Des femmes et des dieux
Fiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC) du mercredi 9 février 2022 à propos de l’ouvrage : « Des femmes et des dieux » de Kahina Bahoul, Emmanuelle Seyboldt et Floriane Chinsky.
Trois femmes se sont retrouvées pendant une semaine pour échanger et écrire un livre ensemble. Floriane Chinsky est rabbin. Elle exerce actuellement à Judaïsme en mouvement (JEM) ; Kahina Bahloul est imame, islamologue franco-algérienne, et promeut un islam libéral ; Emmanuelle Seyboldt est pasteure et présidente du Conseil national de l’Église protestante unie de France. Elles ont abordé tous les sujets qui leur tenaient à cœur. Quelle place pour les femmes dans leurs trois religions, marquées par des siècles de patriarcat ? Peut on faire une lecture féministe de la Torah, de la Bible ou du Coran ? Comment réagir aux représentations souvent dévalorisantes du corps de la femme ? Comment distinguer ce qui relève du divin et de la tradition ? Qu’est-ce qui est sacré ? Elles apportent des éclairages théologiques passionnants et accessibles à tous. Elles s’appuient sur leur histoire, confrontent leurs parcours, réfléchissent et racontent les obstacles qu’elles ont surmontés, dans un climat d’écoute et de concorde qui irradie tout le livre. Des femmes et des dieux est le fruit de leur rencontre. C’est un livre qui nous aide à saisir l’essentiel. Les chapitres de leur livre correspondent aux sept jours de la semaine.
Le premier jour retrace leur parcours de l’enfance jusqu’à la responsabilité actuelle de rabbin, imame et pasteur. Emmanuelle explique qu’elle a grandi entre deux piliers éducatifs fondamentaux. Le premier est la foi chrétienne protestante, avec les cultes, les vieux cantiques, le catéchisme. Le second est la musique. Pour Floriane, la pratique du judaïsme était synonyme de partage et de joie. Ses parents lui ont enseigné quelques mots d’hébreu. Elle raconte comment elle a célébré sa bat-mitsva et prononcé pour la première fois l’extrait hebdomadaire des Prophètes que l’on nomme la Haftara. Dans une synagogue récemment créée on lui propose de monter à la Torah. Puis c’est la rencontre du rabbin Krygier et de la tendance « Massorti ». Quant à Kahina, deux axes ont structuré sa petite enfance en Kabylie : l’amitié profonde qui unissait ses quatre grands-parents et qui ont façonné son regard sur l’altérité et la découverte de l’islam. En 2020, elle inaugure avec Faker Korchane son professeur de philosophie à l’École Pratique des Hautes Études de Paris (EPHE), une mosquée libérale et mixte baptisée Fatima.
Dans Des femmes et des dieux, l’échange sur la place des femmes dans les religions donne l’occasion de lire et d’interpréter les textes du Coran et de la Bible.
Kahina Bahloul constate que « les hommes se sont complètement approprié le discours religieux, et l’interprétation des textes qui va avec, ce qui aboutit inévitablement à un système de pensée excluant totalement les femmes » (p. 44). Issue d’un islam libéral, elle propose une histoire de Marie dans le Coran qui lui semble riche d’enseignements. À partir de la sourate des Prophètes, elle réfléchit au statut de Marie dans le Coran : statut de prophétesse, mais aussi de prédicatrice, d’enseignante. Elle découvre dans un verset coranique que Dieu ordonne à Marie de se mélanger aux hommes de sa communauté pour prier avec eux.
Emmanuelle Seyboldt fait une exégèse du passage de la Première Lettre aux Corinthiens (chap. 11). Paul recommande aux femmes de porter un voile pour prier et prophétiser, autrement dit pour s’exprimer à haute voix. Elle situe le passage dans le contexte de la communauté de Corinthe en construction. Accuser Paul de misogynie, voulant faire taire les femmes, lui semble une erreur. Après avoir montré que le souci de Paul est avant tout que le culte soit un témoignage pour les non-croyants qui viendraient y assister, elle conclut : « Faire taire les femmes est donc aujourd’hui exactement le contraire de l’intention de Paul » (p. 50).
Pour Floriane Chinsky, les femmes sont présentes depuis le début de l’histoire juive. À propos du rabbinat, « il existe un passage du Talmud, dans le traité Méguila, qui dit d’abord : “Tout le monde est habilité à monter à la Torah, parmi les sept personnes requises, même une femme, même un mineur” (Talmud babylonien Méguila 23 a) » (p. 40).
Le chapitre sur le corps dans Des femmes et des dieux, est l’occasion d’un échange passionnant sur ce que disent la Bible et le Coran. Emmanuelle Seyboldt commente le Cantique des cantiques et souligne : « C’est dans ce corps que les hommes et les femmes sont invités à vivre, à aimer, à exercer leurs responsabilités vis-à-vis du monde et des autres » (p. 135). Floriane Chinsky reprend le récit de Gn 2, 15 sur le jardin que Dieu demande de « garder et travailler » et fait un parallèle avec le corps qu’il faut également « garder et travailler ». Elle aborde aussi la question de l’impureté, notion qui désigne dans la tradition juive le fait d’avoir été en contact avec la mort, en particulier pour le guerrier triomphant. D’où l’importance de se « purifier », de se calmer et de revenir à une situation normale, d’enlever tout ce qui a pu troubler la vie. Kahina Bahloul rejette les discours fondamentalistes de l’islam qui dépossèdent la femme de son corps. « Le corps de la femme y est vu soit comme une source de plaisir à la disposition de l’homme, soit comme un réceptacle pour recevoir la semence de l’homme » (p. 140).
Les trois femmes partagent aussi sur la fidélité dans le couple, sur l’adultère (très beau commentaire de la pasteure du récit de Jésus et de la femme adultère, p. 157-159), sur le plaisir, le désir et l’amour, sur la contraception et l’avortement. Des femmes et des dieux comporte un excellent chapitre sur l’approche historico-critique des textes. « Le texte biblique peut prendre sens pour le lecteur, mais pour qu’il devienne vivant il faut qu’il soit expliqué, interprété, et surtout proclamé, c’est-à-dire que celui qui lit expose ensuite comment il fait sens pour lui » (Emmanuelle Seyboldt, p. 184). « L’approche historico-critique est un enjeu majeur dans le contexte de violence que traverse l’islam aujourd’hui » (Kahina Bahloul, p. 186). « Il me semble que le meilleur plaidoyer pour la lecture historico-critique nous vient directement de la Torah, dans laquelle on trouve deux versions différentes des Dix commandements. En langage historico-critique, on peut dire que le rédacteur de la Torah tenait à ce que nous gardions un esprit critique » (Floriane Chinsky, p. 205-206).
Des hommes et des dieux est une belle illustration du dialogue interreligieux, souvent difficile lorsque l’on aborde les questions théologiques ou sociétales, mais bénéfique et plein d’espoir.
+ Hubert Herbreteau