Myriam Revault d’Allonnes, le crépuscule de la critique

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC) du mercredi 4 janvier 2023 à propos du livre :  » Le crépuscule de la critique » de Myriam Revault d’Allonnes.

Le crépuscule de la critiqueLes éditions du Seuil ont lancé depuis quelques années une collection de « libelles » :  des textes brefs (plus longs qu’un article et plus courts qu’un essai), par des auteurs engagés  traitant un sujet problématique. Dans la dernière livraison de cette série, Myriam Revault  d’Allones signait ce Crépuscule de la critique. L’auteur. est une collaboratrice de la revue  Esprit et a enseigné la théorie politique à l’école doctorale de Science Po.

Partant de Kant, l’auteur nous rappelle que la critique est une attitude, une mode pensée, une  démarche personnelle, mais aussi une exigence politique. Si la critique est toujours « critique  de quelque chose », elle a aussi une valeur positive en permettant à travers l’interrogation des  prises de position une sortie de crise.

L’auteur constate, comme beaucoup d’autres, qu’une confusion mentale et langagière règne  dans l’espace public de notre société. Des notions fondamentales employées par tous, comme  l’identité, la déconstruction, l’autonomie, se trouvent paradoxalement soustraites à la critique  et employées sans mesure et sans précaution, avec des contenus contradictoires.

L’identité en particulier est devenue un motif politique et social manipulé sans vergogne par  tous, sans aucune analyse critique. L’auteur rappelle succinctement que l’identité a deux  versants : elle désigne le noyau dur qui caractérise une personne singulière, et en même temps  le maintien de soi à travers le changement (ce que Paul Ricœur appelait l’ipséité). L’identité  s’atteste par l’altérité, par la rencontre avec la différence qui révèle ce qui est propre à chacun,  et ce qui est commun à tous. Mais quand l’approche critique est neutralisée, l’identité devient  identitaire : un motif idéologique centré sur ce qui est commun, écartant la différence et  l’altérité.

Dans cette subversion du langage, les discours opposés en appellent tous à la reconnaissance  d’une identité singulière faisant l’économie de ce qui est commun à tous à travers les  différences. L’auteur examine deux positions adverses qui font le même usage de l’identité.  D’un côté les partisans de l’intersectionnalité utilisent la notion d’identité pour dénoncer les  stigmatisations et humiliations dont seraient victimes certains groupes discriminés (les femmes,  les Noirs, les homosexuels, etc.). Il s’agit de remplacer les « assignations » discriminatoires  imposées par les dominants par des identités séparées et homogènes. Cette inversion déguisée  en libération remplace en réalité la présumée assignation initiale par un enfermement  identitaire. Et la nature perverse du couple dominants-dominés reste la référence. Par ailleurs, des courants politiques conservateurs développent une réaction symétrique,  mimétique dirait René Girard. Exhaussant la « tradition » entendue comme norme intangible et  universelle, certains ténors en appellent à l’identité nationale, et construisent des discours  complotistes qu’illustre par exemple la thèse du « grand remplacement ». La déconstruction est également victime des mêmes manipulations, et l’auteur s’arrête à  nouveau sur deux postures antagonistes. D’un côté elle est appelée à justifier une mise en cause  des préjugés et des valeurs. L’auteur, qui cite Emmanuel Macron et Sandrine Rousseau, mentionne notamment le révisionnisme de l’enseignement de l’histoire et de la culture  occidentale (supposée marquée par le patriarcat, le « racialisme », l’homophobie, etc.). Ce qui  conduit à promouvoir la déconstruction masculine des hommes, le wokisme, l’indigénisme,  l’écriture inclusive.

Pour d’autres, la déconstruction est associée à la décadence et au chaos. Dans les discours de  Valérie Pécresse ou de Zemmour, la destruction des valeurs de la société engendre l’écroulement du bien commun et le relativisme. Le remède serait la défense de la tradition. L’auteur remarque avec pertinence combien nous sommes ici loin de Derrida, qui a créé la  notion de déconstruction pour justement la distinguer de la destruction. La déconstruction  derridienne se limite au champ de l’histoire de la philosophie et n’a jamais eu vocation à devenir  un concept universel. Pour Derrida, il convient d’interroger les présupposés des grandes  catégories qui structurent la tradition métaphysique occidentale : la nature et la culture, la parole  et l’écriture, le corps et l’esprit. La déconstruction n’est pas une destruction, mais une  interrogation sur ce qui définit notre appartenance à l’histoire de la philosophie occidentale.  L’auteur en conclut que la référence à la déconstruction, tant par les défenseurs de  l’intersectionnalité que par les conservateurs, est « une imposture intellectuelle et politique ». Faisant référence à Foucault et à Merleau-Ponty, l’auteur défend que l’attitude critique doit être  privilégiée. C’est une mise en cause de soi-même autant qu’un rejet du dogmatisme, elle  engendre la liberté.

Évidemment, tout le monde ne partagera pas les options politiques de Myriam Revault  d’Allones. Malgré une certaine complaisance à l’égard des « racisés » et des « genrés », ce bref  « libelle », très stimulant, a l’intérêt de présenter une vision rationnelle de l’identité et de la  déconstruction, notions philosophiques ambiguës qui sont volontiers manipulées par les  idéologies les plus diverses.

Vincent Aucante

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