Un été avec Rimbaud de Sylvain Tesson

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC) du mercredi 7 juillet 2021 à propos de l’ouvrage :  » Un été avec Rimbaud » de Sylvain Tesson.

Voici un livre pour accompagner nos pérégrinations estivales et nous replonger dans Une saison en enfer et Illuminations d’Arthur Rimbaud. La collection « Un été avec » n’a pas pour objectif de faire une analyse exhaustive d’une œuvre. Elle propose à des écrivains de montrer leur intérêt pour une œuvre et de donner leur point de vue sur un auteur. C’est Sylvain Tesson qui a été choisi pour faire revivre l’aventure d’Arthur Rimbaud au cours de laquelle s’entremêlent le meilleur et le pire, la clarté et les ombres, l’ennui qui brûle tout sur son passage, l’invention des mots et dix années africaines, le mystère et la fumisterie, le voyant et l’impénétrable.

Avec ses deux œuvres Une saison en enfer et Illuminations, Arthur Rimbaud a tout dit entre sa quinzième et sa dix-neuvième année. Il ne saura rien de sa gloire naissante puisqu’il partira à dix-neuf ans vers le soleil d’Afrique. Loin des boucles de la Meuse, il deviendra trafiquant d’armes, d’ivoire et de marchandises. Il cheminera avec sa douleur intérieure. Sylvain Tesson commente : « Voyager, c’est promener son mal de vivre en croyant le semer » (p. 194). Il terminera sa vie à trente-sept ans, le 18 novembre 1891, à l’hôpital de Marseille, emporté par un cancer des os.

Un été avec Rimbaud s’ouvre sur le voyage de Sylvain Tesson, accompagné de son ami Olivier Frébourg, sur les traces d’Arthur Rimbaud. Non pas en été, mais au début de cette année 2021, avant que la France ne se trouve confinée de nouveau. Sylvain Tesson aspirait sans doute à faire l’expérience, cent cinquante ans après la première fugue d’Arthur Rimbaud (octobre 1870), de ce qu’avait pu ressentir le jeune poète, épris de liberté, et fuyant sa mère, toujours là près de son fils « veillant sur ses jeunes lectures, le repêchant de ses fugues, payant ses dettes à l’imprimeur, se portant à son secours à Londres, à son chevet à Marseille » (p. 31). Il suffit de se remémorer le poème Ma Bohême pour saisir ce qu’il y avait de doux et d’exaltant dans ce premier périple, qui allait en préfigurer d’autres, de la France à l’Europe, puis de l’Europe à l’Afrique. Sylvain Tesson, lui-même un éternel voyageur, pouvait-il faire autrement pour aller à la rencontre de l’écrivain ?

Sylvain Tesson nous décline en brefs chapitres la vie d’Arthur Rimbaud. Trois parties composent ce livre : Le chant de l’aurore qui évoque l’enfance et l’adolescence de Rimbaud. Le futur aventurier est un élève modèle, paré de récompenses à la hauteur d’une formation classique dans laquelle il excelle. À quatorze ans, il écrit des vers dans un latin parfait. Le bulletin scolaire de la classe de seconde montre son génie : premier prix de vers latins, premier prix du premier cours d’enseignement religieux, premier prix de version latine, premier prix de version grecque, etc. Le 30 septembre 1871, Verlaine conduit Rimbaud à un dîner de poètes. On boit, on chante, on récite des vers. Rimbaud, avec Le Bateau ivre, fait forte impression dans les cénacles parisiens. Ses poèmes sont à chaque fois des énigmes dont il est difficile de comprendre le sens caché. Il dira lui-même : « J’ai seul la clef de cette parade sauvage. »

Dans la seconde partie, Le chant du verbe, Sylvain Tesson nous donne de réaliser à quel point des expressions rimbaldiennes sont restées gravées dans nos mémoires : « Changer la vie » ; « On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans » ; « Je est un autre » ; « Il faut être absolument moderne… » Laisser les mots agir, pénétrer, susciter. Laisser les sens éclater, meurtrir, apaiser. Sylvain Tesson a raison lorsqu’il insiste sur le laisser-aller de la lecture sans analyses ni recherches trop intellectuelles. Dans les poèmes de Rimbaud, « pas de théories, ni de démonstrations, nulle signification. Nous ne sommes pas au domaine de Victor Hugo, où toute scène de la vie illustre la pensée. (…) Rimbaud met le feu au Verbe, allume l’incendie sur toute chose que le regard croise » (p. 126). Rimbaud n’écrit pas pour édifier, mais pour réformer le monde, et pour cela le dire autrement.

La troisième partie, intitulée Le chant des pistes, pourrait être un éloge de la marche. Arthur Rimbaud l’a pratiquée avec assiduité, Sylvain Tesson s’y adonne avec une passion quotidienne. Il nous dit : « Le mouvement procure l’idée et pourvoit aux images. La fécondation de l’inspiration par le muscle est vieille comme la poésie chinoise déambulatrice » (p. 166). Arthur Rimbaud voyageur est vu par un autre voyageur. Un voyage destructeur pour Rimbaud, toujours en recherche, en attente sans réponse. « La vie de Rimbaud est ce mouvement conduisant d’une marche libératrice – la flânerie des Ardennes – à une cavale de torture – le marathon d’Afrique » (p. 176).

Sylvain Tesson écrit plutôt bien, il a du vocabulaire, le sens de la formule, de nombreuses références à des auteurs (Baudelaire, Victor Hugo…) Il manie bien la langue, les images et au fil des pages renvoie subtilement à notre actualité. Un été avec Rimbaud, permet de redécouvrir l’incroyable profondeur des poèmes sélectionnés avec beaucoup de justesse, de suivre le poète maudit et son parcours à travers la France, la Belgique et l’Afrique. La sœur de Rimbaud, Isabelle, s’est évertuée à montrer que son frère était revenu à Dieu sur le lit de douleur de l’hôpital marseillais. Sylvain Tesson rapporte (p. 59) ce qu’elle écrivait à sa mère le 28 octobre 1891 : « Ce n’est plus un pauvre malheureux réprouvé qui va mourir près de moi : c’est un juste, un saint, un martyr, un élu ! ». Il ajoute : « Que connaît-on du mystère de la rencontre jouée sur le dernier parvis ? La conversion est peut-être vraie. Peut-être fut-elle inventée par Isabelle » (p. 60).

Ce petit livre est un bel hommage au poète, auteur d’Une saison en enfer et des Illuminations. Instructif, éclairant sur sa vie, sa vocation, son génie, sur son œuvre poétique. À lire en cette période de vacances !

Hubert Herbreteau

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