Je verrai toujours vos visages, un film de Jeanne Herry

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du 12 avril 2023, n°16 à propos de Je verrai toujours vos visages, un film de Jeanne Herry

Il y a des films qui font du bien et qui montrent qu’il est encore possible de faire du bien, Je verrai toujours vos visages est de ceux-ci. C’est le troisième film de Jeanne Herry (fille de Miou-Miou et de Julien Clerc). Le film est simple dans sa construction et sa facture ; sans doute que la gravité des situations et du sujet appelle une telle sobriété ; il n’y a guère d’effets de mise en scène, Jeanne Herry se met modestement au service de ses personnages.

Le film débute comme il se termine, par la formation de personnes qui travaillent dans une association qui œuvre pour la justice restaurative. Le maître-mot qui doit guider leurs attitudes est un impératif, « écoute ! ». Il s’agit de faire taire tout désir interventionniste, toute volonté de dire ou simplement suggérer aux personnes qu’elles servent ce qu’elles doivent ou devraient faire, dire ou penser. Ceci résonne avec le premier commandement de l’Ecriture, « Ecoute Israël ».

L’association a une mission de médiation auprès de personnes qui souhaitent continuer une route alors qu’elles sont sous l’emprise d’un trauma. Il s’agit de personnes victimes de violences (braquage, vol à la tire, viol, inceste, etc.). Il n’y a pas de petite violence, les victimes vivent avec leurs conséquences, leur vie a été interrompue net, la famille, l’entourage, la vie professionnelle, c’est souvent tout leur univers qui est meurtri par ce qui leur est survenu. Des personnes victimes, après tout un chemin avec l’association, vont rencontrer des détenus auteurs d’actes similaires à ce qu’elles ont vécu. Les uns et les autres sont volontaires, acceptent le protocole des rencontres, les règles pour la prise de parole (écoute !). Jamais elles ne seront dans le face à face : il y a la médiation de l’association, aussi d’autres bénévoles, la disposition de la salle, le bâton de parole, etc.

A la vue de ce film, résonnait en moi le contexte social que nous traversons. Sans nier les rapports de force qui peuvent être le seul chemin revendiqué, dans combien de situations, on arrive à se trouver devant des alternatives qui opposent deux groupes, deux blocs, où le seul choix est d’être pour ou contre.

Or, notre pays dispose d’institutions de médiations qui donnent des lieux et des méthodes de dialogue avec des partenaires multiples ; on vient de le constater avec la convention sur la fin de vie. Je verrai toujours vos visages montre ces chemins exigeants, douloureux mais ô combien nécessaires, non pour renvoyer les gens dos à dos mais pour rechercher, à tout le moins, les moyens de se parler, de s’écouter avant tout.

Une condition cependant, que chacun accepte d’imaginer que son point de vue peut être modéré, modifié, voire retourné. La réforme des retraites, les retenues de substitution, etc. combien de situations qui, et il ne peut en être autrement, ne peuvent que conduire à des échecs. Lorsque chacun est sûr de son bon droit, trop faible dans ses arguments pour supporter la moindre contradiction, que peut-on attendre ?

Le film de Jeanne Herry démontre que des êtres humains, même pris dans des situations d’extrême gravité, peuvent retrouver une capacité à la rencontre. Je dois aussi souligner l’excellence de l’interprétation de l’ensemble des acteurs. Modeste dans sa mise en scène et ses images, le film est axé sur ses personnages, il fallait donc de grands artistes pour les incarner, et c’est le cas.

Et puis, nous qui pouvons accueillir des personnes victimes, comme nous côtoyons des auteurs, des personnes détenues, sans nous imaginer devenir des praticiens, dotés de toutes les compétences par la seule vue d’un film, combien de points de vigilance peuvent nous être adressés par ces images et ces paroles. Comme d’ailleurs à chacun : se traiter de belle manière entre êtres humains est si difficile.

Enfin, entrant dans la salle de cinéma, j’ai constaté qu’elle était déjà bien remplie, un bon signe ! Mais remplie de collégiens. Aïe ! La séance pouvait être agitée, bruyante. Rien de cela. Du début à la fin, un parfait silence, chacun étant pris par l’humanité qui s’exprimait sur l’écran et dans les cœurs.

Oui, il y a des films qui font du bien et montrent que le bien est possible.

Plusieurs personnes qui avaient vu ce film, dont mon confrère de Limoges, me l’avaient conseillé, je les en remercie ; je ne peux qu’ajouter mes encouragements aux leurs.

+ Pascal Wintzer Archevêque de Poitiers

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