Marie des écritures

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC) du mercredi 25 août 2021 sur l’ouvrage : « Marie des écritures » d’Yves-Marie Blanchard.

Yves-Marie Blanchard, prêtre du diocèse de Poitiers, a enseigné comme bibliste pendant de longues années à l’Institut catholique de Paris. Parmi  son œuvre volumineuse, on retiendra ses nombreux textes sur les écrits johanniques, notamment Des signes pour croire ? Une lecture de l’Évangile de Jean, et Les écrits johanniques, parus tous deux au Cerf respectivement en 1995 et 2006.

Son dernier livre, Marie des Ecritures, est destiné à un large public, et présente une perspective catholique épurée des études mariologiques.  Depuis le bref fascicule réalisé autrefois par le Père Yves Raguin, et le livre  du Père Pierre Guilbert portant le même titre, l’absence sur les rayonnages des librairies d’un texte grand public sur la Vierge à la fois sérieux et accessible était criante. Aussi faut-il saluer cette heureuse initiative. Revenant à la source, les textes du Nouveau Testament, le Père Blanchard nous dresse un portrait épuré de la figure de la Vierge, enraciné dans le contexte juif du premier siècle. Reprenant un par un les versets faisant référence à Marie, il complète la traduction œcuménique en  faisant référence au lexique grec, sans pédantisme mais toujours pour apporter des éclairages judicieux.  Chaque fragment est situé dans son contexte, et fait l’objet d’un commentaire théologique qui conduit le  lecteur à approfondir le mystère de la foi et de l’Eglise. Évitant de réduire Marie à un simple objet d’étude, il  n’hésite pas à indiquer des pistes de méditation spirituelle, et invite discrètement à suspendre le travail  intellectuel pour laisser place à l’oraison.

Le plan suit la date de rédaction des textes bibliques, et commence donc par la Lettre aux Galates de saint  Paul, dont un verset bien connu résume le kérygme, et qui indique en passant que le Christ est « né d’une  femme selon la loi ». Marie reste ici anonyme, tout comme dans la plupart des mentions de la « Mère de  Jésus » dans l’Évangile de Marc. L’auteur aborde les passages évangéliques sur la famille de Jésus, ses « frères  et sœurs », en insistant sur la distance prise par le Christ à leur égard. Ce qui renvoie aux origines galiléennes  de Jésus, à ses racines à Nazareth, et au monde juif dans lequel il a grandi (p. 32-33).

Le Père Blanchard aborde ensuite successivement les évangiles de Matthieu et de Luc. L’enracinement social  et religieux de Marie (et de son Fils) traverse les différentes mentions de la Vierge dans le premier texte, tout  en insistant sur l’inséparabilité de la Mère et de son enfant. Ainsi Marie est-elle pleinement unie et solidaire du  dessein divin. L’évangile de l’enfance chez Luc est ensuite analysé en détail, avec les grandes scènes de  l’Annonciation, de la Visitation et de la Nativité. Suit l’étude des différentes péricopes avec le vieillard Syméon  et la prophétesse Anne, où Marie joue un rôle particulier, et le fameux passage de l’enfant Jésus au milieu des  docteurs du Temple (p. 70-82). La Vierge y apparaît comme un modèle pour le croyant, et les célèbres prières  mentionnées dans ces passages habitent la vie des croyants depuis les premières communautés chrétiennes.

Avec les écrits johanniques, l’auteur qui est un spécialiste du domaine, met en avant une autre perspective  mariale : la Mère de Jésus est placée au cœur de la naissance de l’Église, et du miracle de Cana à la Croix se  trouve associée au mystère de l’Eucharistie. Le modèle familial hérité du judaïsme se transforme alors nettement pour accueillir tous ceux qui deviendront des fils adoptifs par la foi et non plus par héritage.  L’auteur rejoint ainsi incidemment les dernières œuvres de Michel Henry. C’est selon le Père Blanchard la  place paradoxale de l’évangile de Jean : être à la fois enraciné dans la tradition juive de l’époque, et la  dépasser en élargissant la Bonne nouvelle à toute l’humanité dont Marie devient la Sainte Mère par adoption  (p. 83-100). Ce que confirme le bref et célèbre extrait de l’Apocalypse mentionnant la femme enceinte  menacée par le dragon, que la tradition identifie avec Marie (p. 100-106).

