Car rien jamais n’est achevé Confessions d’un croyant discret de Robert Scholtus

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du 13 septembre 2023, n°32 à propos du livre de Robert Scholtus, Car rien jamais n’est achevé
Confessions d’un croyant discret

 

Il existe en France une tradition de littérature ecclésiastique. Le temps des romans qui mettaient en scène des prêtres – du fameux Journal d’un Curé de campagne de Bernanos à Rue Notre[-]Dame de Daniel Pézeril – est achevé¹ . Mais les témoignages et mémoires permettent d’approcher la vie sacerdotale par l’intérieur. Grâce à ce livre, Robert Scholtus vient enrichir avec une tonalité bien spécifique toute cette littérature donnant à son témoignage une valeur historique et culturelle avec, en plus, une dimension littéraire. Le prêtre qu’il est ne se cache pas derrière l’habit ecclésiastique qu’il n’a jamais porté. « Asymptomatique », Robert Scholtus laisse entendre une voix dont l’écho qui parviendra à ses lecteurs sera la rencontre enthousiaste ou agacée entre des tempéraments et des sensibilités. Rencontre : mot clef de l’ouvrage qui n’est ni un essai, ni des mémoires achevés, ni un manifeste, mais l’affirmation simple, réservée et pourtant complètement authentique, d’une vie vécue au contact des femmes et des hommes mis sur le chemin de l’auteur, à commencer par sa famille. Plein d’autres êtres peuplent ce livre que l’écriture rend présents donnant à sentir ce qui se dévoile de Dieu dans la rencontre. Invitant les chrétiens à retrouver la dimension subversive de l’Évangile.

Benoît Pellistrandi

L’OFC est heureux de présenter et de recommander le dernier livre d’un de ses membres, Robert Scholtus. Celui qui écrit ces lignes doit cependant être conscient qu’il y a des livres où le risque est de trop s’y retrouver soi-même, altérant de ce fait la lecture ; essayons tout de même… Alors, je me libère de ce risque par cet exergue : « l’ambition d’une vie peut consister à travailler à se libérer de soi-même pour devenir l’esclave de Dieu et le serviteur de ses frères et sœurs ».

Robert Scholtus opère, dans ce livre, un regard sur sa vie, son itinéraire, où se croisent un autoportrait, y compris de son visage, l’expression de sa gratitude pour les siens ainsi que pour des amis proches, il affirme ses convictions quant aux prêtres, au prêtre qu’il est et quant à l’Eglise. La pandémie et le confinement ont été les heureuses occasions de ce travail. « Cette année-là, sans que je fusse particulièrement fatigué, j’avais décidé de me mettre en vacance. Je voulais quitter mon rôle avant de me laisser gagner par la lassitude […]. Je n’aspirais pas au repos ; je rêvais de pouvoir expérimenter la vie à l’état nu, dépouillée de ce qui donne l’illusion de la vivre pleinement : la fonction, les discours, l’autorité, la reconnaissance, l’action, la responsabilité, les projets… » (p. 23). Mais que l’on ne s’attende pas à un déversement de sentiments et d’affects, « je ne veux à aucun prix me laisser engluer dans la sentimentalité. Subsiste en moi la vieille crainte adolescente de sentir les autres empiéter sur mes territoires intimes, qui me fait rétracter comme un escargot à la première alerte de débordement affectif » (p. 41-42).

– Le choix de la liberté

La plume est celle d’un homme libre qui a eu vite conscience que cette liberté devait se conquérir. Autour de quinze ans, l’auteur prit la décision « d’être un homme libre au service d’une Église qui était en train de retrouver [avec Vatican II] le souffle de sa jeunesse » p. 35. « Je voulais devenir prêtre, mais qu’on n’aille pas s’imaginer que les parents avaient la vocation pour moi. A l’adolescence, l’idée qu’on pût me prendre pour la victime consentante d’un sacrifice parental me devient insupportable » (p. 18). « Je n’ai jamais été un enfant fugueur, mais j’ai toujours éprouvé une étrange jouissance à m’échapper, à disparaître quelques heures ou quelques jours dans une ville inconnue, une vallée perdue, un monastère reculé » (p. 21). Il écrit même sa lassitude d’être pris pour un prêtre qui doit « subir la condescendance de ceux qui leur veulent du bien et le parasitage de ceux qui les adulent » (p. 67).

– Une religion discrète

Etre prêtre dans la France d’aujourd’hui conduit à n’avoir guère de surface sociale ni de reconnaissance. « Le prêtre ordinaire, quand bien même il serait aujourd’hui comparable à un petit évêque tant s’est élargi son territoire paroissial, se voit condamné à l’invisibilité sociale et 3 à l’insignifiance […]. Reste que la vie des prêtres est faite du roman de la vie des autres, de tous ces gens qu’ils écoutent, accompagnent, consolent, soutiennent, encouragent » (p. 12). Cette situation, Robert Scholtus l’accepte et même la revendique, elle correspond à ce qu’il estime la juste attitude des croyants en Jésus Christ s’ils veulent être ses témoins et avoir quelque pertinence parmi les contemporains. « J’ai la religion discrète. Et la piété expéditive, aurait ajouté mon ancien évêque. Je me refuse à toute espèce de gesticulation, de monstration, de démonstration, d’exhibition, de proclamation, de péroraison, de procession. Pas un seul jour je n’ai porté l’habit ecclésiastique, les signes distinctifs, comme ils disent. Je fuis les manifestations où aiment s’encanailler les cathos de gauche et les cathos de droite. Au fond, j’ai toujours été un prêtre asymptomatique » (p. 58-59). « Je préfère m’en tenir à un ‘’christianisme gris’’, pour reprendre l’expression du grand philosophe polonais Leszek Kolakowski. ‘’Nous avons besoin, disait-il, d’un christianisme non pas doré, violet ou rouge, mais gris’’ » (p. 65). « Le christianisme n’a des chances d’intéresser que s’il ne fait pas son intéressant à vouloir éblouir de ses projecteurs des hommes et des femmes qui à tâtons cherchent leur chemin dans ce monde incertain » (p. 66).

