Lectures croisées pour un temps de synode

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du 4 octobre 2023, n°35 à propos de lectures croisées pour un temps de synode

Alors que le synode romain sur la synodalité vient de s’ouvrir, il est intéressant de croiser deux livres publiés ce mois de septembre avec cet événement voulu par le pape François. Dans nombre de ses interventions, le pape insiste sur l’importance de l’écoute. On le comprend aisément, elle est au cœur des appels de la Bible. C’est la profession de foi du peuple élu : « Ecoute, Israël », c’est le porche qui ouvre la possibilité d’aimer (cf. Marc 12, 28-31). C’est aussi le premier mot de la règle de saint Benoît : « Ecoute, ô mon fils, les préceptes du Maître, et prête l’oreille de ton cœur. »

Lorsqu’une chose va de soi, il n’est pas besoin d’en parler. Nous le savons pour la foi : certaines questions théologiques ne sont apparues qu’après plusieurs siècles, dans un premier temps, elles n’étaient tout simplement pas des questions. Si l’écoute est si présente ce mois de septembre 2023, sans doute est-ce le symptôme de nos difficultés, des difficultés du temps à écouter. On sait cette différence que pointe le pape François : « Ecouter, c’est plus qu’entendre ».

Nos modes de vie ont rendu l’écoute bien difficile ; je pourrais parler des sons desquels bien de nos contemporains sont toujours environnés, si bien que le silence est craint, il peut même faire peur. Plutôt qu’ouverture, le silence est perçu comme un vide qu’il faut tout de suite combler. Pareillement, notre époque s’est habituée à la vitesse, et pas seulement dans le domaine des transports. Nous ne savons plus nous arrêter, nous assoir, y compris dans la vie chrétienne où l’injonction de l’innovation, de la créativité, même missionnaire nous met souvent sous pression. Or, lorsque c’est l’urgence qui domine, c’est l’écoute qui est blessée.

L’exercice du pouvoir n’aime pas le silence, il est estimé improductif ; la loi du pouvoir, c’est l’action (Que faire ? interrogeait Lénine) ; il aime encore moins la parole, suspectée dangereuse. Mais l’un et l’autre s’appellent : comment écouter sans d’abord faire silence ?

Olivier Hamant est directeur de recherche à l’INRAE dans le laboratoire de reproduction et développement des plantes au sein de l’ENS de Lyon. Biologiste, il essaie de comprendre comment les plantes utilisent les forces pour contrôler leur développement, en alliant des approches de biologie moléculaire et cellulaire, mécanique et modélisation. Parallèlement à cette recherche, il est engagé dans un programme de formation explorant les nombreuses implications de l’Anthropocène à l’ENS de Lyon et avec la maison des cultures du monde à Berlin.

Olivier Hamant dans son petit Antidote au culte de la performance. La robustesse du vivant (Gallimard, Tracts n° 50, 2023), nous alerte : « Face à l’urgence, la tentation du pouvoir serait de dire : ‘’assez parlé, il faut agir, puisque parler ne sert plus à rien.’’ […] Parler pour parler à 2 un rôle essentiel : réorganiser ses pensées. Ce temps perdu, cette contre-performance, devient un prérequis indispensable avant de décider dans le monde de la robustesse » p. 26.

Or, les outils techniques qui facilitent tant les échanges sont-ils au profit de vraies relations ? Tant de la parole que de l’écoute ? « Sans contact humain à terme, nous sommes en train de créer une dépendance totale au digital pour les soins et les services sociaux de base. Notre société, notamment urbaine, ne pourra plus fonctionner sans internet pour ses besoins primaires. Le ‘’Wireless’’ qui devait nous libérer et bien plutôt un ‘‘wifil’’ à la patte » oc, p. 9-10.

Nous sommes devenus des êtres de plus en plus « performants », mais est-ce en humanité ? « Nous avons optimisé notre environnement pour le mettre au service de nos demandes, et non de nos besoins. En retour, nous contractons une dette envers notre milieu. Aujourd’hui, les pénuries s’étendent des ressources non renouvelables aux ressources renouvelables, bois ou l’eau par exemple » oc, p. 12.

S’accorder sur ces symptômes c’est en vouloir les remèdes, et ils sont radicaux : « La révolution à venir est bien plus profonde qu’une réforme fiscale : il va falloir embarquer tous les citoyens dans un monde contraire : basculer du ‘’toujours plus’’ vers ‘’moins mais mieux’’ » oc, p. 15.

