Tchad : « L’Église témoigne d’une certaine Espérance qu’il faut rendre à ce pays »

Mgr Edmond Djitangar, Archevêque de N’Djamena au Tchad officie depuis 2016 sur un territoire étendu de 1100 km2 avec ses 300 000 fidèles. Il s’inquiète de la flambée de violence islamiste dans son pays et la pression des groupes armés qui terrorisent le Sahel.

Tchad« L’Église du Tchad n’est pas persécutée mais nous avons des relations très difficiles avec le pouvoir qui est à tendance dictatoriale », lance Monseigneur Edmond Djitangar, archevêque de N’Djamena (Tchad). Depuis l’indépendance du pays le 11 août 1960, le Tchad a connu une succession de conflits et de guerres civiles, notamment de 1965 à 1979 et de 2005 à 2010. « Le 21 avril 2020, Idriss Déby Itno, le Président de la République est mort tragiquement. Le Tchad vit un régime de transition démocratique qui n’en finit pas », souligne-t-il. Son fils Mahamat Idriss Déby l’a remplacé au pouvoir et les institutions démocratiques sont au point mort ! », s’exclame-t-il. Les élections prévues le 20 octobre 2022 ont été annulées. La société civile et opposition ont refusé la mainmise des militaires sur le pays. Des manifestations ont été réprimées entrainant une centaine de morts, des exécutions sommaires, et une chasse à l’homme. « Tout ce qui ressemble à une opposition est pourchassée », précise Mgr Edmond Djitangar.

« La violence, nous l’avons toujours condamnée. » Face à la contestation, l’Église tchadienne fait entendre sa voix depuis plus de quarante ans. « Elle a toujours eu un discours social notamment à propos des violations des droits humains, des injustices ou envers les populations les plus déshéritées », insiste-t-il. « Nous n’avons jamais eu de difficultés à nous exprimer, à manifester ou même à nous organiser mais dans un contexte de méfiance et d’hostilité vis-à-vis du pouvoir en place. »

A ses détracteurs qui pensent que l’Eglise sort de son périmètre en prenant position, Mgr Djitangar répond : « Pouvons-nous annoncer l’Évangile sans dénoncer les injustices ? » Ces actes ne sont pas sans conséquences. « Nous subissons des représailles indirectes. Par exemple, nos écoles et nos institutions privées et sociales ne sont pas dotées par l’Etat de dotations ou de subventions. »

Le Tchad, carrefour de culture

La région se situe dans un carrefour culturel et religieux. Toutes les influences sont représentées. « Des arabo-berbères dans l’extrême nord du pays à l’influence negro-soudanienne dans le centre et le sud du pays. » Le christianisme s’est implanté au Tchad dans la première moitié du XXe siècle. « C’est le dernier territoire à avoir été évangélisé en 1929 par les missionnaires » par les père spiritains. Suivront tour à tour « les jésuites, les Capucins, les Oblats de Marie et les Salésiens ». Aujourd’hui, la population tchadienne est composée de de 55% de musulmans, 35% de chrétiens catholiques et protestants et 10% de religions traditionnelles.

Face à la montée extrémiste des djihadistes au Sahel qui pourrait déstabiliser toute la région, Mgr Djitangar prône le dialogue interreligieux pour la paix dans son pays. Pour garantir le dialogue, « des instances ont ainsi été créées comme la Commission justice et paix ou la plateforme des religieux. » L’objectif ? Organiser des rencontres avec les protestants, les musulmans où les leaders religieux traitent de problèmes communs ou des questions morales. Les questions politiques divisent les représentants religieux. « Les musulmans qui soutiennent majoritairement le pouvoir voudraient qu’on s’aligne derrière eux. »

Le Tchad est un pays laïc. « Chez les musulmans, le chef politique nomme le chef religieux. Leurs paroles ne sont pas libres. Les catholiques et les protestants peuvent plus facilement critiquer le pouvoir en place. »

Les évêques tchadiens, des veilleurs dans la cité

Mgr Djitangar et les huit autres évêques tchadiens font aussi passer des messages pastoraux par le biais de colloques scientifiques internationaux.  Sous le haut patronage de son éminence le Cardinal Peter Turkson, préfet du Dicastère pour la promotion du développement humain intégral, ils ont animé en décembre 2021 le débat : « Les veilleurs sur la cité : messages des évêques à l’église et à la nation de 1965 à 2020 ». Une manière de montrer que l’Église est un peu comme les sentinelles dans le livre d’Ésaïe. « L’Eglise témoigne d’une certaine Espérance qu’il faut rendre à ce pays. Celui qui n’a pas la foi n’a pas le sens de l’histoire ! Avec ses 2000 ans d’histoire, elle pense toujours qu’elle va s’en sortir. Elle a les moyens de résilience et surtout elle forme et éduque la population au vivre-ensemble et à la paix sociale. »

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