Elena Lasida : « Une chance historique pour redéfinir la vie bonne »
« Changement climatique : un Kairos planétaire » est le titre de la déclaration du Conseil Famille et Société de la Conférence des évêques de France, en vue de la COP21, conférence internationale sur le climat (Paris, décembre 2015). Chargée de mission pour Justice et Paix, Elena Lasida commente cet appel. Propos recueillis par ClR.
Comment ce texte est-il né ?
Ce texte précède la très attendue encyclique du Pape François sur l’environnement, annoncée pour fin juillet 2015. L’Eglise catholique ne l’a pas attendue pour s’engager et se positionner sur la question environnementale et sur le changement climatique en particulier. Il y a déjà eu des manifestations et des prises de position de l’Eglise catholique. C’est en continuité avec cette réflexion, portée par les chrétiens et beaucoup de mouvements, que ce texte est présenté aujourd’hui. L’encyclique s’inscrira à la suite de toute cette réflexion.
Il est publié néanmoins à un moment crucial de l’histoire de l’humanité…
Oui, absolument. On peut dire qu’il y a urgence, au vu de la Conférence sur le climat de décembre 2015. C’est bien « le moment opportun » pour se mobiliser et prendre la parole, pour essayer de faire pression, autant que possible, sur les décideurs, pour qu’ils soient audacieux et qu’ils prennent les bonnes décisions, pour l’avenir de la planète et de l’humanité.
A qui ce texte s’adresse-t-il ?
Je dirais qu’il s’adresse en premier lieu aux chrétiens. On a souvent accusé les chrétiens – et surtout l’Eglise catholique – de ne pas s’intéresser à la question environnementale. Même si ce n’est pas le premier texte, il veut montrer que l’Eglise se sent bien concernée. En tant que chrétiens, nous sommes directement interpelés. Ce n’est pas seulement une question de société car on peut vraiment la relier aux fondamentaux de la foi chrétienne. Ensuite, comme les fondamentaux mis en avant sont la solidarité, l’universalité et l’espérance, on peut dire qu’on touche aussi des fondamentaux humains. Je pense que ce texte peut être reçu et accueilli aussi par des personnes qui ne partagent pas notre foi chrétienne. Le fait de s’appuyer sur ces fondamentaux-là est aussi une manière de favoriser le dialogue sur ces questions, entre chrétiens et non-chrétiens. Enfin, même si le texte s’adresse plus aux communautés chrétiennes et à la société civile, je pense que chacun peut entendre les questions posées, là où il est. Soit en tant que simple citoyen, qui fait des choix individuels mais aussi collectifs en cohérence avec ces questions, soit en tant que décideur, avec une responsabilité majeure. Il s’agit, à ce stade, d’une posture, d’une manière d’aborder la question, que chacun peut intégrer selon sa responsabilité.
Doit-on attendre des propositions pour concrétiser cette posture ?
Oui, il y en aura. Mais je rappelle qu’il en existe déjà ! Le texte s’inscrit dans la réflexion des évêques sur les enjeux environnementaux. Le livre « Enjeux et défis écologiques pour l’avenir » (2012) avait une partie théorique sur la question environnementale et la foi chrétienne, et ensuite toute une série de propositions très concrètes sur nos modes de vie, nos choix quotidiens, nos manières de consommer et de nous déplacer, etc. De nouvelles propositions seront faites, plus directement en lien avec le climat. Nous travaillons en ce sens avec un groupe de jeunes qui va se réunir prochainement pour chercher un geste symbolique à proposer aux communautés chrétiennes et au-delà. Précisément pour signifier plus visiblement l’engagement des chrétiens et des citoyens sur cet enjeu. Au lancement du texte, nous avons annoncé une série de fiches qui va d’une part expliquer certains enjeux d’une manière plus précise et d’une part, proposer des actes concrets pour mettre nos choix quotidiens en cohérence avec ces questions.
Y-a-t-il quand même des bonnes nouvelles ?
Oui, c’est pourquoi le texte se démarque de certaines prises de position sur la question qui souvent apparaissent très catastrophiques en mettant en évidence les menaces qui pèsent sur notre humanité. Ces menaces sont réelles. Ce n’est pas une manière de dire : « Non, non, il n’y a rien de grave. Ca va bien se passer ». Ce n’est pas du tout la nature du texte. Mais c’est aussi de dire, compte tenu de la situation de menace et de changements à laquelle nous sommes confrontés, que c’est une opportunité – « un moment opportun », comme dit le texte – pour inventer quelque chose de radicalement nouveau. C’est en ce sens-là que nous parlons d’espérance, qu’on peut dire que c’est une bonne nouvelle. Aujourd’hui, nous avons une chance historique de pouvoir introduire dans nos modes de vie des changements qui peuvent conduire à un autre modèle de « vie bonne », où des dimensions comme la relation seraient plus présentes qu’actuellement.
« Kairos », le moment opportun
Si « chronos » fait référence au temps qui passe, « kairos » désigne « le moment opportun ». Dans la foi chrétienne, le « kairos » fait référence à un événement tragique qui introduit une nouveauté radicale : la Résurrection du Christ. On a aussi utilisé ce terme pour parler de l’Apartheid en Afrique du Sud et de la situation de la Palestine. Il implique l’idée de lutte et de libération.