« Nous quittons l’époque du burn-out – des humains comme des écosystèmes – pour entrer dans le monde du respect de notre tempo, de notre ontologie, de nos liens. Nous quittons l’époque de l’optimisation dominante construite sur la pauvreté des interactions, pour entrer dans la société de la robustesse fondée sur la richesse et la diversité des liens […]. Comme le disait Albert Einstein, ‘’si j’avais une heure pour résoudre un problème, je passerai cinquante-cinq minutes à définir le problème et seulement cinq minutes à trouver la solution » p. 25-26.

« Dans l’école de la compétition, on dépassait les autres. Dans l’école de la coopération, on se dépasse avec l’aide des autres […]. Combien de temps faudra-t-il encore attendre avant de voir les premiers Jeux Olympiques sans compétition ? » p. 46.

Quant à Hartmut Rosa, dans Pourquoi la démocratie a besoin de la religion (La Découverte, 2023), il estime que notre société qui s’est développée par la domination, de la nature, mais aussi des autres, doit adopter deux attitudes : savoir s’arrêter, et ainsi savoir écouter. « Nous avons besoin de la religion : la démocratie ne fonctionne pas sous la modalité de l’agressivité [qui pourtant domine bien de nos rapports, parfois aussi en Eglise]. Le maître-mot du roi 3 Salomon – poursuit-il : ‘’Donne-moi un cœur qui écoute’’, peut alors aussi s’entendre dans sa dimension politique » p. 52.

Là aussi, on doit s’entendre sur le diagnostic, on soit être attentif aux symptômes, tant ceux qui affectent les écosystèmes que ceux qui touchent les êtres humains. « L’ensemble du système est tenu par le fait de devoir assurer une croissance continue […]. Nous vivons dans un système où sans cesse nous devons aller plus vite » p. 37-38.

« Il faut donc mobiliser des énergies politiques, des énergies physiques et, au-delà, des énergies psychiques, car accélérer, innover et croître ne sont pas des tâches effectuées par des systèmes ou des machines, mais par nous ! La logique de cette organisation sociale engendre systématiquement un rapport d’agression au monde » p. 40. « Cette agressivité envers le monde, qui vient de l’injonction permanente à la croissance sans fin, s’exprime dans les relations politiques comme dans la conduite de nos vies individuelles. Je pense que cela se reflète aussi dans ce que l’on nomme le burnout » p. 43.

« Le plus important est que nous nous arrêtions » p. 55, et ainsi nous pourrons écouter, car « cela réclame une certaine mise à nu, la capacité à se rendre atteignable et donc aussi toujours à se rendre vulnérable. Ce qui est évidemment très risqué dans une société fondée sur la concurrence et la croissance […]. Je pense que la religion dispose de ces espaces » Elle offre un autre rapport au temps, par le rituel, ainsi qu’à l’espace, sous un autre mode que celui de l’emprise, du pouvoir. J’ai été frappé de voir la coïncidence entre ces diverses analyses, ces différents appels à l’écoute. Eh bien, je les entends avant tout dans l’Instrument de travail du synode qui est célébré à Rome en ce moment. A lire ce texte, on risque de trop vite se précipiter sur les questions disputées qui sont sa seconde partie ; certes, on ne peut les éluder. Mais, l’essentiel du texte, qui est sa première partie, première dans la construction du texte et surtout comme priorité, c’est ce qui est proposé comme chemin pour l’Eglise, tant au synode que là où elle veut vivre : la conversation dans l’Esprit.

Plutôt que de penser que l’Eglise serait déjà là, préexistante, comprenons que l’Eglise est toujours en naissance, en chacun, dans chaque communauté, là où deux ou trois se rassemblent. Cette naissance de l’Eglise, pour qu’elle advienne, exige… l’écoute !

« Il ne suffira pas plus de copier l’antiquité chrétienne que de copier le Moyen-Âge… La maison que nous avons à construire à notre tour, pour notre compte, – car sur ses fondements éternels, l’Eglise est un perpétuel chantier – a, depuis leurs époques, plusieurs fois changé de style, et sans nous croire supérieurs à nos Pères, nous avons à lui donner notre style à nous, c’est-à-dire celui qui répond à nos nécessités » Henri de Lubac, Catholicisme, p. 278.

+ Pascal Wintzer, OFC

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