« Distribuer des richesses avec justice et convertir son regard sur les hommes », interview du père de Sagazan

Le père Armel de Sagazan a été nommé le 1er septembre 2009 conseiller spirituel national des Entrepreneurs et dirigeants chrétiens pour 3 ans, en plus de sa fonction de prêtre diocésain. Depuis 1996, il était conseiller spirituel de la section de Châtellerault. Il nous entretient de l’Encyclique et de l’engagement des patrons chrétiens.

Quel message voulez-vous faire passer aux dirigeants chrétiens en ces temps de crise et de défiance vis-à-vis des dirigeants d’entreprises ?

Pendant le bureau national de cet été auquel j’ai participé en compagnie d’une trentaine de responsables régionaux, dont Pierre Deschamps, l’actuel président des Entrepreneurs et dirigeants chrétiens, j’ai été étonné du tonus de ces hommes et femmes qui partagent un regard fortifiant par rapport à la situation actuelle difficile. Ils prennent à bras le corps la réalité de la situation économique et financière et ils se battent. Le prochain thème des Assises nationales qui se tiendront à Besançon du 19 au 21 mars 2010 sera ‘tenir le cap’. Il faut garder l’espérance par des moyens très concrets, c’est-à-dire mener une réflexion sur l’éthique de l’entreprise, sur l’homme et le sens même de l’entreprise. L’encyclique tombe à pic. Nous allons la travailler, faire une lecture très concrète avec ces chefs d’entreprise. Mon désir est de prendre cette encyclique et la concrétiser avec leurs champs de bataille. Ils ont beaucoup d’idées et d’initiatives. Ils ne sont ni gémissants ni donneurs de leçons. Michel Cool publiera le 1er octobre un livre intitulé Des patrons chrétiens parlent. C’est une critique astucieuse du capitalisme actuel qui pose de vraies questions et aide à mieux comprendre comment l’Evangile permet d’entrer dans la matière économique avec une grande espérance.

Dans sa dernière encyclique, Benoît XVI aborde la notion du don et du service. Comment faire passer cette notion auprès des dirigeants ?
Le thème des dernières Assises qui se sont tenues à Marseille était Diriger et servir. Ces assises ont été remarquablement menées et nous avons assisté à un mouvement de bascule étonnant, où servir est passé en premier, et diriger ensuite. Ce sont deux notions inséparables, car il faut exercer une autorité dans l’idée de faire grandir les hommes avec lesquels on entreprend. Cette préoccupation du cap à tenir était première, le service était comme une évidence évangélique mais en deuxième plan. Voilà que ce verbe servir est passé en premier plan. C’était très prémonitoire par rapport au texte de Benoît XVI. Le don peut faire sourire pour des personnes dont le profit est le moteur. Le don n’est pas seulement le partage des richesses, mais un don de soi, l’entrepreneur est appelé à une conversion, c’est-à-dire à être au service de l’entreprise humaine et de la qualité de la vie des sociétés. Il ne s’agit pas seulement de distribuer des richesses avec justice mais de convertir son regard sur les hommes que l’on embauche. C’est très original et très coûteux, car il faut se retrousser les manches. C’est un changement de mentalité profond.

De même, Benoît XVI explique qu’il ne faut pas céder à la tentation de recherche de profits à court terme sans rechercher aussi la continuité de l’entreprise. Investir revêt une signification morale. Qu’en pensez-vous ?

Il s’agit d’avoir une vision au-delà de ce jeu de l’économie ultra-libérale qui joue avec des matières financières fugaces et virtuelles. Aller plus loin nous convie au Mystère de l’Incarnation. Ce sont des hommes qui entreprennent, qui travaillent, qui sont des partenaires. C’est la grandeur de l’homme, l’humanisation qui est en jeu. Servir l’homme dans la perspective de l’Evangile, c’est ne pas oublier que l’homme est appelé à être l’icône de Dieu. C’est dans le long terme que cette vision chrétienne sur l’homme se vit, non dans l’efficacité immédiate mais dans une fécondité de long terme. C’est un acte de foi.

Y a-t-il une manière différente d’aborder la question de l’argent quand on est un patron chrétien ?
L’argent ne peut plus être seulement une fin, ne peut pas être l’objectif ultime. L’argent est d’abord un moyen qui est donné pour atteindre des objectifs précis, qui est toujours l’enrichissement matériel des hommes, mais aussi l’enrichissement de tout l’Homme. Le Magistère et le pape ne cessent de redire qu’il faut considérer ‘tous les hommes et tout l’Homme’. L’argent n’est jamais une fin, c’est un moyen parmi d’autres.

Un patron chrétien, est-ce que ça existe ? Quelle différence y a-t-il entre un patron chrétien et un patron non chrétien ?
Les patrons n’aiment pas répondre à cette question, car des patrons chrétiens n’existent pas. Il existe des hommes et des femmes profondément saisis par la parole du Christ qui veulent vivre de l’Evangile. Ce n’est pas seulement une morale mais un acte de foi qui permet de bâtir, de créer, dans le sens d’une création qui a été confiée et que l’on a à embellir et à achever. Un patron qui est attaché à l’Evangile est un homme qui est porté par l’Evangile. Il va au-delà de lui-même. C’est foncièrement un homme d’Espérance. Il ne peut pas être en retrait, c’est quelqu’un qui affronte, parce qu’il n’est pas seul.

Quelles sont les autres missions qui vous sont confiées ? Comment allez-vous unifier l’ensemble ?
Je suis prêtre diocésain de Poitiers et chargé d’une mission dans le sud de mon diocèse, dans le pays mellois. C’est un pays qui a été très marqué par le protestantisme et la libre-pensée, assez pauvre sur le plan spirituel. Il y a un gros travail missionnaire à envisager. L’évêque me charge d’une mission particulière : créer un pôle spirituel auprès d’un monastère de bénédictines pour initier un ressourcement spirituel des petites communautés chrétiennes. Il s’agit d’aller dans ces communautés, de rencontrer les personnes, de redonner du goût à la prière et leur permettre d’ouvrir l’Evangile. C’est un travail de mission très élémentaire pour consolider ce tissu chrétien très fragile.

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