Commémoration de l’abolition de l’esclavage et prière interconfessionnelle à Nantes avec les représentants chrétiens

À la veille de la Journée Internationale pour l’Abolition de l’Esclavage, le 2 décembre, les trois coprésidents du Conseil d’Eglises Chrétiennes en France (CÉCEF) – Mgr Éric de Moulins-Beaufort, Président de la Conférence des évêques de France (CEF), le Métropolite Dimitrios qui préside l’Assemblée des évêques orthodoxes de France, et le Pasteur Christian Krieger, président de la Fédération protestante de France – se sont rendus à Nantes au Mémorial de l’Abolition de l’esclavage le dimanche 1ᵉʳ décembre 2024, pour faire mémoire et prier ensemble.
Au Mémorial de l’Abolition de l’esclavage, Mgr de Moulins-Beaufort; Président de la CEF, a expliqué que cette visite s’inscrivait dans le cadre d’un travail mené depuis plusieurs années sur l’unité des Églises chrétiennes, le racisme étant l’une des blessures les plus fortes à cette unité. « Plus que jamais, il nous est apparu que l’esclavage avait été un phénomène complexe, cause de traumatismes nombreux et durables chez les personnes qui y étaient réduites et chez leurs descendants, mais aussi cause de distorsions de jugement chez ceux à qui l’esclavage a bénéficié et leurs descendants », a souligné Éric de Moulins-Beaufort, ajoutant « nous venons modestement continuer notre recherche et notre réflexion communes, de manière œcuménique. Nous venons observer ce qui peut être dit ici de ce drame, de cette tragédie, de ce crime commis contre tant d’êtres humains. Nous cherchons les moyens d’aider — selon nos responsabilités propres — nos contemporains à prendre en charge ce traumatisme historique qui imprègne les mentalités et la vie sociale. Nous sommes, d’autre part, attentifs à toute forme d’esclavage qui pourrait exister aujourd’hui, ou plus largement, à tout système économique et social qui se construirait sur la privation des conditions minimales de sa dignité à tout être humain ».
Ils ont été accueillis par Mgr Laurent Percerou, évêque de Nantes : « C’était hier : les monuments, les mémoires, les bords de la Loire gardent des traces de ce passé, de cette pente tentatrice pour l’être humain d’entrer en connivence pour disposer d’autrui comme d’un objet ! Nos Églises rassemblées aujourd’hui souhaitent redire avec force, au nom du Christ, leur engagement contre l’esclavage, celui du passé dont il faut faire mémoire, mais aussi contre celui qui subsiste aujourd’hui, ici et ailleurs, sous toute forme connue ou souterraine, et toujours inacceptable. »
Accompagnés des représentants locaux des diverses confessions et du service pour l’Unité des Chrétiens, cette délégation d’une trentaine de personnes a débuté la visite en découvrant les salles du Château des Ducs de Bretagne consacrées à « La traite Atlantique et l’esclavage », en présence de M. Jean-Marc Ayrault, Président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage. Ce dernier a resitué le contexte dans lequel a pu émerger à Nantes un travail de mémoire profond, documenté et d’avant-garde sur ce sujet pourtant si délicat : « Cela a été un grand travail de vérité. Des descendants d’armateurs ont ouvert leurs archives, tout comme le diocèse… En 1991, une exposition intitulée « Les anneaux de la Mémoire » a révélé l’ampleur de ce commerce. On estime qu’environ 1800 bateaux sont partis de Nantes et que 12 à 13 millions de personnes ont été réduites en esclavage, dont 1,5 million en France, dans les départements d’Outre-Mer. »
Les informations et documents présentés au château continuent de s’enrichir des découvertes actuelles. Mr Bertrand Guillet, directeur du château et de son musée, a mené une visite détaillée pour faire percevoir à ses visiteurs l’ampleur du système et toute son horreur.
Il les a ensuite accompagnés jusqu’au Mémorial de l’abolition de l’esclavage, sur les quais de la Fosse, d’où partaient les navires du commerce triangulaire. M. Olivier Château, adjoint au maire de Nantes en charge du patrimoine, a introduit la visite de ce lieu unique en France. L’esplanade est parsemée de cartels en verre dépoli contenant les noms des bateaux tels des confettis au sol qui mènent vers de grands escaliers invitant à descendre presque au niveau de la Loire, dans un parcours de béton et de verre. Sur les parois, on peut lire divers textes sur la liberté et la servitude, la dignité humaine et l’aspiration à la paix. Une carte et une frise chronologique complètent le Mémorial et montrent l’accélération du processus qui s’est étendu du XVII au XIXe s. Il s’agit d’un des lieux les plus visités de Nantes, particulièrement par les scolaires pour qui « la traite négrière et l’esclavage doivent prendre une place conséquente dans les programmes » stipule la loi Taubira du 21 mai 2001.
