Philippe Portier, demain Église ?
Fiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC) du mercredi 15 février 2023,n°7 à propos du colloque : « Demain l’église? »
Les 3 et 4 février 2023, l’association Confrontations a organisé un colloque intitulé « Demain l’Église ? Témoigner de l’Évangile dans une culture nouvelle (1) ». Organisé autour de quatre thèmes – la crise systémique de l’Église, la réforme de la gouvernance par la synodalité, la nécessaire révision de l’anthropologie chrétienne dans le nouveau contexte culturel et enfin, l’indispensable réflexion sur le statut différent des femmes et des hommes dans l’Église – cette rencontre a réuni, entre autres, des personnalités connues comme l’historien André Vauchez, les théologiennes Marie-Jo Thiel et Anne Marie Pelletier, le père Luca Castiglioni.
Les organisateurs avaient sollicité Philippe Portier pour la conférence de conclusion. L’historien et sociologue du catholicisme contemporain, l’observateur de la laïcité et le chercheur engagé dans l’explicitation de la signification du fait religieux dans les sociétés a pu ainsi développer une réflexion très importante sur l’état du catholicisme contemporain, à partir de la situation française (2).
Philippe Portier a commencé en rappelant que la sociologie, dès le début du XXe siècle, s’est interrogée sur l’avenir du christianisme. Bien des thèses défendues voulaient souligner l’incompatibilité fondamentale entre la modernité et le christianisme. Aussi la thèse du dépérissement devenait-elle le schéma prédictif dominant. D’ailleurs, les chiffres ne viennent-ils pas corroborer ces prévisions ? Dans les années 1960, rappelle Philippe Portier, 95% des Français se disent catholiques. Aujourd’hui, ils sont 32%. Toujours dans les années 1960, 94% des enfants étaient baptisés dans les trois mois suivant leur naissance et 60% des ménages français donnaient au denier du culte. En ce début des années 2020, seuls 17% des enfants suivent le catéchisme. Les donateurs au denier du culte ont reculé de 30 % entre 2008 et 2018… Face à ce qui apparaît comme une déprise sociale et qui fut analysé dans des livres célèbres – Louis Bouyer, La décomposition du catholicisme (1968); Michel de Certeau et Jean-Marie Domenach, Un christianisme éclaté (1974); Danièle Hervieu-Léger, Catholicisme, la fin d’un monde (2003) et encore Guillaume Cuchet, Comment notre monde a cessé d’être chrétien (2018) ou Chantal Delsol, La fin de la Chrétienté (2021) – Philippe Portier invite à réinscrire ce mouvement dans la longue durée. Déjà au XVIIIe siècle, le catholicisme français subissait des reflux précisément perceptibles (3).
Les catholiques français ont adopté les principes de subjectivation qui structurent les mentalités contemporaines. La sincérité, l’authenticité, le pragmatisme deviennent les nouveaux repères des pratiques sociales : cela vaut aussi pour les catholiques. La séparation institutionnelle n’a été qu’une étape vers une séparation culturelle entre un catholicisme normé et vertical et une société qui adopte une morale de situations. Pourtant se contenter de définir et de préciser cet écart ne suffit pas à rendre compte de présence concrète et réelle des chrétiens dans la société française. Cette présence n’obéit pas qu’au seul principe d’effacement. Les soins palliatifs, les associations, le patrimoine culturel sont autant de lieux où les catholiques parlent à leurs compatriotes. D’où la conviction de Philippe Portier : l’Église catholique comme institution continue d’avoir des ressources à proposer à la société française (4).
Analysant les attentes de nos contemporains, P. Portier note les demandes de « ré-assurance spirituelle » dans un monde complexe et liquide émanant des individus comme des États qui suggère aux Églises de les aider à tenir, encadrer et accompagner la société (et le discours du président Macron aux évêques de France en avril 2019 est symptomatique). Toutes ces demandes donnent aux Églises la possibilité de construire des réponses pour un monde de mouvements et d’incertitudes.
Les réponses catholiques relèvent, aux yeux du sociologue, de deux logiques : la première est identitaire et instrumentale ; la seconde est « inspirationnelle ».
Pour les premiers, comptent d’abord une réaffirmation qui contient la mobilisation d’une identité. Elle porte le risque d’une délimitation très claire d’un « eux » et « nous » vécu sur le mode de l’affrontement, du combat mais aussi du repli. Portée par une tradition politique qui identifia le catholicisme à l’identité française, son positionnement idéologique et sociologique favorise une droitisation de la position de l’Église dans le débat national.
Le catholicisme inspirationnel valorise l’idée d’une possibilité d’universel dont il serait le porteur, dans une aspiration commune à cet universel de la part de tous les hommes. En valorisant les « ressources » du christianisme, on met en avant son caractère de source et de sève. Le religieux devient alors une manière de produire des valeurs universelles, fondée sur une idée du bien commun qui fait place à chacun dans sa dignité.
Par la clarté et la densité de son propos, cette intervention de Philippe Portier est à même de nous aider à nous situer dans le temps présent de l’Église en France et en Europe. Elle me semble un instrument extrêmement stimulant pour tous les responsables et tous les engagés de l’Église en France.
Benoît Pellistrandi
1. https://www.confrontations.fr/colloque-demain-leglise/
2. Philippe Portier, professeur de science politique est depuis 2007 directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études, titulaire de la chaire Histoire et sociologie des laïcités. Il travaille actuellement sur l’analyse comparée des régimes de laïcité et, après avoir dirigé l’enquête archivistique de la Commission Sauvé (sur les abus sexuels dans l’Église), sur les violences sexuelles dans les mondes religieux.
3. Dans ce même colloque, André Vauchez rappelait que, en France, personne n’aurait parié
4. Philippe Portier emprunte le terme ressource à François Jullien, Ressources du christianisme, Paris, L’Herne, 2018. Livre que Mgr Herberteau recensa pour l’OFC. F. Jullien fut invité au colloque de l’OFC « Christianisme et culture : le moment François » (2018).
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