LA PAIX EST POSSIBLE EN RDCONGO

La reprise des hostilités en RDCongo dans le Nord-Kivu, par le CNDP avec l’appui désormais reconnu du Rwanda et dans le Nord-Est, par la LRA sème la désolation au sein des populations. « Un vrai drame humanitaire qui s’apparente à un génocide silencieux dans l’Est de la RD Congo se déroule sous les yeux de tous. Les massacres gratuits et à grande échelle des populations civiles, l’extermination ciblée des jeunes, les viols systématiques perpétrés comme arme de guerre : de nouveau une cruauté d’une exceptionnelle virulence est en train de se déchaîner contre les populations locales qui n’ont jamais exigé autre chose qu’une vie paisible et décente sur leurs terres. Qui aurait intérêt à un tel drame ? ». 1

1. COMITE PERMANENT DES EVEQUES DU CONGO, LA RDCongo pleure ses enfants, elle est inconsolable (cf. Mt2, 18). Déclaration du Comité permanent des évêques sur la guerre dans l’Est et dans le Nord-Est de la RD Congo, n°2.

I. FAITS RECENTS PREOCCUPANTS

Au Nord-Kivu, plus de 2 millions de déplacés

Des problèmes humanitaires aigus et pressants se posent pour plus de 2 millions de déplacés du Nord-Kivu qui s’ajoutent à ceux de l’Ituri. Des déplacés qui errent sur les routes à la recherche d’un abri, au moment où les anciens refuges ont été rasés par les milices ; des enfants sont enrôlés de force dans les armées rebelles, des femmes sont massivement violées, des infrastructures de base sont détruites, la famine, les intempéries sont devenues le lot quotidien des habitants. Dans les camps des déplacés aux alentours de Goma, le regard angoissé des enfants affamés est un spectacle insoutenable. Sous des abris de fortune, des familles entières n’ont rien à manger, elles sont exposées aux intempéries, la mort y rode quotidiennement. Sans eau potable, sans médicaments, victimes du paludisme et, tout récemment, du choléra, ils sont contraints à l’errance en vue, désespérément, d’échapper aux coups de feu des kalachnikovs, des mitrailleuses et des canons, réfugiés sur leur terre, loin de leurs maisonnettes, de leurs villages et de leurs champs: c’est une catastrophe humanitaire bien supérieure à celle du Rwanda en 1994 et du Darfour, comme reconnu par l’ONU et la Communauté Internationale 2. La population paie le lourd tribut d’une guerre qu’elle n’a pas provoquée !

2 Cf AFP – Paris, 01.11.2008

Massacre des civils à Kiwanja (05 novembre 2008)

Le massacre commis le 5 novembre 2008 à Kiwanja dans le territoire de Rutshuru a été condamné par toute la communauté tant nationale qu’internationale. A cet effet, radiookapi.net rapporte en ces termes la déclaration du Représentant spécial du secrétaire général de l’ONU : « De graves violations de droit international humanitaire et de droits de l’homme ont été commis à Kiwanja depuis l’arrivée du CNDP de Laurent Nkunda dans cette cité du territoire de Rusthuru. M. Alan Doss, représentant spécial du secrétaire général de l’ONU en RDC et chef de la MONUC dénonce cet état de choses et l’a fait savoir à Laurent Nkunda lui-même dans une lettre qu’il lui a adressée. Dans cette correspondance, Alan Doss indique que plusieurs civils, y compris des femmes et des enfants, avaient été arbitrairement exécutés dans leurs maisons après les combats. Le chef de la MONUC demande à Laurent Nkunda de mettre fin à ces exactions et de diligenter une enquête afin d’identifier les auteurs de ces crimes odieux ». 3

A Kiwanja, à 70 Km de Goma, il vient de se produire un massacre des populations civiles lors des affrontements entre les miliciens MAI-MAI et les rebelles de Laurent Nkudabatware : plus de 200 civils, surtout les jeunes, massacrés selon l’aveu même d’un porte-parole du CNDP qui les a tout simplement assimilés aux miliciens MAI-MAI. Il s’agit des massacres sélectifs qui visent certaines ethnies. Et les survivants continuent de subir des exactions de tout genre.