Tous ont ensuite cheminé vers la basilique Saint-Nicolas, dans le centre de Nantes, plus que jamais conscients de l’ampleur de ce fléau, et de la vigilance qu’il convient de porter au jour le jour. Ils se sont unis par un temps de prière interconfessionnel réunissant les coprésidents du CÉCEF et des membres des communautés chrétiennes locales.
Mme Isabelle Nagard, service communication du diocèse de Nantes,
Miguel Desjardins, délégué national pour l’unité des chrétiens à la Conférence des évêques de France,
prière œcuménique avec les représentants chrétiens
Remerciement à M. Jean-Marc Ayrault, ancien Premier Ministre, président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage
Monsieur le Premier Ministre, Monsieur le Président, Madame,
Monsieur le Directeur du Musée de Nantes,
Monseigneur, cher Laurent,
Mesdames, Messieurs, Pasteurs, Prêtres, fidèles de toutes confessions, qui avez préparé pour nous cette journée,
Mesdames et Messieurs qui vous associez à notre démarche,
L’honneur m’est donné aujourd’hui de m’adresser à vous au nom des trois co-présidents du Conseil des Églises chrétiennes de France, le Métropolite Dimitrios, Président de l’Assemblée des évêques orthodoxes de France, le Pasteur Christian Krieger, Président de la Fédération Protestante de France, et moi-même, Président de la Conférence des évêques, pour vous présenter nos remerciements les plus vifs pour l’accueil que vous nous réservez ici à Nantes et pour votre présence, Monsieur le Premier Ministre, dont nous sommes particulièrement touchés.
Notre démarche, à la veille de la journée internationale de l’abolition de l’esclavage, s’inscrit à l’intérieur d’un travail entrepris, il y a quelques années, par nos prédécesseurs, pour dire vrai, sur l’unité. Que signifie le concept d’unité pour nos Églises ? Un des résultats de ce travail avait été qu’une des blessures les plus fortes de l’unité était provoquée par le racisme. Nous en avions été surpris. Qui, parmi nous, est raciste ? Mais, un peu de réflexion, un peu d’écoute aussi de prêtres ou de pasteurs ou de chrétiens venus d’Afrique par exemple, ont fait ressortir qu’il subsiste plus qu’on ne le croit, plus qu’on ne veut le voir souvent, des traces de racisme, traces involontaires dans l’immense majorité des cas, inconscientes, des traces spontanées qui sont des gestes, des remarques, des manières de faire, qui humilient cependant, plus qu’on ne peut l’imaginer.
Une historienne nous a aidés à repérer une des causes du racisme comme théorie de l’inégalité des races non pas tant dans l’esclavage lui-même étonnamment, – car l’esclavage a existé en bien des temps et des civilisations sans nécessiter une conceptualisation raciale -, mais dans l’approche de la fin de l’ère esclavagiste aux Antilles ou aux Caraïbes, avec pour finalité de justifier le maintien d’inégalités sociales considérées comme nécessaires au maintien de l’ordre social et de l’ordre économique.
À travers cette étude, nous avons découvert aussi combien la violence inévitable pour traiter des êtres humains comme s’ils étaient des choses finissait par se retourner contre ceux et celles qui en profitaient, favorisant des troubles psychologiques individuels et collectifs.
Nous avons ouvert les yeux sur l’intégration d’un certain nombre de stéréotypes bien ancrés dans les mentalités occidentales, se transmettant de générations en générations.
Plus que jamais il nous est apparu que l’esclavage a été cause de traumatismes nombreux et durables chez les personnes réduites en esclavage et chez leurs descendants et non moins cause de distorsions de jugement chez ceux à qui l’esclavage a bénéficié et à leurs descendants.
Or, à qui a bénéficié l’esclavage ? Aux propriétaires de plantation et aux responsables des navires qui ont transporté des esclaves depuis les côtes de l’Afrique jusqu’à celles des Antilles ou des États-Unis, mais il ne faut pas négliger le fait que l’esclavage a porté tout un système économique qui a permis à une grande partie de la population européenne d’avoir accès à des tissus de qualité à un prix relativement bas.
