Haïti : « (Re) Vivre et croire encore »

« Vivre et croire en Haïti après le séisme du 12 janvier 2010 »

drapeau Haitien

A quelques jours du deuxième anniversaire du séisme en Haïti, le 12 janvier 2012, nous publions un article écrit pour la revue « Lumière et Vie » par Frère Manuel Rivero, o. p.Troisième et dernière partie : « (Re) Vivre et croire encore ».

 

Changements de mentalité et de conduite provoqués par le séismeLes réactions qui ont suivi ce jour funeste pour Haïti comprennent des sentiments et des pensées contradictoires.
Pour beaucoup les failles sismiques ont mis en lumière les failles psychologiques et spirituelles de leur vie. Les coordonnées de nombreux Haïtiens se sont déplacées pour trouver leur centre en Jésus le Christ. Dieu est devenu ainsi leur première priorité. Si certaines victimes du 12 Janvier sont devenus pessimistes, d’autres ont rejeté la tentation du repli sur soi afin de vivre pour Dieu : « Après le séisme, ma vie est mieux organisée et centrée sur Dieu. »
La culpabilité et la peur de mourir sans confession a rongé les consciences : « Le 12 Janvier je me suis réveillé de la somnolence du péché. »
La violence destructrice du tremblement a rehaussé l’importance de la famille et des liens avec des voisins qui paraissaient sans intérêt.
L’approche de la mort a fait penser aux non-dits. Il eût été frustrant de mourir sans avoir révélé l’amour que l’on portait dans son cœur à certaines personnes. Cette épreuve a souvent déclenché la communication. « J’arrive mieux à extérioriser mes sentiments », avoue une jeune fille.
Le tremblement de terre a fait prendre conscience de la valeur de l’instant présent : «  Je vis chaque jour comme s’il était le dernier pour ne pas le regretter » ; « Je me réveille chaque matin avec l’idée de croquer à plein la vie mais dans la droiture ». La vie apparaît comme un cadeau de Dieu dont il faut prendre soin avec simplicité : «  Vivre la vie au lieu de la compliquer ! » Ceci n’est pas en contradiction avec une prise au sérieux de l’existence et non comme un passe-temps : « Rien dans ma vie ne devrait désormais être pris à la légère. » La fragilité de l’existence appelle une plus grande exigence : « Cultiver plus d’amour pour autrui car on ne sait pas quand un être cher nous sera ravi » ; « seul l’amour est précieux ». La prière en famille après le séisme a rapproché ses membres. Il n’est pas rare d’entendre dire : «  Mon amour pour ma famille a grandi », «  je me suis rapproché de mes voisins ». L’oubli du « moi » a engendré un nouveau « moi ».
La notion du temps est devenue plus courte. La pensée de la mort s’est rapprochée de chacun. Un simple fil semble séparer les vivants des morts.
Pourquoi Dieu m’a-t-il laissé vivant ?  Si j’étais mort, qu’est-ce que je serais devenu ? Sur quel critère Dieu s’est-il basé pour choisir ceux qui devraient rester ?…
Pour beaucoup, le fait de rester vivant à côté des mourants relève d’une volonté divine. Le Seigneur a accordé la vie à certains en fonction des missions qu’Il leur confie.
Si Mgr Serge Miot, archevêque de Port-au-Prince, était mort rapidement dans les locaux de l’évêché, Mgr Benoît, vicaire général du diocèse, avait été retrouvé décédé près de l’oratoire de l’évêché, avec une hostie dans une main et un crucifix dans l’autre. Quelques gouttes d’eau ont dû lui permettre de lutter contre la mort dans l’agonie et cela pendant des jours et des heures dont nous avons du mal à imaginer la douleur. Dans la lumière de la foi, il est sûr que la prière des agonisants et des malades a agi dans le mystère de la Communion des saints qui relie les chrétiens dans le Corps du Christ, l’Église, comme une source de grâce dont nous sommes les bénéficiaires.

Perspectives théologiques et pastorales

Que faut-il faire ? Avec qui faut-il collaborer ? Quelle organisation faut-il mettre en place ? Quelles priorités pour l’Église après le 12 Janvier ? Quel plan d’action prévoir en dehors de l’aide urgente en médicaments et en nourriture ?
Voici quelques réalisations et quelques éléments de réflexion en vue d’une action selon l’Évangile.

