Deux livres pour la défense de la natalité

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du 9 octobre 2024, OFC 2024, n°34 sur Natality, towards a philosphy of birth de Jennifer Banks et Seuls les enfants changent le monde de Jean Birnbaum

Deux livres parus récemment, l’un aux Etats-Unis et l’autre en France, défendent la richesse et la nécessité de l’accueil des nouveau-nés, ainsi que l’importance déterminante qu’ils jouent pour transformer socialement et politiquement nos sociétés, en élargissant l’horizon de notre humanité. Natality, towards a philosphy of birth est le premier livre de Jennifer Banks, connue pour ses articles féministes dans la presse et son travail d’éditrice dans le champ des religions à l’université de Yale. Seuls les enfants changent le monde est le dernier livre du journaliste Jean Birnbaum. Ces auteurs ont en commun d’avoir des enfants, et d’être éloignés du christianisme. Sans s’être concertés, ils défendent la même thèse nataliste, et ont adopté pour cela la même méthode. Ils s’appuient en effet sur leur expérience personnelle de parents pour relire des penseurs qui ont abordé la naissance et l’enfance.

Contre toute attente, la liste des écrivains étudiés par nos deux auteurs ne contient qu’un nom commun : Hannah Arendt. La célèbre philosophe a fait de la naissance et de l’enfance des thèmes centraux dans son œuvre. On se souvient des formules percutantes qui émaillent ses écrits : « La naissance est le miracle qui sauve le monde » ; « Un nouveau commencement est garanti par chaque nouvelle naissance » ; etc. Ce n’est pas un hasard si Birnbaum et Banks commencent tous deux leur parcours littéraire par Hannah Arendt. Une question les tourmente néanmoins : celle qui a fondé la réflexion philosophique sur la naissance n’a elle-même jamais eu d’enfants. Elle a bien connu lors de son exil à Paris une relation passionnée avec le poète spartakiste Heinrich Blücher, dont témoigne leur correspondance enflammée. Mais elle ne sera pas mère. Toutefois, elle a vécu une expérience personnelle avec des enfants avant son exil aux Etats-Unis. Écœurée par le ralliement des intellectuels allemands au nazisme, elle a abandonné un temps la philosophie pour s’occuper des enfants des familles juives allemandes réfugiées en France. Est-ce l’origine de l’importance qu’elle leur accorde par la suite dans ses écrits ?

Banks, qui note que la naissance est « un des plus grands sujets inexplorés », va enchainer avec le philosophe Nietzsche, chez qui elle croit discerner une pensée positive de la naissance et de l’enfance, notamment dans certaines lignes du Zarathoustra. Birnbaum souligne de son côté que la philosophie occidentale est d’une manière générale restée étrangère à l’enfant, ramené le plus souvent à une forme inférieure d’humanité, de Platon à Rousseau en passant par Aristote et Spinoza.

Banks poursuit avec Mary Wollstonecraft (autrice de la célèbre Défense des droits de la femme en 1792), sa fille Mary Shelley (la créatrice de Frankenstein), la militante noire américaine Sojourner Truth, et l’écrivaine féministe Toni Morrisson. Birnbaum de son côté commente les œuvres de Bernanos et de Roland Barthes dont il est familier. Il mentionne aussi plus succinctement la militante communiste Rosa Luxembourg, Walter Benjamin, Jacques Derrida et Barbara Cassin. Autant d’auteurs qui défendent à leur manière la richesse et les vertus de la maternité, de la naissance et de l’enfance.

Banks et Birnbaum partagent le même constat : l’Occident s’enfonce dans un hiver démographique, dans l’indifférence de la classe politique. Les nombreuses justifications théoriques pour refuser d’accorder une place aux bébés sont passées au crible par nos deux auteurs.

L’égoïsme des individus est ainsi dénoncé : la liberté individuelle confondue avec la primauté du développement personnel voire avec la jouissance sexuelle, telle qu’elle est affirmée par exemple par Geoffroy de Lagasnerie, théoricien du triolisme homosexuel, est ramenée à sa pauvreté humaine. Banks assume, à l’encontre des idées répandues, que la naissance est un acte transgressif, et la maternité un choix de non-conformité qui révèle une liberté authentique transcendant les finitudes égoïstes. Et elle ajoute que « ceux qui doutent de la natalité, ou qui argumentent contre le rôle crucial de la naissance dans la vie humaine, sont dépourvus de sagesse éclairée » (p. 9).

L’idée qu’il faudrait éviter les naissances pour se consacrer à produire une « œuvre » est aussi mise à mal. C’était la position de ce pauvre Sartre, reprise par le journaliste Roland Jaccard qui écrit dans son Journal : « Choisir la procréation, c’est renoncer à la création ». Birnbaum montre que cette conception théorique est contredite par la fascination pour l’enfant qui parsème ce même Journal. Même constat avec Pierre Nora. L’exemple de Barbara Cassin, mère accomplie et assumée, va à l’encontre de cette posture, tout comme les témoignages de Sojourner Truth et Toni Morrisson. Banks montre comment ces deux femmes ont été stimulées dans leurs œuvres et leurs engagements par la présence de leurs enfants. Birnbaum cite aussi, inversement, les regrets nostalgiques de Linda Lê dans son livre A l’enfant que je n’aurai pas.

Autre argument fallacieux invoqué pour refuser les naissances : la crise climatique. Faut-il sauver le monde en le protégeant des enfants à naître ? Cet argument, largement relayé par les ténors de l’écologie radicale (Anne Gotman, Emmanuel Pont, etc.), repose implicitement sur deux thèses fort discutables : notre modèle de vie serait le meilleur, et les générations futures devraient s’y conformer. Contre cette idéologie conservatrice et néo-malthusienne, Banks et Birnbaum défendent la liberté créatrice des enfants : ils ont la capacité de créer un nouveau monde, et la force de nous dépasser. Comme l’affirmait Benjamin, « toute enfance accomplit quelque chose de grand, d’irremplaçable pour l’humanité ». Nos deux auteurs auraient pu aussi invoquer sur ce thème des économistes comme Amartya Sen qui, s’appuyant sur les travaux des démographes, montrent que notre planète n’est pas menacée par la surpopulation mais par le mode de vie délétère des Occidentaux.

D’une lecture aisée et agréable, nos deux livres sont riches, joyeux et stimulants. De nombreuses anecdotes personnelles viennent illustrer les propos graves et engagés de Banks et Birnbaum. Un bémol toutefois à mentionner. La méthode retenue par nos deux auteurs opère une relecture de productions littéraires sous le prisme des biographies des écrivains. Si parfois cette méthode se révèle utile pour démasquer les non-dits, comme dans l’échange de Birnbaum avec Pierre Nora, elle peut sembler parfois artificielle, comme dans la relecture de l’œuvre de Nietzsche par Banks. Un absent de taille parmi les auteurs cités : le philosophe catholique allemand Gustav Siewerth, et son livre magistral, Aux sources de l’amour. Métaphysique de l’enfance. Je me demande aussi quel regard Banks et Birnbaum porteraient sur L’enfant, maître de simplicité du P. Thierry Avalle.

Nos deux auteurs, qui ne sont pas chrétiens, ont su dépasser par leur expérience personnelle, respectivement de mère et de père, le « prêt-à-penser » en vogue. Et ils ont été confortés dans leur non-conformisme nataliste par leurs lectures et leurs rencontres. L’authenticité et la recherche de la vérité inspirent leur démarche. Ce n’est donc pas un hasard s’ils rejoignent sans l’avoir voulu l’enseignement de l’Eglise catholique.

Vincent Aucante

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