Le goût de la politique. Un observateur passionné de la Ve République de Pascal Perrineau

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du 02 octobre 2024, OFC 2024, n°32 sur Le goût de la politique. Un observateur passionné de la Ve République de Pascal Perrineau (Paris, Odile Jacob, 2024)

 

Le visage de Pascal Perrineau nous est familier : commentateur habituel des événements politiques, ce professeur de Sciences politiques a toujours estimé qu’une partie de son métier consistait à partager le fruit de ses recherches. Le hasard des aléas de la vie politique a voulu que ces mémoires intellectuels sortent au moment où la Ve République se trouve plongée dans une situation inédite à la suite d’une dissolution précipitée. Pourtant ce livre n’est pas un livre de circonstances. Au contraire, Pascal Perrineau a voulu retracer son parcours intellectuel et scientifique tel qu’il s’enracine dans un milieu familial et tel qu’il s’est déployé dans une vie universitaire où l’engagement de l’enseignement a pris le pas sur l’engagement militant.
Construit en quatre parties – Empreintes, Choix, Analyses, Détours – et en trente-et-un chapitres courts et synthétiques, ce livre porte en lui les qualités de clarté et de pédagogue de Pascal Perrineau. Né en 1950 – son père est professeur d’anglais –, il fait ses études secondaires à Tours. Du côté de son père, l’origine est italienne – Perrini… des migrants arrivés à la fin du XVIIIe siècle – ; du côté de la mère, la Lorraine, déchirée par les guerres franco[1]allemandes, et de culture démocrate-chrétienne. On lira avec beaucoup d’intérêt l’évocation des années d’enfance et d’adolescence qui renvoient à une France aujourd’hui disparue mais dont on sent combien elle a forgé une conscience et une culture nationales, par l’école, par la famille, par la socialisation politique, cette « France qui est plus que celle du moment » pour reprendre l’expression du général de Gaulle.
Loin d’en faire un nationaliste, cette fondation première donne au jeune Pascal Perrineau les instruments pour partir à la découverte du monde anglo[1]saxon, une passion qui ne s’est jamais éteinte et qu’il évoque dans la dernière partie de l’ouvrage. Il y retrace ses expériences d’enseignement aux États-Unis et nous livre des réflexions inquiètes sur les dérives que le wokisme fait subir aux universités d’outre-Atlantique. Une nouvelle inquisition est née dans les campus américains. Elle présente les mêmes procédés d’exclusion sociale et de logique totalitaire que toutes les autres ambitions de pureté morale dont l’histoire nous offre l’affligeant catalogue.
Des études de droit puis une inflexion vers la science politique : Pascal Perrineau embrasse la carrière universitaire à Tours et à Paris comme étudiant, à Grenoble, Tours et Paris comme enseignant. Après avoir milité au PS entre 1974 et 1980 et avoir observé de près les mœurs politiques, Pascal Perrineau fait le choix exclusif de la carrière universitaire. On le connaît comme directeur du CEVIPOF (Centre d’Études de la Vie Politique Française), un des grands laboratoires de Sciences Po. De ses études, il retient l’importance de l’induction au cœur de l’empirisme. « La recherche, le goût du terrain, l’écoute attentive des acteurs sociaux et politiques, la volonté d’utiliser les concepts comme autant d’outils d’interprétation du réel, la méfiance vis-à-vis des systèmes théoriques qui apportent des réponses avant que les questions ne soient posées, tout cela ne m’a plus quitté jusqu’à aujourd’hui et a inspiré tout mon travail » professe-il dans une phrase qui devrait inspirer tout l’enseignement supérieur français en sciences humaines et sociales.

Pascal Perrineau est vite devenu l’un des meilleurs spécialistes du Front National. Comme il le rappelle, il n’y a pas d’exemple dans notre histoire politique, d’un tel mouvement. En un demi-siècle, un courant représentant moins de 1% des électeurs (Jean-Marie Le Pen obtient 0,7% des voix en avril 1974) est passé à 41% (score de Marine Le Pen en avril 2022). Toutes les analogies avec le PCF de la IVe République sont fausses et plus encore les premières analyses des années 1980 qui voyaient dans le surgissement du FN une poussée de « fièvre hexagonale » (M. Winock) comparable au boulangisme et au poujadisme. L’extrême droite est devenue une réalité structurante qu’on ne peut comprendre que par l’étude des motivations – croissantes – des électeurs qui s’y rallient. Six facteurs expliquent, selon Perrineau, la montée du FN/RN : le rapport des sociétés au sol, la psychologie et le monde privé des citoyens, l’inertie des traditions historiques porteuses de traditions politiques, la mutation profonde des clivages sociaux, économiques et culturels, les profonds mouvements de désaffiliation de tous ordres qui affectent les individus et enfin le renouvellement majeur de l’offre politique contemporaine avec la proposition populiste (voir le chapitre XVII).
Universitaire, chef d’équipe, Pascal Perrineau a accepté aussi le défi de la médiatisation estimant qu’il existe une responsabilité sociale du chercheur et du savant. La transformation d’un savoir patiemment élaboré au prix d’années de recherches en un enseignement à la fois éphémère et brutalisé par la concurrence à laquelle se livrent les médias demeure nécessaire. Il ne faut jamais renoncer à expliquer les choses, selon des registres différents… au risque de voir les démagogues en tout genre monopoliser la parole.
De ce livre à la fois personnel et riche du savoir construit par son auteur, pourquoi ne pas retenir la profession de foi de la dernière page ? « La politique a besoin d’une renaissance. (…) La désertion de la politique ou la négation de celle-ci sont de véritables poisons pour le lien social. La politique n’étant plus un lien de confluence, de résolution pacifique du conflit, elle devient un lieu vide, un théâtre d’ombres ou un champ de bataille erratique et confus. (…) Pour ne pas se défaire, la société doit retrouver le goût de la politique. La politique a dérivé peu à peu vers des passions tristes (haine, ressentiment, tristesse…). Il est urgent de la ramener vers la rive des passions joyeuses qui sont les seules à pouvoir créer du commun. La joie est à trouver en soi, c’est ce dont j’ai tenté de rendre compte dans les pages précédentes en ce qui concerne la joie politique qui n’est que le goût de la chose publique, de la rencontre, de l’Autre. » (p. 250).

Benoît Pellistrandi

ca peut aussi vous intéresser

Politique

S’occuper de politique peut paraître surprenant de la part d’une Eglise qui affirme que « sur le terrain qui leur est propre, la communauté politique et l’Eglise sont indépendantes l’une de l’autre et autonomes » (Gaudium et Spes 76-3).[...]