La disparition du grand orgue de la cathédrale de Nantes
Il avait traversé quatre siècles d’histoire. Dominant la nef, l’orgue du XVIIe siècle de la cathédrale Saint-Pierre et Saint-Paul de Nantes a disparu dans l’incendie criminel le samedi 18 juillet 2020. Depuis 2007, Michel Bourcier, est l’un des trois titulaires de l’orgue de la cathédrale. Sa destruction le dévaste. Il évoque une « perte irréparable » mais pense déjà à la reconstruction de l’instrument.
L’instrument a été entièrement détruit dans le sinistre alors qu’il dominait l’édifice depuis plus de quatre siècles. Cet instrument avait déjà échappé à de nombreuses destructions lors de la Révolution Française, aux bombardements de 1944, et à l’incendie du 28 janvier 1972. Comment avez-vous vécu cet événement ?
C’est une perte patrimoniale irréparable ! Nous sommes très peinés et nous allons souffrir d’un manque pendant quelques années. Le matériel historique qui était présent – depuis quatre siècles – a entièrement disparu sous les flammes de l’incendie. Plusieurs séries de tuyaux dataient de 1621 et de 1784. L’orgue qui avait été modernisé en 1971 n’était plus un instrument « historique » au sens premier du terme. Mais il comprenait du matériel historique de grande valeur que nous nous apprêtions à rénover. Un orgue s’entretient tous les cinquante ans. Nous avions commencé une réflexion sur les futurs travaux de restauration. Nous nous demandions comment mettre en valeur ce matériel ancien.
Quel lien particulier aviez-vous avec cet orgue ?
C’est l’instrument avec lequel je jouais régulièrement et que j’aimais profondément. À ce titre, je ressens plus douloureusement sa perte. Nous sommes trois titulaires de l’orgue. Nous continuerons d’assurer les offices liturgiques au sein de la chapelle de l’Immaculée qui dépend de la cathédrale ou à l’église Saint-Similien de Nantes. Nous continuerons d’être les organistes du Culte de la cathédrale. En parallèle de mon contrat diocésain, je suis aussi professeur au Conservatoire de Nantes.
Au fil des siècles, plusieurs personnages ont participé à l’histoire de l’orgue : les facteurs Jacques Girardet, François-Henri Cliquot ou Joseph Beuchet, et il a fait l’objet de cinq restaurations portant le nombre de tuyaux à 5500 tuyaux. Pouvez-vous nous raconter l’histoire et les particularités de ce joyau ?
La cathédrale de Nantes a été érigée en 1434. Pour des raisons liturgiques, le Chapitre décide au XVIIe siècle de construire une tribune à l’entrée de la cathédrale et d’édifier un grand instrument. L’orgue est conçu en 1621 par le facteur Jacques Girardet et comprend 27 jeux. C’était un instrument à deux claviers qui comportait deux buffets. A la fin du XVIIIe siècle, deux facteurs Adrien Lépine et François-Henri Cliquot sont appelés pour agrandir l’orgue. La restauration-extension de 1784 permet de livrer un orgue à clavier et 51 jeux. La cathédrale est rendue au Culte sous Napoléon. Le facteur Joseph Merklin (1819-1905) met au goût du jour l’esthétique de l’instrument, change la soufflerie, et recule l’orgue d’1,50 mètres afin de construire des gradins et d’y installer la maîtrise de 70 chanteurs en haut de la tribune.
Au XXe siècle, l’orgue est de nouveau fatigué. Le chanoine Marcel Courtonne (1883-1954) souhaite une nouvelle restauration de l’instrument notamment par la création d’un clavier appelé : « le récit expressif ». L’ouverture des jalousies permet de jouer plus ou moins fort. Cet instrument est inauguré en 1933 par le facteur Louis Gloton. En 1944, le souffle de la bombe sur la sacristie endommage l’instrument. La restauration est confiée au facteur Joseph Beuchet qui commence les travaux dans les années 1950. Inauguré en 1971, c’est sur cet instrument que je jouais vendredi 17 juillet, la veille du sinistre.
Depuis 1627, 34 organistes se sont succédé, quelle touche personnelle avez-vous pu apporter ?
Je me situe dans cette lignée d’organistes qui essaient de faire en sorte que la liturgie soit la plus belle possible. Ma touche personnelle réside dans le répertoire contemporain. J’ai joué pour le festival de musique classique : « La Folle journée » où nous avions donné en représentation l’intégrale de Jean-Louis Florentz, un compositeur reconnu, admiré, et respecté des organistes. Sa musique est jouée dans le monde entier, et il était venu jouer à la cathédrale de Nantes.
La Fondation du patrimoine a lancé un appel aux dons en partenariat avec le ministère de la Culture. Que pensez-vous d’une éventuelle reconstruction à l’identique dans les années à venir ?
Il va falloir réfléchir à l’orientation que prendra cette reconstruction. Reconstruire à l’identique est impossible car l’orgue était composite dans sa structure. Cela est dû aux différentes strates historiques. Par contre, j’espère que nous tiendrons compte de l’histoire de l’orgue. Ces concertations auront lieu entre les instances de l’État et les titulaires de l’orgue. Il faudrait envisager un orgue contemporain. J’aimerais personnellement retrouver certaines sonorités musicales. Deux orientations seront envisageables comme des jeux de mutations basées sur les harmoniques naturelles où les tuyaux pourront produire de nouveaux sons. La mise en place d’une transmission informatique avec le déploiement d’un matériel acoustique pourrait participer également à ce nouveau fonctionnement.