Edgar Morin, Leçons d’une vie

Fiche de l’Observatoire Foi et culture (OFC) du mercredi 26 janvier 2022 à propos de l’ouvrage Leçons d’une vie d’Edgar Morin.

Edgar Morin a eu 100 ans le 8 juillet 2021. Dans son livre écrit à cette occasion il raconte les grandes lignes de son parcours de philosophe-sociologue. Il évoque pour cela ses principaux écrits et les événements de  l’histoire qui ont marqué un siècle d’existence. Les différents chapitres sont des « leçons » (un mot qui revient souvent) de sagesse. Edgar Morin tire de son expérience des réflexions utiles pour notre temps.

Un premier questionnement touche à son identité : qui suis-je ? « Je réponds : je suis un être humain. C’est  mon substantif. Mais j’ai plusieurs adjectifs, d’importance variable selon les circonstances ; je suis français,  d’origine juive sépharade, partiellement italien et espagnol, amplement méditerranéen, européen culturel,  citoyen du monde, enfant de la Terre-Patrie. (…) Comment peut-on avoir plusieurs identités ? Réponse : c’est  en fait le cas commun. Chacun a l’identité de sa famille, celle de son village ou de sa ville, celle de sa province  ou ethnie, celle de son pays, enfin celle plus vaste de son continent. Chacun a une identité complexe, c’est à-dire à la fois une et plurielle. » (p. 9).

Edgar Morin nous présente sa longue vie. Il nous livre avec pudeur quelques moments de son enfance, sa  jeunesse d’orphelin, la douleur jamais cicatrisée de la perte à dix ans, de sa mère, ses engagements, ses  erreurs, ses doutes. Il reconnaît l’enrichissement grâce à ses lectures : Montaigne, Dostoïevski, Tolstoï ou  Pascal. Il déclare avoir découvert de ces auteurs le combat et la complémentarité entre la foi et le doute  « comme chez Pascal, même si ma foi n’a jamais eu Dieu pour objet, mais la fraternité humaine » (p. 139).

Edgar Morin nous fait part de ses idées et convictions évolutives. Il nous ouvre de façon très abordable à sa  pensée complexe et nous amène à repérer les illusions de notre propre raison. L’être humain n’est pas une  machine commandée par des programmes. Il « n’agit pas toujours de façon prévisible, notamment dans sa  capacité à innover, à créer, et par là à apporter de l’inattendu. (…) Toute vie est une navigation dans un océan  d’incertitudes à travers quelques îles ou archipels de certitudes où nous ravitailler » (p. 42).

Philosophe-sociologue, directeur de recherche au CNRS, Edgar Morin est resté tout au long du XXe siècle en  permanence préoccupé par les tourments et les dérives de notre époque. Il a pris progressivement  conscience des deux erreurs de sa jeunesse, erreurs d’appréciation et de jugement. La première se situe à la  veille de la Seconde guerre mondiale, où influencé par ceux qui avaient fait la grande guerre, il pensait que l’option pacifique avec l’Allemagne était souhaitable et que la guerre était évitable. La seconde erreur concerne son choix et son adhésion pendant six ans au communisme. Il finit par ouvrir les yeux, et reconnut que finalement le positif de cette expérience le conduisit à réfléchir sur toutes les montées des totalitarismes. Il tire la leçon suivante, « celle de l’inconscience somnambulique propre aux époques préparant les désastres  historiques » (p. 89). Aujourd’hui il affirme être devenu plus lucide : « Toutes mes conceptions sont  désormais anthropo-bio-éco-politiques (p. 118).

Au cœur de ce témoignage, retenons quelques belles pages sur ses expériences poétiques, sur les petits  bonheurs qui jalonnent le quotidien. Edgar Morin fait l’éloge de la marche sous le soleil d’hiver ou sous une  belle pluie de printemps. Il trouve la poésie dans la rue. Il aime les émotions collectives d’un match de football  ou de rugby. Il évoque les moments de l’histoire qui lui ont donné ce sentiment poétique qu’est  l’enthousiasme suscité par exemple lorsque Rostropovitch joua Bach au violoncelle au pied du mur de Berlin.  Il note que des conversions progressives longtemps invisibles à autrui et peut-être à soi-même, sont dues à  un cheminement souterrain de l’esprit. Il exprime à ce sujet son admiration pour le pape François : « C’est  l’esprit souterrain qui a transformé l’évêque apparemment conformiste Bergoglio en pape François renouant  avec le message évangélique de fraternité et devenant porte-parole de l’humanité face au péril écologique  et au déchaînement mondialisé du profit » (p. 82).

À la fin de son témoignage, Edgar Morin laisse au lecteur quelques « pensées » comme un cadeau : « L’humain  n’est ni bon ni mauvais, il est complexe et versatile » ; « Quand l’immédiat dévore, l’esprit dérive » ou encore :  « Pour bien vieillir, il faut garder en soi les curiosités de l’enfance, les aspirations de l’adolescence, les  responsabilités de l’adulte, et dans le vieillissement essayer d’extraire l’expérience des âges précédents. »

Cette synthèse d’un siècle d’existence au travers du regard de celui qui a élaboré la pensée complexe est  remarquable et rend attachant ce philosophe grand observateur de notre époque. La lecture du récit de vie  d’Edgar Morin est très stimulante. Elle incite à la réflexion. C’est le témoignage exceptionnel d’un humaniste  brillant, ayant conservé dans ses paroles, vivacité de la pensée, esprit critique et réfléchi. Avec simplicité il  nous présente son très riche parcours d’érudit et de chercheur.

+ Hubert Herbreteau

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