Au Pakistan, les lois anti-blasphèmes utilisées à des fins de persécutions contre les chrétiens
Pour la 15e Nuit des Témoins organisée par l’Aide à l’Église en détresse (AED), du 17 au 22 novembre 2024, Mgr Samson Shukardin, évêque d’Hyderabad (Pakistan) accompagné de Naeem Gill, directeur exécutif de la Commission catholique Nationale pour la Justice et la Paix (NCJP) de la Conférence épiscopale du Pakistan (ANCJ) – de passage à Paris — ont dénoncé les lois anti-blasphèmes qui menacent et marginalisent les chrétiens au Pakistan. Ces lois créent un climat de peur pour les minorités.
Au Pakistan, sur une population de 208,4 millions d’habitants, les chrétiens représentent 2% de la population, ce qui en fait une minorité religieuse dans un pays majoritairement musulman (96,3% de musulmans). Souvent perçus comme des citoyens de seconde zone, les chrétiens sont confrontés depuis 1986 aux lois anti-blasphèmes. Le Pakistan possède des lois strictes sur le blasphème, qui sanctionnent toute insulte réelle ou supposée envers l’islam ou le prophète Mahomet. Des allégations non prouvées peuvent conduire à des violences, des lynchages ou des peines sévères, y compris la peine de mort.
Les chrétiens ciblés par les accusations de blasphèmes
Au cours des dernières décennies, les outils de répression se sont intensifiés. Les chrétiens, en tant que groupe minoritaire, deviennent une cible facile. « Depuis les années 1980, le nombre de signalements pour blasphèmes a nettement augmenté », constate Mgr Samson Shukardin, évêque d’Hyderabad et Président de la conférence épiscopale au Pakistan. Ces lois restrictives sont continuellement utilisées à des fins de persécutions.
Le nombre de personnes emprisonnées est passé en quatre ans de 11 à 767 (selon les chiffres de la Commission de 2024). « Une nouvelle tendance préoccupante est apparue, je veux parler de l’accusation de blasphème numérique. De plus en plus souvent, des malfaiteurs piègent les chrétiens via leurs téléphones, explique Mgr Shukardin. « Par exemple, une fille envoie un message à un garçon chrétien pour nouer une relation dans un jeu de séduction. Une fois cette relation établie, la fille lui envoie un message avec un contenu offensant pour l’islam. Dès que le contenu est dans le téléphone du garçon, celui-ci est accusé de blasphème. Bien sûr, la jeune fille nie lui avoir envoyé un tel message. La répression judiciaire se met alors en marche pouvant conduire le garçon à des années de prison et la peine de mort. »
On pouvait espérer que la mobilisation internationale qu’elle avait suscitée avait mis fin à ses pratiques. Or, il n’en est rien !
L’année qui vient de s’écouler a vu se produire le cas de deux personnes condamnées à mort pour blasphèmes. L’affaire Ehsan Shan, un jeune chrétien pakistanais récemment condamné à mort par un tribunal pour avoir prétendument partagé sur TikTok un contenu considéré comme blasphématoire envers l’islam, et aussi celui de Shagufta Kiran. « Le 18 septembre 2023, cette mère de famille de 40 ans, a été condamnée à mort, accusée d’avoir envoyé un commentaire blasphématoire à partir de son téléphone. Son cas ressemble beaucoup à celui que vous connaissez déjà, Asia Bibi. Cette femme, condamné à mort pour blasphème, avait été reconnue innocente et libérée », relève-t-il. Du fait de cette tragique affaire, elle avait passé dix années de sa vie en prison. Mais la vérité a triomphé ! On pouvait espérer que la mobilisation internationale qu’elle avait suscitée avait mis fin à ses pratiques. Or, il n’en est rien ! Non seulement des Pakistanais, mais aussi des chrétiens continuent à être condamnés pour blasphème, mais ces condamnations s’aggravent. »
Dans la société civile, « les discours de haine et la discrimination dans l’éducation, l’emploi et la vie politique marginalisent davantage ces communautés. Leur situation n’a cessé d’empirer au fil des ans. La discrimination et l’exclusion s’enracinant dans tous les aspects de la vie. Les interactions sociales sont entachées de préjugés notamment la réticence à se serrer la main, à partager des repas ou à s’assoir ensemble. Un tel comportement s’étend à la violence verbale où les chrétiens sont traités avec des titres désobligeants, moqués pour leur croyance et soumis à des commentaires offensants. »
Quel rôle pour la commission catholique pour la Justice et la Paix ?
Il existe au Pakistan, la Commission catholique Nationale pour la Justice et la Paix (NCJP). Son objectif est de promouvoir les droits humains, la justice sociale, l’égalité et la paix, en accord avec les enseignements de l’Église catholique. « Depuis 1985, la commission défend les chrétiens confrontés à la radicalisation de l’islam au Pakistan, soulève Mgr Shukardin. « Les minorités religieuses subissent une atmosphère de peur et d’oppression. La violence et les assassinats ciblés restent une triste réalité. »
Les jeunes filles chrétiennes sont aussi parfois enlevées, forcées de se convertir à l’islam, puis mariées contre leur gré. « Elles sont aussi de plus en plus victimes d’enlèvements, de conversions, de mariages forcées et d’agressions sexuelles. » Des campagnes éducatives sont organisées pour mieux informer les fidèles des risques qu’elles encourent. Une des missions de la commission est d’aussi reloger les familles victimes de menaces. « Une accusation blasphématoire ne se répercute pas sur une seule personne, mais sur toute la communauté et la famille proche. Il ne faut pas raisonner à l’échelle individuelle, mais à l’échelle communautaire. Effrayées, les familles sont contraintes de se cacher ou de fuir leur village. »
Le respect des droits humains contre les discriminations
La commission engage des actions de sensibilisation pour protéger des chrétiens des discriminations. Son travail est crucial pour améliorer les conditions des minorités. « En plus de défendre juridiquement les chrétiens persécutés devant les tribunaux, nous sensibilisons activement l’opinion publique par des actions de plaidoyer. Il s’agit notamment d’impliquer les chefs religieux, les organisations de la société civile et la communauté juridique de diffuser des campagnes sur les réseaux sociaux, mais aussi de faire pression auprès des parlementaires et de formuler des recommandations politiques » pour que les droits humains soient respectés.
Mgr Shukardin garde l’espoir d’une société où chacun peut vivre librement sa religion, dans le respect mutuel et la dignité humaine. « J’espère que ces efforts mèneront à des changements significatifs, avec un dévouement continu. L’organisation envisage un avenir où la liberté de religion et de conviction sera respectée, favorisant la coexistence pacifique et le respect mutuel entre tous les citoyens. Malgré ces pressions quotidiennes, la ferveur de la foi des chrétiens est croissante. »
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