Présidentielles 2022 : les grandes tendances du terrain

À quelques jours du premier tour des élections présidentielles, les diocèses, mouvements et services d’Église tentent de faire entendre les préoccupations des jeunes, des travailleurs et des familles, parce que chaque voix compte. Par Florence de Maistre.

Un pluralisme inconfortable et nécessaire : j’aime beaucoup ces mots de Mgr Matagrin qui évoquait ainsi dès 1972 les catholiques et la politique. Il n’y a donc pas de vote catholique, mais des catholiques qui votent”, lance François Fayol, diacre permanent du diocèse de Créteil et animateur du relais des élus. À la suite de la publication de L’Espérance ne déçoit pas, repères de discernement sur la vie sociale et politique, par le Conseil permanent de la conférence des évêques de France, les diocèses, mouvements et services d’Église se saisissent également des échéances électorales toutes proches pour initier un dialogue, participer aux débats et à la vie démocratique.

Si près de 280 personnes ont été directement touchées dans le diocèse de Créteil grâce à l’organisation d’une rencontre avec les élus locaux, d’une grande réunion diocésaine et de cinq rencontres dans les doyennés, Guillaume Houdan, diacre permanent pour le diocèse de Rouen, exprime quant à lui sa déception. Ses propositions, conçues comme des temps d’échange et de partage n’ont reçu que très peu d’écho auprès des diocésains. Sur la paroisse d’Yvetot, 40 personnes certes motivées se sont déplacées, contre 200, c’était exceptionnel, il y a deux ans à l’occasion des élections municipales. “Les chrétiens portent une réflexion individuelle, mais ils ont des difficultés pour discuter politique ensemble. Et puis, l’ambiance n’y est pas. Je ressens comme une lassitude, une fatigue à la suite de la crise du Covid, un repli sur soi. J’ai rarement entendu une telle méfiance, une telle forme de désillusion. Or la politique interroge le vivre ensemble et le bien commun”, rappelle Guillaume Houdan en partageant sa perplexité.

Hiatus et consensus

“Nous avons pris le temps de réfléchir avec d’autres sur les thèmes forts de la campagne, non pas à partir des programmes, mais des sept points d’attention proposés par les évêques”, indique François Fayol. Dans l’échange serein, le partage de questions et de convictions, il ne s’agit pas d’évoquer tel ou tel candidat. Mais dans les retours individuels, Guillaume Houdan pointe les questions que posent la candidature d’Éric Zemmour. “Il pourrait être le candidat d’une certaine idée de la France, y compris de son influence chrétienne. Mais sans les valeurs évangéliques, cela interroge profondément », rapporte le diacre. En revanche, les sujets bioéthiques, pour le respect inconditionnel de toutes vies humaines, font consensus.

Attachée aux thèmes de l’éducation, de la politique familiale et de la bioéthique, la confédération des AFC, qui représente 25 000 familles en France, propose sur son site internet un comparateur des programmes famille de chaque candidat, en libre accès, sans commentaire. Pour François Lesecq, administrateur de la confédération des AFC en charge de ce comparateur, il y a parmi les candidats des déconstructeurs de la famille, certains qui peuvent mieux faire, quand d’autres ne reconnaissent pas la famille comme socle de la société. “Il y a des sujets qui nous apparaissent comme une glissade possible vers du moins bon. Nous voyons une ligne rouge : l’euthanasie. Quel que soit le nom que l’on lui donne, c’est un sujet extrêmement difficile et délicat, source de rupture des relations familiales, un souci commun à tous les chrétiens. Certains candidats s’expriment très clairement, Jean-Luc Mélenchon est explicitement pour. Quand d’autres comme Emmanuel Macron renvoie la question à une éventuelle convention citoyenne et aux risques de manipulation qui peuvent l’accompagner. Nous souhaitons l’application de la loi, sans vouloir la changer à chaque instant, et développer les soins palliatifs partout où cela est possible. Devant l’individualisme galopant, la famille reste la base de la cohésion nationale. Cette cohésion est bien plus importante que tous les sujets fiscaux !”, s’exclame François Lesecq.

Alors qu’elle est toujours la valeur refuge des Français, voire refuge tout court en temps de crise, la famille arrive souvent loin derrière les sujets dits de société, et encore quand elle est évoquée par les candidats. Elle est aussi contrariée au regard de son désir d’enfant. Le taux de natalité en chute depuis 10 ans, de 1,8 enfants par femme en France est inférieur au nombre idéal de 2,4 enfants souhaité (chiffres clés de la famille Unaf 2019). “La mesure emblématique pour les familles que l’on retrouve dans tous les programmes s’attache au nombre de places de crèches. On devrait plutôt se demander quels sont les freins au développement de la famille : problème de logement, manque d’accompagnement, manque de confiance dans la société ?” interroge François Lesecq.

