P. Roucou, inlassable acteur de l’amitié islamo-chrétienne
Le Père Christophe Roucou relit sa mission de Directeur du Service national pour les relations avec l’Islam (SRI), en partage les projets et fait le point sur la place de l’Islam en France.
Quel regard portez-vous sur les neuf années à la tête du SRI ?
Dans le domaine des relations entre chrétiens et musulmans, nous sommes toujours bousculés par l’actualité. En positif, je retiens le voyage du Pape François en Terre Sainte (2014) et l’accolade avec ses deux amis argentins, juifs et musulmans. Cela traduit l’encouragement des papes et du Vatican qui n’ont jamais reculé sur l’option du dialogue. Le cardinal Jean-Louis Tauran, Président du conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, qui nous soutient et qui est venu au SRI pour les 10 ans, dit toujours : « Si nous ne prenons pas le chemin du dialogue, quel chemin nous proposez-vous ? » En 9 ans, il y a eu deux débats à l’Assemblée plénière des évêques à Lourdes, qui ont confirmé le choix du dialogue. Pourtant, nous sommes sortis d’une période où il semblait une évidence à tout le monde. Je perçois la montée, au sein de l’Eglise catholique et chez les protestants, de personnes qui contestent ce chemin.
Ce qui m’a animé au SRI, c’est de faire en sorte que des personnes issues de cultures, de traditions différentes, qui vivent en France et souvent sont Françaises, participent au vivre ensemble. Pour moi, ce n’est pas « co-exister » – même si je soutiens beaucoup la démarche du même nom – encore moins cohabiter ! Ne pas être indifférents les uns aux autres et ne pas vivre les uns à côté des autres. En ce sens, je trouve que le Pape François encourage chaque communauté à ne se replier pas sur elle-même.
Face aux critiques, il y a toujours l’interrogation de savoir si l’on est toujours sur le chemin de l’Evangile. C’est vrai que certains jours, j’ai été offensé. Ce qui touche plus, c’est quand cela vient de prêtres.
Une des critiques a été l’attention aux Chrétiens d’Orient…
La ligne de conduite, définie avec Mgr Michel Santier, évêque de Créteil, et Mgr Michel Dubost, évêque d’Evry-Corbeil-Essonnes, a été : Solidarité avec nos frères chrétiens d’Orient par des liens d’amitié et amitié avec mes voisins musulmans. Nous sommes tenus de vivre les deux. La France n’est ni l’Irak, ni la Syrie. Il faut tout faire pour que la majorité des musulmans en France qui veulent vivre une vie de famille et une vie professionnelle normales, n’aillent pas de l’autre côté où elle ne voudrait pas aller. Je suis frappé de ce que depuis l’été dernier, un certain nombre de responsables musulmans, qui ont des amis chrétiens, sont engagés avec eux et défendent les chrétiens d’Orient.
Que constatez-vous dans la société française ?
J’observe une instrumentalisation des religions par certains politiques et certains médias. J’ai retenu l’opposition véhiculée par le titre de L’Express en février 2015 : « La République face à l’Islam ». Je pense à un musulman qui a de hautes responsabilités dans un grand musée parisien- témoignant dans le DVD du SRI – qui travaille donc pour la République et qui est né en France : on lui demande de choisir, alors qu’il se sent Français et musulman.
Il existe, chez nos concitoyens et parmi les catholiques, des peurs qu’il faut prendre en compte. Par rapport à des tendances extrémistes, ultra-minoritaires – mais mises en avant souvent par les médias, par rapport à des quartiers où se vit une concentration de questions, qui ne sont pas d’abord religieuses. Ces peurs existent et il ne faut pas les nier. Personnellement, je suis choqué comme citoyen, prêtre et responsable, que des personnes jouent avec ces peurs.
Il y a aussi des peurs chez les musulmans, notamment d’être « assimilés », c’est-à-dire perdre la différence. L’enjeu est que nous vivions ensemble et que nous ayons des valeurs communes, en reconnaissant aussi des différences. D’ailleurs, nous les vivons dans notre propre communauté catholique. Lorsque je célèbre l’eucharistie à Ivry, où j’habite, les fidèles sont originaires des Antilles, d’Afrique Sub-Saharienne, d’Inde, du Sri Lanka, du Vietnam… La diversité culturelle est bien là ! Beaucoup de personnes musulmanes nous le disent : « Nous sommes regardés comme des étrangers », alors qu’ils sont Français. J’entends aussi beaucoup de demandes d’information et de formation.
La session de formation 2015 du SRI a eu lieu du 3 au 10 juillet ?
C’est la première fois en 9 ans que nous refusions des inscriptions ! Le profil des participants a évolué. Cette année, nous avons accueilli 4 séminaristes, envoyés par la Mission de France, le diocèse d’Evry et le Prado. Nous avions 70% de laïcs. Cette proportion est en augmentation alors que les prêtres étaient surreprésentés jusqu’à présent. Un de nos soucis de responsables est de faire descendre le dialogue qui existe « au sommet » au plus près possible du terrain. Ce mot-là est devenu un peu usé, décrié même. Pour moi, le dialogue n’est pas un moyen mais une attitude humaine et spirituelle, dont l’objectif est de se rencontrer et de vivre ensemble.