Tout cela a eu lieu alors que, au terme de la Conférence de Goma, la MONUC avait pris l’engagement d’assurer l’interposition entre les belligérants, de façon à éviter ce genre de désastre. Elle continue de déployer, par ailleurs, des moyens importants et coûteux dans la région depuis des années. Visiblement, elle n’a pas pu s’acquitter de son mandat à Kiwanja, et elle l’a reconnu. Entre temps l’opinion s’interroge sur la présence des unités de la mission onusienne dans des zones qui ne connaissent pas de conflit (Kananga, Bas-Congo, Mbujimay, etc.). 3

3. Radio Okapi Vendredi 21 novembre 2008

De nouvelles attaques dans le Haut-UELE

A Dungu et Doruma, le 20 octobre 2008, une attaque de la LRA a poussé dans les rues une population de 27.000 déplacés. Le rapport de l’ONU fait état d’un afflux de réfugiés congolais dont des femmes et des enfants dans les localités de Yambio et de Western Equatoria au Soudan, signe que l’insécurité s’intensifie et s’étend. Les chiffres évoluent chaque jour, car il y a de nouvelles personnes qui traversent la frontière. Les femmes et les filles ont fait rapport des abus sexuels pendant l’attaque.

II. QUESTIONNEMENT ET INQUIETUDES

Avec les élections de 2006, la RDCongo, sortant d’une longue guerre de 5 ans, espérait, comme d’autres pays post-conflit, entrer dans une période d’une paix durable avec les Etats voisins, d’une sécurité renforcée à l’intérieur de ses frontières, de la reconstruction nationale et d’un développement soutenu et durable.
Mais, force est de constater que rien de tout cela ne se confirme. Des acteurs nationaux et/ou internationaux signent les accords comme cadre de dialogue et/ou les parrainent pour les infirmer aussitôt dans les faits.
A titre illustratif, il y a :
  • l’Accord Global et Inclusif signé à Sun City en avril 2002 ;
  • l’Accord de Dar-es-Salaam du 20 novembre 2004 ;
  • le Pacte sur la sécurité, la stabilité et le développement dans la Région des Grands Lacs signé à Nairobi en 2006 par 11 pays et ratifié par 9 pays ;
  • Les engagements pris dans le cadre de la Commission Tripartite plus (RDCongo, Rwanda, Ouganda et USA) à Lubumbashi le 8 juin 2007 et à Kampala le 17 septembre 2007;
  • les Actes d’engagement à la paix signés à Goma, le 23 janvier 2008.
  • Communiqués de Nairobi I et II.
Tous ces textes tendent à devenir lettre morte du fait d’un manque manifeste de volonté politique, et par suite des ambiguïtés, de compromission de la part d’acteurs politiques internes ou externes engagés dans le processus.

On en est à se demander : pourquoi avoir dépensé tant d’argent des Nations-Unies pour des résultats si maigres ? Il faut espérer que les générations futures n’auront pas à rembourser une lourde dette résultant d’un tel désordre.

III. LES RAISONS DE L’ENLISEMENT

A. Du point de vue de la politique intérieure, le processus de Transition devait mettre fin à la crise de légitimité ; mais au terme des élections, il n’y a porté qu’une pause aussitôt interrompue par des subversions qui prolongent la Transition ramenant la machine politique dans l’impasse, celle des négociations à tout prix qui deviennent interminables et menacent de plonger le pays tout entier dans l’anarchie.

B. Au terme de la Conférence de GOMA, la MONUC avait pris l’engagement d’assurer l’interposition entre les belligérants, de façon à éviter tout débordement. Elle déploie par ailleurs des moyens importants et coûteux dans la région depuis des années. Visiblement, elle a manqué à son mandat occasionnant des manifestations populaires parfois violentes contre ses agents. En plus, la démission de son Commandant Militaire, le Lieutenant-Général espagnol Vicente DIAZ est éloquente de ce point de vue.

C. Par rapport à la politique régionale, une certaine opinion puissante veut qu’il faille entretenir des rebellions à l’Est du Congo pour empêcher aux réfugiés HUTU de retourner au Rwanda au risque de perpétrer un nouveau génocide. Cela peut s’entendre. Mais le prix à payer pour le peuple congolais est inouï : c’est plus de cinq millions de morts au Congo et plus de deux millions de déplacés ! Le génocide rwandais ne doit servir de prétexte à la poursuite du génocide en RDC.

