L’avenir du travail dans la transition écologique
Fraichement diplômée de l’EHESS, Louise Roblin commençait en 2017 une thèse en philosophie politique sur « Le travail dans la transition écologique : les évolutions de la Doctrine sociale de l’Eglise », à Panthéon Sorbonne. Un sujet innovant qui l’enthousiasme. Cette thèse s’effectue dans le cadre des conventions industrielles de formation par la recherche (Cifre). Ainsi, elle est aussi chargée de projet au Centre de recherche et d’action sociales (Ceras) où elle coordonne la branche de recherche « Travail dans la transition écologique ».
Quel est votre parcours ? Quelles sont les raisons pour lesquelles vous avez choisi le travail comme objet d’étude ?
Après avoir obtenu un diplôme de Science Po et une licence de physique à Paris 6 , je me suis concentrée en master sur les questions environnementales. J’ai étudié la science de l’environnement à Paris 6, et les politiques de l’environnement à Sciences Po. Pendant un an, j’ai ensuite réalisé en 2015 un master recherche à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) sur « L’écologie chrétienne, renouveau du politique ? », un essai d’analyse théologico-politique qui portait sur l’encyclique Laudato si’. J’ai essayé de voir en quoi cette encyclique était ancrée dans une tradition, et en quoi elle apportait quelque chose de radicalement nouveau. Je suis actuellement en thèse de philosophie politique, spécialisée dans les questions environnementales. Mon objet d’étude est : « comment la question du travail est-elle abordée dans la Doctrine sociale de l’Eglise aujourd’hui ? »
Votre thèse porte sur le concept de travail dans la transition écologique ? Quelles sont ces transformations que connait le monde du travail ?
D’abord, le travail est un lieu qui met en lumière les inégalités sociales. C’est une banalité : certaines personnes sont loin de l’emploi. D’autres ont un travail indigne qui ne leur procure ni fierté ni une qualité de vie suffisante, tandis que les plus chanceux bénéficient d’un statut social, d’une rémunération importante, et jouissent d’une reconnaissance sociale et économique.
Le travail se confronte directement aux enjeux écologiques, par des métiers – qui ne sont pas nécessairement mauvais individuellement – mais qui participent à un système très dangereux pour la planète à long terme. Ce sont des métiers qui contribuent à une façon de produire, de consommer, et d’échanger des biens ou des informations qui ne prend pas en compte la pollution, les ressources et la biodiversité, et la dignité des travailleurs.
Il se trouve que les deux enjeux vont souvent de pair : les travailleurs les plus précaires et exclus sont également les plus exposés aux risques environnementaux. Inversement, certains métiers très valorisés socialement et économiquement contribuent à un modèle de production et consommation qui n’est pas durable. Nous avons donc par le travail, la possibilité de prendre soin de notre écosystème et des générations futures en inventant un monde durable. C’est un lieu où nous pouvons nous mettre à l’écoute de la « clameur de la Terre » et de la « clameur des pauvres », pour reprendre les termes du pape François. C’est assez rare d’entendre les deux en même temps.
L’an dernier, vous coordonniez l’organisation d’un colloque international sur le travail. Au sortir de ces deux jours de réflexion, vous avez coordonné la rédaction d’un « Manifeste pour un travail décent et durable ». Quelles conclusions avez-vous pu en tirer ?
Ce colloque de mai 2019 à la Maison de l’Unesco doit être replacé dans le cadre du Centenaire de l’Organisation internationale du travail-1919-2019 (OIT). Son thème : « Quel travail pour une transition écologique solidaire ? ». Pendant deux ans, un groupe d’une trentaine d’acteurs sociaux : des associations, des Organisations non gouvernementales (ONG), des syndicats, des mouvements d’Eglise des cinq continents, ont travaillé conjointement grâce à un processus de recherche-action. Nous avons choisi comme point de départ le vécu réel des travailleurs, où qu’ils soient.Or, malgré la diversité des expériences selon les pays, les métiers ou les statuts sociaux, et quelle que soit également la définition que nous donnons aux mots « travail », ou « transition », on retrouve toujours cette corrélation entre la précarité sociale et l’exposition aux risques environnementaux – comme une double peine sociale et écologique. C’est pourquoi il nous semble important de penser le travail d’un point de vue social et écologique, y compris dans la doctrine sociale de l’Église.
En cette période particulière de crise sanitaire de grande ampleur, l’équipe du Centre de recherche et d’action sociales – dont vous êtes membre – s’est exprimée dans un édito : « Face aux crises, ouvrir un chemin de conversion radicale ». Quels messages souhaitez-vous relayer ?
Cette crise a été vécue comme une remise en question du modèle actuel envers lequel nous étions déjà très critiques depuis plusieurs années. C’est notre marque de fabrique au Ceras d’apporter un regard constructif sur le monde à la lumière de la Doctrine sociale de l’Eglise (DSE). Pendant le confinement, de nombreuses personnalités ont écrit des tribunes dans les journaux pour parler du « monde d’après ». Cela s’apparente à une forme de pensée magique, sans qu’on sache tellement comment y parvenir. Il y avait une croyance qui nous laissait penser que notre vie serait forcément différente après. Par ailleurs, nous n’avons observé que très peu de prises de parole au sein de l’Eglise sur l’importance sociale, sociétale, environnementale de ce que nous étions en train de vivre. En tant que chrétien, il est vraiment important de mettre en œuvre un chemin de la conversion dans notre rapport au monde. Nous ne pouvons pas continuer à utiliser ce monde et les autres sans d’abord les recevoir gratuitement.
Vous appelez à repenser la Doctrine sociale de l’église (DSE). Pourquoi ce choix ?
L’encyclique Laudato Si’ du pape François propose des intuitions très intéressantes, qu’il importe de creuser. Les grands principes de la Doctrine sociale de l’Eglise reposent aujourd’hui sur des aspects sociaux primordiaux comme la justice sociale, la dignité ou la solidarité. Mais il faut aussi prendre en compte le monde vivant dans son ensemble. Le pape François, à la suite de saint François d’Assise, appelle la terre « sœur notre mère », appelant à penser que chaque créature possède une valeur intrinsèque. Si bien que tous les principes mis en application, depuis la fin du XIXe siècle, dans le champ du travail, sont aujourd’hui à repenser et à élargir.
Quelles sont vos aspirations à long terme sur le plan de l’écologie politique ?
L’écologie scientifique est une sous-branche de la biologie qui étudie les interactions au sein d’un écosystème. Mais l’écologie politique est un champ d’action très large, qui englobe les enjeux écologiques dans nos actions sociales, dans la politique, nos interactions, le domaine de la recherche… Sans consensus en son sein, elle propose d’abord une remise en question et une prise de conscience. En tant que chercheuse, je ne peux pas étudier la philosophie politique sans parler d’écologie. Nous sommes une génération qui doit s’engager. C’est l’enjeu du siècle !
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"Face aux crises, ouvrir un chemin de conversion radicale".
— Louise Roblin (@Louise_Roblin) May 14, 2020
Un petit mot de l'équipe @Ceras_dse en ces temps particuliers : https://t.co/pavpKtmdA0
"Repenser le #travail et l’#emploi par l’#écologie" La crise de l’emploi est telle qu’il semble devenu tabou d’évoquer celle du travail. Pour faire face à ces deux crises, Dominique #Méda propose la reconversion écologique.https://t.co/Acuh29PDzT
— Revue Projet (@RevueProjet) May 8, 2020