Nous venons donc, Monsieur le Premier Ministre, Monsieur le Président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, visiter les salles que votre ville a voulu consacrer dans son musée emblématique à ce trafic qui l’a enrichie et a enrichi certaines familles et prendre un temps de recueillement dans le mémorial de l’abolition de l’esclavage qui a été édifié, sous votre impulsion comme Maire de Nantes, de manière à ce que nul n’oublie ce que fut la traite qui a bouleversé la vie de tant de personnes et dont les effets se propagent aujourd’hui encore.
Nous venons modestement continuer notre recherche et notre réflexion commune, de manière œcuménique. Nous venons observer ce qui peut être dit ici, en cette ville de Nantes qui a été pionnière en la matière, de ce drame, de cette tragédie, de ce crime commis contre tant d’êtres humains. Nous cherchons les moyens d’aider, selon nos responsabilités propres, nos contemporains d’une part à prendre en charge ce traumatisme historique terrifiant qui imprègne les mentalités et la vie sociale plus qu’on ne le voit et plus qu’on ne veut le voir et d’autre part à se rendre attentifs à toute forme d’esclavage qui pourrait exister aujourd’hui ou, plus largement, à tout système économique et social qui se construirait sur la privation d’êtres humains des conditions minimales de leur dignité.
Nous venons aussi pour prier. L’esclavage pratiqué à partir du XVIème siècle a eu pour conséquence paradoxale que ceux et celles, hommes, femmes et enfants, qui étaient arrachés violemment à leurs familles, leurs appartenances ethniques et culturelles, leur société, leurs dieux et déesses, leurs cultes, ont été baptisés. Privés des dieux de leurs racines, beaucoup ont trouvé dans la foi en Jésus, le Messie d’Israël, mort pour nos péchés et ressuscité pour notre vie, un appel à s’identifier au peuple d’Israël réduit en esclavage en Égypte et voué à la mort mais sauvé par le Dieu vivant d’Abraham et de Moïse et à recevoir de Jésus la promesse de la filiation divine, de la vie éternelle et du Royaume qui vient. Cela a produit la richesse musicale et spirituelle des negro spirituals, du gospel et d’autres traditions musicales ou bien de dévotions qui irriguent désormais toutes nos Églises.
Certains ont pu rencontrer des chrétiens qui refusaient l’esclavage au nom de leur foi ou qui s’interdisaient de regarder les esclaves autrement que comme des êtres humains. Ces anti-esclavagistes chrétiens ont existé, nous rêverions qu’ils aient été plus nombreux et plus efficaces.
Aujourd’hui, nos communautés chrétiennes sont enrichies par la foi vive des fidèles venus des Antilles, de Nouvelle-Calédonie, de la Réunion ou d’Afrique. Nous voudrions nous rendre plus aptes et aider ceux et celles qui participent à nos Églises à vivre des relations de fraternité vraies, capables de désigner l’esclavage pour ce qu’il a été et le racisme pour ce qu’il est, anticipant la communion éternelle et aidant à vivre la fraternité dans notre communauté nationale.
Nous suivons de près les manifestations qui ont lieu en Martinique et en Nouvelle-Calédonie. Nous sommes émus par la situation d’Haïti dont vous avez rappelé, Monsieur le Premier Ministre, le lien spécial qui relie ce pays au nôtre. On peut se dire que ces mouvements et cette situation relèvent d’un phénomène social ; nous sommes convaincus qu’il a des fondements spirituels qu’il convient de ne pas négliger. Par la célébration que nous vivrons tout à l’heure, nous voulons nous conjoindre à la supplication, à la louange, à l’intercession de ceux et celles qui ont transformé les grands mystères de la foi chrétienne en expression plus ample de leur perception de l’injustice atroce qui leur était faite et de leur désir de liberté, de justice, d’accomplissement humain, de découverte du Dieu vivant.
Monsieur le Premier Ministre, Monsieur le Président, nous savons, nous, les co-présidents du Conseil des Églises chrétiennes en France et celles et ceux qui sont avec nous, rejoindre une de vos préoccupations majeures. Nous voudrions dire notre estime pour le travail de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage. Son objet nous paraît essentiel pour l’approfondissement de notre unité nationale. Nous recevons votre présence comme un encouragement à avancer sur le chemin commencé. Nous formons des vœux et des prières pour vous et les vôtres, pour la ville de Nantes, pour vous, Mesdames et Messieurs, qui voulez bien participer à notre réflexion, pour celles et ceux qui sont marqués par cette histoire tragique. Nous les formons déjà dans la perspective de Noël, fête qui assure tout être humain qu’il a du prix aux yeux de Dieu, un prix divin. Je vous remercie.
les co-présidents du Conseil des Églises chrétiennes en France
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