D. Est-il encore besoin de rappeler que la guerre dans notre pays est avant tout une guerre de prédation ? En son temps, le Panel des Nations-Unies sur le pillage des ressources naturelles de la RDC avait mis à nue les complicités qui existaient entre les Seigneurs des guerres et les réseaux maffieux sur l’exploitation des minerais. Il a également été démontré que beaucoup de pays voisins de la Sous-Région servaient de relais à une nébuleuse des prédateurs internationaux désormais mieux identifiés.
Le nerf de la guerre est donc l’exploitation des ressources, affirment les Evêques dans leur dernière déclaration : « les ressources naturelles de la RD Congo alimentent la convoitise de certaines puissances et ne sont pas étrangères à la violence que l’on impose à sa population. En effet, tous les conflits se déroulent dans les couloirs économiques et autour des puits miniers (…). Les diverses conférences et réunions pour dénouer cette crise n’ont toujours pas abordé les questions de fond et n’ont fait que renvoyer et décevoir les attentes légitimes à la paix et à la justice de notre peuple. En outre, le plan de balkanisation que nous ne cessons de dénoncer est exécuté par des personnes relais. On a l’impression d’une grande complicité qui ne dit pas son nom. La grandeur de la RD Congo et ses nombreuses richesses ne doivent pas servir de prétexte pour en faire une jungle (…) » 4

COMITE PERMANENT DES EVEQUES DU CONGO, La RDCongo pleure ses enfants, n°4.

IV. QUE DEMANDONS-NOUS ?

1. La fin de la guerre et le retour de la paix

A) Nous demandons instamment la cessation des hostilités, la fin de la guerre et la garantie des conditions de sécurité pour le retour des déplacés sur leurs terres

B) A la Communauté internationale nous demandons de s’impliquer sincèrement pour faire respecter le droit international. Nous estimons impérieux l’envoi d’une force de pacification et de stabilisation pour rétablir notre pays dans ses droits. Tout le monde gagnera avec un Congo en paix plutôt qu’un Congo en guerre

C) Nous invitons la MONUC et la SADC à déployer des unités de surveillance le long de la frontière avec Rwanda et de l’Ouganda.

D) Tout en encourageant le dialogue, nous estimons que toutes les missions de paix dans l’accomplissement de leur mission de pacification, doivent s’insérer dans la logique du Pacte de paix, de sécurité et de développement dans la Région des Grands Lacs et dans le respect des Actes de la Conférence de Goma;

E) Par rapport à la justice, nous demandons de ne pas encourager l’impunité en valorisant le statut d’un rebelle et d’un criminel de guerre mais de poursuivre en justice les criminels de guerres.

F) La recherche de la paix durable au Congo doit privilégier une approche Régionale. Voila pourquoi nous demandons d aider le Rwanda a créer un climat favorable au retour des réfugiés hutus sur leur terre au Rwanda.

G) Urgence du règlement du dossier FDLR. La RDCongo a accepté de démanteler ces forces négatives qui sont arrivées sur son territoire de la manière que la Communauté internationale connaît très bien. Mais dispose-t-elle des moyens suffisants pour réaliser cela ? Une décision rapide s’impose pour apporter au gouvernement congolais un appui conséquent en vue du règlement de cette question.

2. Une Aide humanitaire urgente

a) Devant une situation de catastrophe humanitaire au Nord Kivu ainsi qu’en ITURI, il s’avère très urgent de venir en aide aux personnes déplacées : pour leurs besoins en nourriture, en abris, en biens non alimentaires, en médicaments, en eau et assainissement ;

b) Toutefois, toute aide aux déplacés doit avoir comme objectif premier leur retour rapide sur leurs terres surtout pendant la saison de pluie. Il est donc impérieux d’assurer leur sécurité en définissant très clairement le mandat de la MONUC, étant donné l’augmentation des effectifs dont elle bénéficiera.

3. Application des accords

a) La mise sur pied des mécanismes de suivi et des mesures d’encadrement
– L’une des recommandations appuyées du Groupe d’Experts des Nations-Unies a été la mise sur pied d’un organe de suivi et des mécanismes spécifiques qui pourraient juguler l’exploitation illégale des ressources naturelles de la RDCongo.

b) La mise en place d’un mécanisme de certification de l’exploitation

– Cet organe de suivi prévu par le Protocole sur la lutte contre l’exploitation illégale des ressources naturelles demande aux Etats de « mettre en place un mécanisme régional de certification de l’exploitation, de l’évaluation et du contrôle des ressources naturelles dans la Région des Grands Lacs ». 5

– Le même protocole enjoint aux Etats de la Région de « s’assurer que toute activité portant sur les ressources naturelles respecte scrupuleusement la souveraineté permanente de chaque Etat sur ses ressources naturelles et soit conformes aux législations nationales harmonisées ainsi qu’aux principes de transparence, de responsabilité, d’équité et de respect de l’environnement et des établissements humains » 6

5 Conférence Internationale sur la Région des Grands lacs, Pacte sur la sécurité, la stabilité et le développement dans le Région des Grands Lacs, CPN/RD Congo, 2007, p.21
6
Ibidem

c) Le respect des engagements pour la sécurisation réciproque et la rupture des alliances avec les forces négatives (Cf. Accords).