Le souci de la formation habite vraiment les diocèses et les services. Aujourd’hui dans l’Eglise catholique en France, il n’y a pas assez de formateurs dans le domaine de l’Islam et des relations islamo-chrétiennes. Il y a la connaissance de l’Islam mais aussi l’expérience : approfondissement de la foi chrétienne dans ce qu’on vite et partage. Après mes années passées en Egypte, ma conviction est que la rencontre de l’autre oblige à aller plus loin dans sa propre foi. Et pour nous chrétiens, comme l’écrivait Mgr Gérard Daucourt, évêque émérite de Nanterre, dans son édito de septembre 2013, l’attitude doit être celle du Christ vis à vis des personnes différentes qu’il rencontrait. Et comme dit Mgr Jean-Marc Aveline, évêque auxiliaire de Marseille, nous devons réagir en disciple du Christ : dans la bienveillance.
Après le succès du premier DVD, le SRI en prépare un deuxième ?
Le premier DVD, qui se voulait un outil pédagogique, a bien marché. Nous l’avons vendu à plus de 800 exemplaires. L’objectif était qu’il permette de démarrer une soirée, une formation. Sa limite est que ce sont des propos de musulmans et de chrétiens qui se répondent. Le deuxième, un 52’, réalisé en partenariat avec KTO, sera diffusé sur la chaîne. Pour l’instant, nous l’appelons « Le dialogue en actes ». L’ambition est de montrer dans 6 champs d’activité que chrétiens et musulmans font des choses ensemble : au Secours catholique (domaine social), chez les scouts (les jeunes), le pèlerinage « Ensemble avec Marie » (dimension spirituelle), rencontre d’imams et de prêtres à Marseille, à travers les couples islamo-chrétiens… Pour montrer que cela existe et que cela donne des idées à d’autres. Tous les moyens sont bons pour témoigner de ce que nous vivons. Ne laissons pas la parole à ceux qui disent qu’il n’y a rien à faire ! Montrons en positif les choses qui existent. Il y a plusieurs champs dans lesquels nous pourrions aller plus loin : la solidarité. J’avais été beaucoup apprécié le film de Nadine Labaki, « Et maintenant, on va où ? ». Je crois qu’entre les femmes d’un même quartier des relations peuvent se tisser. Cela fait bouger aussi sur le plan de l’éducation pour les jeunes générations.
Le SRI publie une Lettre…
L’objectif de cette Lettre est d’informer aussi bien des chrétiens que des musulmans. Sur les 1200 exemplaires tirés, 800 exemplaires sont diffusés à des chrétiens, 400 à des musulmans. On choisit de publier des documents venant des deux religions pour les porter à la connaissance des uns et des autres. Dans ce numéro, sur les couples islamo-chrétiens, nous apportons des éléments de réflexion mais nous donnons aussi la parole à un couple, à la présidente d’une association, à un imam qui prend une position courageuse en disant qu’il n’est pas favorable mais que c’est son devoir d’accompagner ces couples. On se fait l’écho des évêques du Maghreb car la relation avec les musulmans, nous la vivons en France, mais on ne peut pas la séparer du contexte. Nous avons choisi, en dernière page, une prière du Pape François qui peut être dite par des chrétiens, des juifs et des musulmans. Même si les musulmans ne sont pas habitués à utiliser des textes de prière qui ne viennent pas de leur tradition, je crois que le Pape touche là une dimension profonde : la prière est très importante chez les musulmans. Ils pensent souvent que les chrétiens ne prient pas
Quels sont vos projets ?
Personnellement, j’aurais aimé traverser la Méditerranée. Mon évêque m’envoie à Marseille pour janvier 2016. Je suis très content de rejoindre une Eglise qui vit la mission, engagée dans les relations entre musulmans et chrétiens. J’ai beaucoup à apprendre et à découvrir. Depuis la classe prépa, c’est la première fois que j’habiterai dans l’Hexagone mais en dehors de l’Ile-France ! Je serai chargé de travailler à l’Institut catholique de la Méditerranée. Je vais en profiter pour me remettre à niveau en Arabe. J’aimerais vivre Noël au service des chrétiens au Maroc.
La Parole de Dieu, boussole pour les relations avec l’Islam
Ces deux paroles habitent le Père Roucou dans sa mission. « Amour et Vérité se rencontrent » (Psaume 84, 11). « Il n’y a pas à choisir entre l’un et l’autre, commente-t-il. Je ne peux pas aimer mon frère musulman si je ne suis pas vrai avec lui. Mais faire la vérité avec l’autre ne peut pas se faire sans l’aimer ». Le deuxième est : « Dieu, nul ne l’a jamais vu » (Evangile selon Saint Jean 1, 17). « Dieu reste de l’ordre du mystère. Nous avons ce point commun avec les Juifs et les Musulmans. Si les Juifs ne prononcent pas le nom de Dieu, c’est pour ne pas mettre la main sur Dieu, contrairement à ce que font les extrémistes de tous les bords. Chez les Musulmans, on ne connaît pas le 100ème nom de Dieu ». Sur ce « terrain commun spirituel », le P. Roucou n’oublie pas la suite : « Le Fils unique qui est tourné vers le Père nous l’a révélé ». « Il est de notre responsabilité chrétienne de témoigner du Christ qui est pour nous la révélation de Dieu ». Il cite aussi Mgr Maroun Lahham, qui, alors Archevêque de Tunis (aujourd’hui en Jordanie), a eu cette formule : « Un croyant sert Dieu. Un extrémiste se sert de Dieu ».