Lorsque l’Évangile rassemble au bas des tours
A Rennes, dans le quartier populaire du Blosne, tous les vendredis que Dieu fait, des habitants se retrouvent pour lire la Parole de Dieu au filtre de leur vie. En 21 années, « L’Evangile au bas des Tours » a ainsi permis de tisser tout un réseau de relations. Par Chantal Joly
14h. Une fois descendues du 14ème étage de leur tour, sœurs Michelle et Claudine, de la Congrégation des Sœurs du Christ Rédempteur, n’ont que quelques mètres à faire pour rejoindre dans un immeuble HLM le local associatif (gracieusement prêté par la municipalité). Une pièce claire tapissée de dessins, utilisée tant par des groupes d’ACE (Action Catholique des Enfants) que par des couturières et des Marocains qui y jouent aux cartes.
Le rituel est quasi immuable. Avant d’échanger sur le texte de l‘Evangile du dimanche suivant, le premier temps est celui de la convivialité autour d’un café, de tisanes et de petits gâteaux. Sœur Michelle distribue une invitation pour une soirée Fraternité organisée par la paroisse et la Mission ouvrière, tandis que les participants récupèrent le compte-rendu de la rencontre précédente à partir des notes d’Odile. Sur l’en-tête, une colombe tenant un rameau d’olivier dans le bec et cet intitulé : « Bonne Nouvelle de l’Evangile en bas des tours du Blosne ».
Les pages qui s’écrivent lors de cet après-midi sont celles des petits bonheurs comme des grosses galères (chômage, divorce, problèmes de santé, dépression…). Ainsi Monique, la doyenne du groupe, 87 ans, après avoir fait la bise à chacun, déclare : « depuis la semaine dernière la vie est la même, je souffre de solitude ». Son fils, trisomique, est placé dans une bonne institution mais assez loin. Lisette propose alors d’accompagner Monique à la soirée Fraternité. Quant à Pierre, il annonce qu’il va emmener sa fille en voyage et promet qu’il rapportera des cartes postales. Quelques minutes plus tard, il se lève et quitte l’assemblée. C’est la règle d’or : les personnes viennent quand elles veulent, repartent quand elles veulent ; « On peut être des mois sans venir et on est toujours accueilli comme si c’était hier », explique Marie-Thérèse que cette attitude a toujours « bluffée ».
Lisette, de la Congrégation des Filles de Jésus, évoque ses activités artistiques. Puis Marie-France, co-animatrice du groupe, enseignante retraitée, raconte son week-end avec La Pierre d’Angle/ Fraternité Quart Monde, en précisant que les nombreux ateliers organisés ont permis de « découvrir que chacun avait des capacités ».
Il est difficilement applicable cet Evangile !
Après l’écoute d’un chant, vint le partage effectif d’Evangile. Edouard lit le texte, aujourd’hui tiré de Matthieu « Aimez vos ennemis » (Mt5, 38-48). Marie se lance. Interpelée par la phrase « Et si quelqu’un veut te poursuivre en justice et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau », elle raconte comment, un jour, Saint Martin au féminin de notre temps, elle a déposé son propre manteau sur une personne de la rue qui dormait sur un banc et allait se faire arrêter par la police. Yvonne poursuit en avouant que « c’est un peu dur de prier pour ceux qui nous persécutent mais que, par la suite, ils vont peut-être changer, comprendre ». Sœur Claudine ajoute : « Quand on fait une démarche avec quelqu’un, on ne sait pas où ça va nous emmener ». Edouard, fin connaisseur des Ecritures, explique alors que dans le judaïsme, la loi du Talion dont il est question dans le texte « n’était pas la vengeance mais la réparation du tort causé » et il raconte comment confronté à un chauffard sur un passage clouté, il a réussi à « ne pas en rajouter » pour éviter ce que Lisette nomme « l’escalade de la violence ».
15h40. De retour du pôle emploi, Fabien, un jeune père de famille, s’installe. Marie-Thérèse insiste sur le fait que « ce n’est pas facile d’aimer des gens différents ». Dans ce quartier pluri culturel et pluri religieux -4 appartements, 4 pays différents à l’étage de sœur Michelle et de sœur Claudine-, la remarque vaut son pesant d’expérience.
La période préélectorale inspire. Il est question du Front national, des migrants (trois couples accueillent un couple d’Arméniens à tour de rôle), du voile islamique, de non-violence… Parmi les déclarations : « Dieu ne juge pas…il faut rentrer dans le dialogue et pas dans le rejet », « Dieu ne veut pas de résignés, il veut la perfection de l’amour… ». La conclusion de Marie-Thérèse fait consensus : « il est difficilement applicable cet évangile ! »
Heureux les fraternels !
Avant un Notre-Père récité en se tenant la main, la séance se termine à 16h30 par la lecture par Joël, le poète/militant de l’ACO (Action Catholique Ouvrière), de 12 Béatitudes qu’il a rédigées pour l’assemblée générale dont celle-ci : « Heureux ceux qui considèrent l’autre comme un frère, ils ne connaîtront pas la solitude ». La « carte des relations » établies avec les engagements des uns et des autres (accompagnement au deuil, collectif Dignité Cimetière ; Secours Catholique…) démontre à quel point « tout ça se tricote », comme dit Marie-France. Sans compter les transformations intérieures. Ainsi Yvonne, fidèle au groupe depuis dix ans témoigne : « Une amie m’a proposé. Je suis venue, je me suis plu. Cela m’a permis de connaître des gens et de penser plus aux autres ».
Dans la durée et l’ouverture
C’est à une femme du quartier, à l’époque collègue de sœur Michelle au nettoyage des trains, que revient l’initiative. De retour d’une réunion, Marie-Paule dit à sœur Michelle que la veille au soir les témoins de Jéhovah sont venus chez elle. « J’avais tellement envie de lire la Bible, que je leur ai demandé de me la lire » Cette phrase a secoué sœur Michelle qui lui propose d’aller partager l’Evangile chez elle, avec quelques autres personnes, après en avoir parlé aux prêtres de la paroisse. Marie-Paule en fixe même la régularité : « Ce sera toutes les semaines. » Toute l’année le groupe se retrouve. « Vous partez en vacances, nous on ne part pas ! » (Aujourd’hui, en l’absence des sœurs, un membre du groupe est responsable de la clé du local).
Pour éviter d’être fermé sur lui-même, le groupe a rejoint le Réseau Saint Laurent*. 3 personnes vont participer en mai à une session de « théologie pratique » à Tours et 12 ont pu vivre le grand rassemblement Diaconia de l’Ascension 2013.
*Des groupes chrétiens partagent en Eglise un chemin de foi avec et à partir des personnes vivant des situations de pauvreté et d’exclusion.