Madeleine Delbrêl, l’alliance entre vérité et charité
Les 17 et 18 octobre 2014 se tiendra à l’Institut catholique de Paris un colloque théologique international sur la personnalité et le rayonnement de Madeleine Delbrêl. Le Père Bernard Pitaud, sulpicien, spécialiste de ses écrits, évoque cette figure de sainteté disparue il y a 50 ans, dont le procès de béatification est en cours. Propos recueillis par Chantal Joly.
50 ans après sa mort, Madeleine Delbrêl ne reste-t-elle pas méconnue, voire caricaturée, réduite à ses relations avec le monde communiste ?
Ses relations avec les communistes constituent un aspect très important de sa vie. À Ivry, où elle s’était engagée avec ses compagnes dans le service social pour être le Christ au milieu d’une population incroyante et pauvre, elle a surtout été confrontée à l’athéisme marxiste militant. Mais on ne peut pas la réduire à cette facette. « Missionnaire sans bateaux », selon le titre d’un de ses textes les plus célèbres, elle a participé aux grands mouvements missionnaires de l’Église de France à partir des années 30. Dans la Lettre aux catholiques de France, les évêques la citent avec Thérèse de Lisieux comme une balise pour le 3ème millénaire!
Il ne faut pas oublier que Madeleine Delbrêl a été une contemplative. Dans l’action certes, la foi ne pouvant s’affirmer pour elle que sur la base d’une vie donnée, mise au service des autres -et il y avait du monde qui frappait à la porte du 11, rue Raspail…- mais c’était aussi une vraie mystique qui a connu des heures de ténèbres. Ses textes sur la prière, sur le silence, sur la transfiguration du quotidien habillé de la lumière de la foi, sont magnifiques.
On en a également fait une chrétienne marginale. C’est faux tant étaient grands son amour pour l’Église et son lien avec elle. Son néologisme « le Christ-Église » pour traduire l’Église Corps du Christ, ce n’est pas rien. Sa spiritualité, son œuvre sont du reste de plus en plus réputées et de nombreux chrétiens s’en inspirent aujourd’hui, en France et en Europe.
Le communisme a perdu de son influence. On ne parle plus d’enfouissement mais de Nouvelle Evangélisation. En quoi la figure spirituelle de Madeleine Delbrêl reste-t-elle moderne ?
Sa présence à Ivry n’était pas de l’enfouissement pur. Elle y était connue de tout le monde et tout le monde savait pourquoi elle était là, y compris les communistes qui ont vainement essayé de la tirer vers l’adhésion politique. Elle mesurait tellement combien la découverte du Dieu vivant avait changé sa vie qu’elle voulait le communiquer à tout le monde, mais sans que ce soit sous une forme tonitruante ou spectaculaire. C’est là où elle est intéressante, dans sa conviction que croire rassemble le savoir de la foi, le savoir-faire de la foi (la charité) et le témoigner sa foi, avec des mots qui sortent du cœur. Pour elle, la foi au Christ doit être dite à ce monde, les marxistes ont droit à l’Évangile, toute forme d’athéisme a droit à l’Évangile. Cette admiratrice de Charles de Foucauld pressentait déjà, en son temps, le désert spirituel au cœur des cités industrielles et du matérialisme en train de se répandre. Ce qu’elle écrit sur la solitude du chrétien dans le monde est très beau.
Vous travaillez sur ses écrits et ses archives depuis plus de 20 ans. Vous avez publié sur elle (1). Qu’est-ce qui vous touche le plus dans sa personnalité ?
Pour moi, un des signes de sa sainteté est peut-être le fait qu’elle ne disait jamais du mal de personne. Il lui arrivait de prononcer des paroles fortes mais elle n’était jamais dure. Ainsi, avec ses amis communistes, elle a été dans un vrai débat, un vrai dialogue. Elle a su manifester son admiration pour eux sans s’interdire d’exprimer certaines vérités. Lorsqu’en 1962, par exemple, elle est invitée à la réception donnée en l’honneur de Khrouchtchev, elle refuse, pour ne pas avoir l’air de cautionner la persécution religieuse des chrétiens de l’URSS. Pourtant, jamais ses positions n’ont provoqué de rupture. Elle était tellement authentique dans son engagement qu’elle était incontestable. Cette alliance entre vérité et charité la rend très actuelle. Il est si rare de trouver unifiées dans une même personne ces deux vertus : la bienveillance et la lucidité…
(1) Il est co-auteur avec le Père Gilles François, prêtre du diocèse de Créteil, postulateur de la cause en béatification, de Madeleine Delbrêl. Poète, assistante sociale et mystique (Ed. Nouvelle Cité, 2014).
Les événements du cinquantenaire de sa mort
Un colloque organisé par les « Amis de Madeleine Delbrêl » et « Nouvelle Cité » , présidé par Mgr Claude Dagens, évêque d’Angoulême et membre de l’Académie Française, rassemblant une vingtaine de théologiens et témoins d’Allemagne, Canada, Chine, Espagne, France, Italie et Liban.
L’ouverture du synode de l’Église du Val-de-Marne, par Mgr Michel Santier, évêque de Créteil, sous le patronage de Madeleine Delbrêl, le 12 octobre à Créteil.
Le dévoilement d’une plaque à la « Maison Madeleine Delbrêl » à Ivry par le maire, M. Pierre Gosnat, et Mgr Santier ; l’ouverture d’une « Maison Madeleine Delbrêl » à Lille proposant deux années de vie communautaire à des jeunes.
Une messe solennelle : le 18 octobre à 19 h 30 à Ivry.
Divers événements culturels : films, spectacle, publications d’ouvrages.