– Prêtres pour aujourd’hui et pour demain

C’est au nom de ce qu’il reçoit de l’Évangile, des manières de vivre de Jésus Christ, de l’expérience de l’Eglise, que Robert Scholtus dessine le portrait, non pas du prêtre idéal mais de celui qu’il essaye d’être, comme de ceux qui s’efforcent, en fonction de leurs chemins et de leurs charismes de répondre à cet appel. Des prêtres pour le monde de ce temps. « Je n’avais pas à me séculariser, mais à être un prêtre séculier, un prêtre dans le siècle et pas ailleurs, dans un illusoire bastion catholique. Je serai un exilé de l’intérieur, un déserteur du dedans, je mènerai ma vie tel le philosophe décrit par Deleuze qui peut ‘’habiter divers états, hanter divers milieux, mais à la manière d’un ermite, d’une ombre, voyageur, locataire de pensions meublées’’ » (p. 56).

Pendant douze ans, Robert Scholtus fut le supérieur du Séminaire des Carmes, Séminaire de l’Institut catholique de Paris. Il travailla à la formation d’autres générations que la sienne, les séminaristes du tournant des XXe et XXIe siècles. « Les jeunes auxquels j’avais désormais affaire ne voulaient pas y aller, au monde, ils en venaient, de ce monde qui avait eu le temps de s’émanciper totalement de sa tutelle religieuse. Contrairement à un clergé de vieux grognards qui cherchaient à se faire pardonner par tous les moyens des siècles de domination cléricale, ces jeunes hussards ne voulaient pas entrer dans la carrière le profil bas, en s’excusant d’être là ; ils entendaient vivre leur ministère avec enthousiasme et témoigner haut et fort, ‘’explicitement’’ comme ils disaient, de leur foi. Ils voulaient pouvoir exister en tant que prêtres investis de l’ordre sacré dans des paroisses, des communautés ou des services d’Eglise qui, ils s’en rendaient compte, avaient appris à se passer d’eux, crise des vocations oblige ! » (p. 106- 107).

Notre auteur mesure aussi les fragilités des hommes, au cœur d’institutions elles-mêmes fragilisées et dénonce des choix qui pensent que la force pourrait se trouver dans la reproduction altérée d’un modèle idéalisé. « La mièvrerie d’une religion de dentelles a désamorcé la provocation chrétienne. Après tant de siècles, ce qui fait le malheur du christianisme, c’est d’avoir effacé son obscénité originelle à force de rivaliser avec l’élégance des puissances mondaines » (p. 60).

« Ce que je redoutais est devenu aujourd’hui, en maints endroits, une réalité : tout se passe comme si une subculture gay avait fait main basse sur la profession [de prêtre], défendant farouchement la discipline du célibat ecclésiastique dont on comprend qu’elle lui est fort utile pour dissimuler ses ébats et ses abus » (p. 105-106).

Il sait aussi combien la fragilité du temps et des personnes a conduit à des tragédies : « Des ‘’suicidés de l’Eglise’’, il en est beaucoup, que les évêques se gardent bien de faire figurer dans leurs statistiques. Les prêtres sont devenus rares, mais ils le seront de plus en plus si, pour l’être, il leur faut renoncer à leur singularité et aux passions qui les constituent » (p. 114).

– Le courage de choisir

Au risque d’être réduit à n’être que le survivant, avec d’autres de sa génération, mais pas que, d’un christianisme dont d’aucuns se plaisent à dire l’échec, Robert Scholtus affirme haut et fort que le chemin de l’Évangile est d’humilité et de service ; alors, ne vivons pas en réaction aux peurs qui peuvent surgir de la fin d’un modèle dont il faut plutôt mesurer les raisons de son refus.

« Les fidèles du Christ Jésus voient bien que tout ce qui n’en finit pas de s’effondrer, c’est justement tout ce qui est contraire à l’Evangile, c’est la religion idolâtrique qui s’est donné un Dieu tout-puissant pour assurer pouvoir et domination à ses fonctionnaires mâles, pour infantiliser et asservir le peuple des croyants » (p. 125).

« Rien n’est achevé. Si le septième jour, Dieu a achevé son œuvre de création, nous ne sommes encore que ‘’quelque part dans l’inachevé’’, locataires de l’avant-dernier jour » (p. 167).

 

+ Pascal Wintzer

Archevêque de Poitiers

 

1 Voir Frédérix Gugelot, La messe est dite. Le prêtre et la littérature d’inspiration catholique en France au XXe siècle, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. “Histoire”, 2015, 192 p

ca peut aussi vous intéresser

Le sacrement de l’ordre

Au sein de l´Église catholique, le service de la communauté est assuré plus particulièrement par les évêques, les prêtres et les diacres, que l'on appelle "ministres ordonnés".