4. Organisation d’une Conférence internationale sur l’exploitation pacifique des ressources naturelles de la RDCongo
Restant sauf le principe de la souveraineté de notre pays, nous souhaitons la tenue d’une Conférence réunissant toutes les entreprises impliquées dans l’exploitation des ressources naturelles en RDCongo et dans la région des Grands Lacs. Cette Conférence permettra de redéfinir les bases des partenariats transparents du type gagnant-gagnant.
Les avantages d’une telle rencontre sont multiples :

  • Elle permettra de dessiner la cartographie des intervenants, les domaines et les lieux d’intervention ainsi que les spécificités de chacun 7 ;
  • Elle permettra aussi de garantir la sécurité des investissements étrangers en RDCongo sur base d’une législation connue de tous ;
  • Elle favorisera des négociations transparentes des contrats sur des bases légales justes et équitables ;
  • Elle peut être une base solide pour la lutte contre la criminalité transnationale liée encore à l’exploitation des ressources
  • Elle permettra à toutes les multinationales de négocier directement avec le Gouvernement légitime de la RDCongo dont elles reconnaîtront la souveraineté, ce qui pourra mettre fin aux accords contre-nature avec les rebellions et les groupes armés criminels. Le pays et la Sous-région gagneront dans ce contexte en sécurité et la RDC sortira de cette jungle des groupes armés qui pourrait favoriser même des activités terroristes ;
  • Elle pourra apaiser les tensions et les frustrations liées à la conquête anarchique des gisements convoités ;
  • Elle pourra poser les bases d’une coopération sous-régionale fructueuse et capable d’enclencher une nouvelle dynamique de paix durable dans les Grands Lacs africains.
A l’issue de cette Conférence, le Gouvernement de la RDCongo pourrait mettre en place un «Observatoire sur l’Exploitation des Ressources Naturelles de la RDCongo ».

5. Appui au programme « AMANI »

– Soutenir et appuyer le Programme Amani qui reste le seul cadre national permanent de dialogue et d’accompagnement du processus de paix et de reconstruction des provinces se trouvant dans l’Est et dans le Nord-Est de la RDCongo.

– Appuyer le Programme de réconciliation et de reconstruction communautaire mis en place par l’Eglise catholique de la RDCongo qui a déjà lancé ce programme dans certains territoires de la province du Sud-Kivu et entend l’étendre à d’autres territoires au niveau national.

7 Les multinationales présentes en RDC ressemblent aujourd’hui à une nébuleuse que personne ne maîtrise. On y trouve une multitude d’entreprises œuvrant dans un contexte maffieux qui ne permet pas de mettre fin à cette économie de prédation et de guerre décriée par le groupe d’Experts des Nations Unies.

CONCLUSION

C’est ici le moment de rappeler la prise de position du Président de la Conférence Episcopale Nationale du Congo lors de la reprise des hostilités :

« La CENCO remercie la Communauté internationale de sa condamnation presque unanime des rébellions. Par-delà cette condamnation, elle l’invite à prendre des mesures effectives et efficaces – et elle en a les moyens – pour obliger les bandes armées à respecter les actes d’engagement auxquels elles ont souscrit. De cette façon, elle dissuadera toute velléité d’atteinte à l’intégrité de notre territoire national.
Toutes les puissances, les multinationales, les Grands Lacs etc., bref, tout le monde gagnera avec un Congo en paix plutôt qu’un Congo en guerre  » 8.

Ce que nous demandons donc, c’est simplement du respect pour la sécurité et la dignité de nos populations, la mise en œuvre des principes qui président à l’existence de tout Etat : l’intégrité territoriale, l’unité et la souveraineté nationales. Au-delà de l’opération humanitaire d’urgence, la dignité humaine du citoyen congolais au même titre que celle de tous les autres membres de la communauté humaine.

AMBONGO Fridolin
Evêque de Bokungu Ikela
Président de la Commission Episcopale Justice et Paix de la CENCO

8 CONFERENCE EPISCOPALE NATIONALE DU CONGO, Encore le sang des innocents en RDCongo! (cf Jr 19,4), Déclaration de la CENCO sur la reprise des hostilités à l’Est et au Nord Est de la RDCongo, n. 5

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