Aide psychologique. C’est tout l’homme qui a été blessé le 12 Janvier. Il s’agit de guérir le corps, la psychologie et l’âme des Haïtiens. S’il est question de reconstruire Haïti, il ne faut pas oublier le besoin de reconstruire l’homme et la femme haïtiens.
La perte d’une mère, d’un père et d’êtres chers comporte aussi la mort d’une part de soi-même. Comment faire le deuil dans un contexte qui demeure éprouvant ? Comment vaincre la tendance à la dépression ? Comment dépasser les sentiments de peur et d’insécurité ?

Travail dans les camps des sinistrés. Dans les camps, le manque d’eau et de nourriture, l’insalubrité et la violence rendent amer le quotidien.
La dignité humaine s’affaiblit dans ce cadre de lutte pour la survie qui ressemble parfois à un genre de vie animal plutôt qu’humain.
Des religieuses et des religieux, des prêtres et des laïcs s’évertuent chaque jour dans les camps à soutenir à tout point de vue les familles qui depuis le mois d’octobre 2010 sont aussi menacées par le choléra.

Travail politique. La corruption a fait perdre l’estime de soi à beaucoup d’Haïtiens qui constatent une dégradation de la situation socio-économique depuis la fin de la dictature de Duvalier. Que de rêves déçus !
Le 14 mai 2011, Mgr Louis Kébreau, archevêque du Cap-Haitien et président de la Conférence épiscopale haïtienne, a prononcé une homélie remarquée à l’occasion de l’investiture du nouveau président de la République, Michel Martelly : « Qu’avons-nous fait de concret pour promouvoir la vérité et l’amour, la justice et la paix ? La passion de l’argent et du pouvoir a donné naissance à cette société faite encore d’exclusion et de discrimination ; société en pleine crise sociale, économique et politique. Tout notre système se retrouve ébranlé dans ses racines les plus profondes.»

Élaborer une catéchèse adaptée. La catéchèse suppose un effort pédagogique pour adapter le message aux mentalités et aux besoins humains. Il serait intéressant de développer une catéchèse de la relecture de l’expérience physique, psychologique et spirituelle vécue à partir du 12 Janvier de manière à affiner le sens théologique de ce peuple si religieux.
Il y sera aussi question de conversion mais sans oublier la dignité de la personne humaine : « Je suis désormais persuadée que le Seigneur veut nous faire découvrir toute l’ampleur de notre être, la beauté qui nous habite et que nous ne voyons pas parce que nous cherchons midi à quatorze heures. Cette beauté sortie de nous-mêmes, mise en commun, pourrait créer un monde au-delà de notre imagination. »

Proposer des formations et des engagements. La jeunesse aime particulièrement l’action et ceci encore plus après le 12 Janvier : «  Je ne me contente plus de rêver. J’agis ! » Ces engagements ne sont pas nécessairement spectaculaires : « Je suis influencé par des gens modestes, des gens qui réalisent toujours de bonnes choses. »
La dimension œcuménique de la foi chrétienne a été vécue de manière spontanée le 12 Janvier. Des catholiques et des protestants se sont mis à prier ensemble au lieu de se critiquer et de se disputer. Il serait bon de prolonger cet élan de communion.

Les femmes comme facteur de changement social. Le 12 Janvier a jeté dans la rue un grand nombre d’orphelins. Les filles et les jeunes femmes ont souffert de leur faiblesse physique et économique. Parmi les œuvres au service des femmes figure une association d’origine suisse d’inspiration chrétienne, Young Women Christian Association (YWCA-Haïti), qui travaille pour renforcer les capacités des jeunes femmes haïtiennes afin qu’elles deviennent autonomes et leaders du changement social dont le pays a besoin.

Fr. Manuel Rivero o.p.
Port-au-Prince (Haïti), le 29 mai 2011

Vicaire provincial des Dominicains en Haïti au moment du séisme, l’Espagnol est aujourd’hui Procureur au couvent des Dominicains à Marseille. En février 2010, nous avions publié son témoignage en trois volets.

Déjà publiés : Haïti : « Le jour du séisme » et Haïti : « Après le séisme ».

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Le CCFD-Terre Solidaire intensifie son soutien aux organisations locales haïtiennes

Le CCFD-Terre Solidaire soutient dans le pays 7 organisations locales de développement qui s’investissent aujourd’hui dans des projets à long terme. A ce jour, 1 400 533 € ont été engagés sur les 2 147 679 € collectés par le CCFD-Terre Solidaire suite au séisme, dont 430 000 euros consacrés en 2010 aux programmes d’urgence (kits alimentaires, abris pour les sinistrés, accès aux soins…). L’association prévoit d’engager 500 000 euros supplémentaires au cours du premier semestre 2012.

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