Joseph Thouvenel : « Le lien humain reste essentiel dans les entreprises »
La crise sanitaire du COVID-19 a bouleversé nos manières de travailler. Chômage technique, chômage partiel, télétravail… Joseph Thouvenel, Secrétaire confédéral de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) a répondu à toutes nos questions. Pendant le confinement, le syndicaliste a épaulé et renseigné les entreprises et les salariés qui l’appelaient. Cette période a entrainé, chez lui, une longue réflexion sur l’économie et la société mondiale.
Quel regard portez-vous sur cette période de crise sanitaire qui vient de s’écouler ?
La société a été touchée de plein fouet par cette pandémie de COVID-19. La présence du risque de la mort est quelque chose que nous avions tendance à masquer. Nous vivons dans un monde où nous essayons de balayer toutes les formes de risques. L’être humain, avec son intelligence, ses sciences son savoir-faire, n’est ni le maître du temps ni le maître de la vie. Certains affirmaient pourtant que nous avions la capacité de tout réguler, d’être les maîtres de la vie et de la mort, voire d’inventer l’homme augmenté.
Cette crise sanitaire nous fait prendre conscience qu’il faut revenir à des choses plus simples. Il ne faut pas perdre de vue les rapports humains y compris dans l’économie. Revenir à une économie saine et de proximité, est essentiel. Cela pose la question de la production en circuits courts pour les agriculteurs, ainsi que nos modes de consommation.
La mondialisation est ce que nous en faisons. Nous devons nous ouvrir sur l’extérieur, et travailler avec d’autres mais à condition de respecter le principe du travail décent. Par exemple, la Confédération française des travailleurs chrétiens a demandé aux autorités politiques de reconsidérer certains accords internationaux, car ils devraient prendre en compte des clauses sociales obligatoires. Nous avons aujourd’hui de multitudes de protections concernant les marchandises et pas pour les femmes et les hommes qui fabriquent celles-ci.
Quelles leçons tirez-vous de ces semaines de confinement ?
Nous devons retrouver une nouvelle proximité avec la valeur travail que la société perd de vue. De nouveaux liens de proximités se sont créés. Par exemple, nous applaudissions chaque soir à nos fenêtres, pendant le confinement, le personnel soignant. Les hôtesses de caisse, les éboueurs, les livreurs, travaillaient aussi durement. Souvent ignorés voire méprisés, nous avons redécouvert que ces métiers sont utiles et très mal payés. En tant que syndicaliste chrétien, j’invite à relire Saint Thomas d’Aquin qui a théorisé sur le juste salaire. Chacun – de par son labeur – doit pouvoir vivre dignement, et épargner. C’est l’occasion de remettre au centre du jeu économique et social ces valeurs essentielles. Le « nouveau monde » doit revenir aux fondamentaux et permettre à chaque travailleur, quelque soit son statut : salariés, indépendants, artisans ou commerçants, de pouvoir vivre dignement avec les siens.
Quelles seront les conséquences économiques, sociales et humaines de la crise sanitaire à court et long terme ?
Au niveau économique, nous pouvons craindre des fermetures d’entreprises, des licenciements et une forte augmentation du chômage. Je pense tout particulièrement aux travailleurs indépendants qui avaient lancé leur entreprise sans cotiser à un système de protection sociale. Sans protection sociale, ils ne peuvent pas bénéficier des mesures de chômage partiel. A court terme ce sont des situations difficiles et dramatiques. A long terme, chacun a des droits et des devoirs, et porte aussi des responsabilités. Notre responsabilité collective c’est d’aider ces personnes, et ces entreprises en grandes difficultés. Cessons de pousser vers une société qui envoie les gens dans le mur. La colère sociale et la pauvreté sont grandissantes. Aurons-nous le courage de mettre en œuvre des solutions pérennes ? Cela passe par un diagnostic en vérité.
Vous avez justement signé une tribune avec quinze autres personnalités dans laquelle vous appelez les catholiques à aller au-devant de leurs concitoyens fragilisés par la crise sanitaire…
Cet appel remet en lumière les plus fragiles. Nous sommes dans une société où nous nous coupons des uns des autres. Or, nous devons agir en « frère », c’est le sens de cet appel. Le plus fragile peut être celui qui travaille durement avec un faible revenu. Pendant le confinement, les personnes sans-abri étaient plus vulnérables car elles ne pouvaient plus faire la manche. Elles se sont retrouvées sans possibilité de vivre. De nombreuses paroisses et des chrétiens se sont mobilisés pour leur venir en aide. Sans oublier aussi, les personnes enfermées chez elles, qui n’avaient plus de contacts humains avec l’extérieur.
L’attention aux plus fragiles porte aussi sur le repos dominical, et les personnes qui travaillent le dimanche. Nous avons besoin d’un temps collectif en famille ou avec des amis. Un moment où la production est mise entre parenthèse. C’est important de remettre ces temps au cœur de notre vie.
Depuis la mi-mars, les entreprises ont dû adapter leur organisation de travail. Cinq millions de salariés ont basculé en télétravail. Malgré le déconfinement progressif, cette situation va perdurer jusqu’en septembre. Comment se passe la reprise du travail en présentiel et la continuité du télétravail dans les entreprises ?
Le télétravail est un outil. Dans cette période de pandémie, le télétravail a été très utile, il facilite la vie des salariés et des entreprises. Comme tout outil, il faut s’en servir de manière raisonnable. Le télétravail ne peut pas être appréhendé de la même façon pour toutes les professions. Mais le lien humain reste essentiel. Ne brisons jamais le lien social. Nous devons laisser du temps pour les rencontres qui apportent autre chose que la simple relation à travers une visioconférence. La société doit être au service de l’humain. Nous ne sommes pas des machines. Ces objets doivent être au service du développement humain intégral, et non l’inverse.