« Histoire du fils » de Marie-Hélène Lafon

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du mercredi 20 octobre sur l’ouvrage : « Histoire du Fils » de Marie-Hélène Lafon.

Un fils né de père inconnu et que sa mère, vivant à Paris, a décidé de faire élever par sa sœur et son beau frère à Figeac, dans le Lot : il faut être Marie-Hélène Lafon pour faire de cette trame on ne peut plus banale  un roman sur le mystère de l’origine et la quête de soi qui restera peut-être comme son plus grand chef  d’œuvre.

Derrière l’histoire d’André fils de Gabrielle, il y a celle de la famille Lachalme, issue de Chanterelle, dans le  haut pays du Cantal. Une histoire que le lecteur ne découvre que par bribes, car c’est l’histoire paternelle  d’André qui ne la connaîtra lui-même jamais en totalité puisque sa quête n’aboutira jamais de son vivant. Au  commencement de cette histoire se trouve Armand, l’enfant « supplicié ». Il est le personnage le plus  important après André, et l’on pressent qu’il ne fait peut-être qu’un avec lui, comme un seul et unique rayon  de soleil qui traverserait cette saga familiale. Armand est mort à cinq ans, en 1908, des suites d’un effroyable  accident. Il était le frère jumeau de Paul Lachalme, sur qui se reporteront tous les espoirs de la famille. Mais  Armand était plus qu’un frère jumeau : il figurait en quelque sorte le côté solaire de leur gemellité,  acquiesçant à son existence et à celle des autres dans une éclaboussure de joie qui se répandait  généreusement autour de lui. Paul, lui, est très différent : soucieux de briller, de l’emporter sur les autres,  adulé par les siens, il fera une carrière d’avocat et deviendra un homme à femmes qui les utilisera toutes et  ne sera fidèle à aucune.

Paul, trop jeune pour avoir pu s’illustrer dans le premier conflit mondial, est élève au lycée de garçons  d’Aurillac et brûle de connaître enfin ses premières aventures lorsqu’une bronchite providentielle l’enferme  à l’infirmerie et lui fait rencontrer Gabrielle, l’infirmière tout juste arrivée là, de 16 ans plus âgée que lui et  qui n’est pas dupe du désir secret qui habite l’adolescent. L’idylle naît, devient une liaison qui amène Gabrielle à déménager à Paris pour suivre Paul sans jamais vivre ouvertement avec lui et qui aboutit un jour  à l’attente et à la naissance d’André.

André grandira à Figeac entre sa tante Hélène, son oncle Léon et ses cousines. D’abord déconcertés par cette  arrivée embarrassante avec l’anonymat du père qui faisait jaser dans le quartier, Hélène, Léon et les cousines  s’attacheront éperdument à cet enfant tombé du ciel en qui ils verront dès le premier instant le plus beau  cadeau qu’ils aient jamais reçu. André, de son côté, est l’enfant qui dit oui : il est « d’accord avec tout », et  d’abord avec la grammaire, qui classe et définit les termes de façon précise et rassurante. Mais il préfère de  loin Figeac et le paradis de la rue Bergantine à cette mère lointaine et peu attachante qui vient deux mois  l’été et repart ensuite à Paris. André ne quittera son univers du Lot que pour devenir très jeune encore un  héros de la Résistance contre l’occupant allemand. Un héros qui ne se mettra jamais en avant, mais qui, par  cette option courageuse, se séparera encore un peu plus de ce père inconnu dont nous apprendrons qu’il a  fait « le mauvais choix » pendant la guerre et qu’à la Libération il a été contraint de se cacher.

André se mariera. Il épousera Juliette, dont nous savons fort peu de choses, mais que nous devinons bonne,  attentionnée, comme André lui-même est bon. Déterminée aussi : elle connaît la quête de soi qui taraude  André, ce « gouffre de Padirac » creusé dans sa vie, comme ils ont coutume tous deux de désigner le secret  de sa naissance. Le soir même du mariage, elle a obtenu de Gabrielle qu’elle lui révèle le nom du père  d’André, et, sans jamais le contraindre, elle pousse André à en savoir davantage. Ils feront ensemble le voyage  de Paris, ils iront jusqu’à la porte de Maître Lachalme, boulevard Arago, mais personne ne répondra quand ils sonneront, et ils arrêteront là leur enquête.

Bien plus tard, c’est leur fils Antoine qui, après leur mort, pourra mettre un point final à cette recherche  interrompue. Il saura tout par le survivant de la famille Lachalme, qui lui aussi répond au prénom d’Armand  et qui n’est autre que le petit-neveu de l’enfant mort jadis. D’Armand à Armand et de Paul à André, le chemin  sera achevé et la boucle bouclée par ces révélations, le 28 avril 2008, cent ans exactement après la mort du  premier Armand. Désormais, à Chanterelle, « on sait qu’André Léotti, fils de Paul Léotti, fut au monde, et on  se souviendra de lui ».

Qui sommes-nous et qui nous a voulus ? À ces questions auxquelles nul ne peut échapper, la majorité d’entre  nous trouve des réponses toutes simples dans le fait de connaître ses parents, de se savoir issu d’eux et  chargé de les prolonger dans sa propre existence. Le déficit d’être d’un certain nombre d’autres, privés en  totalité ou en partie de ces lumières sur eux-mêmes, manifeste en creux à quel point ce fondement est aussi  vital qu’il est banal : Marie-Hélène Lafon nous le fait toucher du doigt à travers la fiction romanesque. Dans  ce magnifique livre d’où Dieu est absent, elle nous laisse aussi pressentir la complémentarité des deux  questions fondamentales qui habitent tout être humain et qui n’ont de réponse ultime qu’en Lui : « qui m’a  voulu ? » et « qui se souviendra de moi ? ».

+ Jean-Pierre Batut, évêque de Blois