Complétant cet ensemble scripturaire, l’auteur s’aventure avec prudence dans le dédale de la littérature  apocryphe afin d’éclairer la naissance et la mort de Marie. Il retient pour cela respectivement le Protévangile  de Jacques, texte compatible selon lui avec l’enseignement de l’Église, et la Dormition du Pseudo-Jean. Tout  en neutralisant les effets de style et les enjolivures romanesques de ces textes, l’auteur conserve quelques  données adoptées par la tradition chrétienne, comme l’histoire des parents de Marie (p. 109-126). Il aurait  également pu recourir à la liturgie syriaque, qui apporte des éléments complémentaires à la mariologie,  notamment dans les antiques anaphores des fêtes de sainte Anne et saint Joaquin et de la naissance de la  Vierge, contemporaines de la dernière rédaction des évangiles.

En fin de parcours, l’auteur risque quelques pages sur la place de Marie dans le dialogue œcuménique.  Manifestement bien au fait de l’état des échanges avec le monde protestant, il note que la dévotion mariale  n’est plus un obstacle pour le dialogue avec les réformés, qui est désormais entré dans un régime apaisé,  après plusieurs décennies de travail commun. La question du dialogue avec les orthodoxes ne bénéficie pas  du même traitement. L’auteur s’accorde même plusieurs critiques acerbes sur la représentation  traditionnelle de certaines icônes mariales (p. 125-126), et sous-estime l’impact négatif sur le dialogue  œcuménique de la reformulation du dogme de l’Assomption par Pie XII (p. 129). Il aurait d’ailleurs été  heureux de détailler l’histoire de cette fête, depuis les premières mentions de la Dormition de la Vierge au  Ve siècle. De même l’introduction du dogme de l’Immaculée conception au XIXe siècle aurait mérité quelques  explications pour le lecteur peu au fait de la catholicité. Il eut été également pertinent de mentionner l’icône  de la Vierge de Soufanieh vénérée à Damas par les gréco-catholiques et les orthodoxes qui prient ensemble  pour la réunification des Églises.

La place de Marie dans le dialogue interreligieux n’est pas oubliée non plus. Après avoir tant insisté sur la  dimension juive de la vie de Marie dans les Écritures, le contraire aurait été surprenant. Et l’auteur fait  effectivement référence aux recherches juives récentes, en citant Schalom Ben-Chorin (Marie : un regard juif  sur la mère de Jésus, DDB, 2001). Il aurait pu également mentionner Colette Kessler. Ces travaux modernes  contrastent avec les écrits juifs de l’Antiquité comme le Talmud ou les Toledoth, qui présentent Myriam au  mieux comme une femme adultère, et qui sont occultés par l’auteur. Il fait au contraire mention du  personnage de Maryam dans le Coran, texte contemporain de ces écrits (p. 131-135). À partir d’un choix de  versets, il suggère même que la figure de Maryam, mère du prophète Issa, pourrait jouer un rôle dans le  dialogue islamo-chrétien, voire être comparée à la Vierge Marie. Les islamologues et les chrétiens  arabophones sont pourtant unanimes pour rejeter un tel rapprochement. D’autant que Maryam est  effectivement vénérée par les musulmans, mais comme l’égale de Fatima, la fille de Muhammad…

Le style clair autant que la méthode rigoureuse appliquée aux Écritures bibliques font de ce livre une perle  qui comble un vide, et l’on passera sans s’y attarder les pages consacrées aux dialogues œcuménique et  interreligieux. La Vierge Marie, ici présentée en accord avec le dogme catholique, apparaît comme un modèle  pour le croyant, « la figure accomplie de la vocation chrétienne ».

Vincent Aucante

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