“Dans le même bateau en humanité”

“Au moment où la grande gagnante risque d’être l’abstention, face à l’autisme dont la France semble souffrir, face à la guerre des égos, à la crise du politique, nous voulons faire entendre la voix des invisibles, des plus petits. Il est là, l’enjeu de la société”, annonce le P. Frédéric Lanthonie, délégué national de la mission ouvrière. En s’appuyant sur les engagements de chaque groupe (JOC : “Nous ne sommes pas à vendre”, ACO : “Débattons, engageons-nous et votons”, prêtres ouvriers : “Debout, les affamés de justice”, etc.), la mission ouvrière encourage encore la réflexion. L’enjeu numéro un ? Répondre à une attente de citoyenneté, de reconnaissance et de démocratie. Les gilets jaunes ont mis en évidence nombre de dysfonctionnements et le premier confinement a permis de redécouvrir les visages des personnes oubliées en premières lignes. “Le mouvement Nuit debout n’a pas rassemblé que des illuminés trotskystes. C’est une expression citoyenne. Il faut l’accueillir, l’entendre, la discerner, et lui apporter une réponse. Si rien n’est fait, on ajoute de la violence à l’incompréhension », relève le P. Lanthonie.

Deuxième point d’attention : mettre la dignité des personnes au cœur de tout projet. C’est-à-dire entendre les besoins des salariés de se mobiliser pour leur emploi, mais pas à n’importe quel prix ni à n’importe quelle condition, au regard de l’ubérisation ou des pratiques abusives. Le P. Lanthonie poursuit : “Quand on parle de charge patronale cela peut être un frein à l’embauche. Mais si j’évoque la contribution sociale, je pense collectif. Ce n’est pas qu’une question de vocabulaire. Au moment où le collectif est éprouvé, ça change la perspective. Nous avons à discerner le bien commun, qui n’est pas toujours premier alors que nous sommes sur le même bateau en humanité”. Le dernier axe est un appel à agir pour la paix, pour la planète : l’écologie intégrale et l’accueil des migrants s’invitent avec urgence dans l’actualité et dans le quotidien de chacun. Ici et maintenant. Guillaume Houdan analyse en ces termes : “La communauté croit au politique, mais s’interroge sur le régime présidentiel. Nous développons l’idée que s’engager en politique, c’est d’abord au plan local, être actif au sein d’une association, essayer de mieux choisir ses achats, poser des gestes écologiques à notre échelle.”

Dans ces échanges et cette appropriation de la réflexion, les catholiques s’inscrivent pleinement dans la tradition de l’Église depuis Vatican II. En s’appuyant sur la pensée sociale de l’Église, “carte et balises pour discerner et agir”, selon les mots de François Fayol, chacun peut se déterminer selon les principes du bien commun, du respect de la vie, de la destination universelle des biens communs, de la subsidiarité. Dans Caritas in veritate, Benoît XVI définit le bien commun avec cette expression : Nous tous. Mais je ne peux plus l’utiliser depuis que le candidat Emmanuel Macron a changé son slogan Avec vous pour Nous tous. C’est évidemment un effet de communicant, mais pas que”, souligne le diacre de Créteil.

Tenir le cap

Fruit du travail et des attentes des familles, les AFC ont formulé 44 propositions politiques à destination de tous les candidats autour de la famille solidaire, durable, vivante et écologique. Parmi celles qui touchent aux enfants, les AFC souhaitent rendre impossible l’accès internet des mineurs aux sites de pornographie. “Nous abordons ce sujet par l’angle de la santé publique et de la protection de l’enfance. C’est un problème dont le législateur doit se soucier. Nous souhaitons qu’une étude des impacts sur la santé des enfants soit menée”, précise François Lesecq. Pour les AFC, une famille durable commence par un mariage. Face au divorce de masse, elles proposent une préparation au mariage civil et à l’engagement dans la vie de couple et de famille, en incitant également à jouer la carte du conseil conjugal en cas de besoin, des séances qui pourraient être prises en charge par la Caf. Autre point emblématique, relayé par François Lesecq : “nous invitons la France, fidèlement à sa tradition universaliste, à porter au niveau mondial l’interdiction de la GPA, au nom de la non-marchandisation du corps de la femme et du respect de la dignité de l’enfant.”

Face au découragement, aux promesses non tenues, à la perte de sens du politique, Le P. Frédéric Lanthonie désigne à nouveau le cap avec les mots de Véronique Le Goaziou (chercheuse associée, CNRS, Aix-en-Provence), qui est intervenue lors de la journée nationale de formation contre les violences sociales, organisée par la mission ouvrière en octobre dernier : “Votre foi est une force, et je suis bien placée pour en parler parce que je n’ai pas la foi (…). Elle est une force incontestablement d’un point de vue collectif (…). Les syndicats ne sont pas forcément bien en point. Le politique est discrédité de toutes parts, vilipendé, critiqué. Et du coup il est compliqué de construire du collectif aujourd’hui. En vous accompagnant aujourd’hui, je me rends compte combien cette force est précieuse pour les personnes qui vivent comme vous dans des quartiers populaires, mais qui ont par ailleurs des lieux de construction d’une force. Protégez ce qui fait votre force. Car nous avons autour de nous beaucoup de gens qui en sont dénués et qui sont à la recherche de ce collectif-là.”

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