources bibliques et accompagner croyants ou non sur des pistes de dialogue et de charité. Par Chantal Joly.
Depuis quand et pourquoi vous intéressez-vous à cette thématique ?
En 1984, parti en Pologne à la recherche de mes origines, j’ai passé une année à l’Université catholique de Lublin au moment où foisonnaient des commentaires sur l’encyclique de Jean-Paul II Dives in misericordia tandis qu’à Cracovie, les mouvements de spiritualité autour de la Miséricorde se multipliaient. Poursuivant mes études de théologie et de philosophie en Italie, cette dimension commençait de nouveau à s’éloigner lorsque j’ai été envoyé en coopération en Palestine. Réveillé tôt le matin par le muezzin qui saluait Dieu miséricordieux, j’ai ressenti toute la densité de ce mot dans son sens hébraïque et arabe davantage que dans son sens latin. Nous étions alors en pleine Intifada et guerre du Golfe. La Miséricorde se révélait entre Juifs, Musulmans et Chrétiens d’Orient l’unique lien universel de dialogue et de fécondation spirituelle réciproque. La découverte de l’Asie du Sud Est avec l’omniprésence de la notion de compassion m’a confirmé définitivement cette intuition. D’où une maîtrise de théologie à la Catho de Lyon et la préparation d’une thèse de doctorat à Fribourg sur ce sujet.
La Miséricorde est un mot passé de mode ou bien souvent restreint au pardon. Pourquoi mobiliser les chrétiens du XXIe siècle sur ce thème?
C’est vrai que dans notre pays le terme fait un peu « sucre d’orge », misérabiliste . Moi même j’en ai eu une idée très… 19ème siècle. Or il s’agit ni plus ni moins d’appeler à une révolution de la tendresse qui nous oblige à réformer nos manières d’être et de communiquer. La Miséricorde biblique, toujours en lien avec la justice, ne nous enferme pas dans l’émotionnel mais va vers les plus fragiles. Et cette attention nous oblige à revoir nos concepts comme nos vérités. Le tournant a été voulu par Benoît XVI dans les affaires de pédophilie, en donnant la priorité aux fragiles sur l’institution. Le Pape François a poursuivi avec sa notion d’Église « hôpital de campagne », destinée à rendre accessible l’amour viscéral de Dieu à notre égard, le seul capable de nous transformer. Les paroissiens sentent cet enjeu. Rappelons qu’en tant que cardinal de Buenos Aires, Jorge Mario Bergoglio a fait partie du groupe de 17 cardinaux qui a promu le premier Congrès de la Miséricorde à Rome, en 2008.
Vous êtes le secrétaire général des Congrès mondiaux de la Miséricorde. Quel était leur but et pouvez-vous nous partager quelques souvenirs ?
L’appel de Jean-Paul II à la Miséricorde chemin de la paix a été lancé juste après les attentats du 11 septembre 2001. Lui qui avait vécu l’occupation nazie et le communisme avait expérimenté les limites du Mal dans l’Histoire et le fait qu’il fallait répondre au Mal par le Bien sans déclencher un clash de civilisation. Il souhaitait que dans toute sa mission, l’Église soit plus consciente et plus motivée par la Miséricorde Divine. Les Congrès de la Miséricorde sont son héritage. Le deuxième s’est d’ailleurs tenu en 2011 à Cracovie, en Pologne, sous la haute figure de Sœur Faustine, Apôtre de la Miséricorde Divine, que Jean-Paul II avait canonisée en 2000. Le troisième Congrès s’est tenu en 2012 à Bogota, en Colombie. Il a beaucoup orienté ses travaux autour des institutions sociales présentes dans les favellas et les témoignages donnés par des victimes des FARC y furent très forts. Le prochain Congrès aura lieu en 2017, à Manille (Philippines), à la demande des fédérations épiscopales d’Asie (FABC).
Qu’est-ce que cela a changé dans votre ministère et comment cela résonne-t-il dans ce lieu ?
C’est avant tout un bonheur personnel d’expérimenter cet amour inconditionnel de Dieu envers ma propre personne. La Miséricorde m’a humanisé. Elle permet aussi de voir en tout homme un « petit » et, rassemblés tous ensemble à la table des pécheurs, de puiser en chacun ce qu’il vit de plus beau. En cela elle crée un nouveau type de communauté.
Ici, à Ars, où saint Jean-Marie Vianney fit percer une Porte de la Miséricorde pour s’adapter plus facilement aux demandes des pécheurs et des mères de famille, je suis constamment rappelé à l’expression du Pape François selon laquelle l’Église ne doit pas être une douane mais une porte qui facilite l’accès à la grâce. Le curé d’Ars est parvenu à être ce prêtre jamais débordé par son planning mais bien par ce torrent de Miséricorde qui entraîne tous les cœurs sur son passage.
À paraître prochainement : une nouvelle édition revue et augmentée de Aux sources de la Miséricorde (2005) (Éd Nouvelle Cité).