Benoît Peeters : « Sándor Ferenczi. L’enfant terrible de la psychanalyse »

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC) du mercredi 11 novembre 2020 sur l’ouvrage de « Sándor Ferenczi. L’enfant terrible de la psychanalyse » de Benoît Peeters.

Sandor FerencziPassionnant ! Ce livre, qui n’est pas vraiment une biographie, raconte de manière très documentée ce que fut Sándor Ferenczi, disciple de Freud. Nous sommes dans les années vingt, au moment où naît la psychanalyse. Des tensions apparaissent entre Freud et ses élèves. Certains sont mis en valeur comme Jung et d’autres rejetés. Sándor Ferenczi connaîtra cette relation difficile avec le maître.

Pourquoi parler aujourd’hui de Sándor Ferenczi ? Parce qu’il est un précurseur au sujet des abus sexuels sur mineurs. Il reste une référence. Il a très bien analysé le mécanisme de l’emprise d’un adulte sur un enfant, en particulier dans un article intitulé : Confusion des langues entre un adulte et un enfant (Petite bibliothèque Payot, 2006). Dans cet article, Ferenczi commence par souligner la demande de tendresse de la part de l’enfant. L’adulte interprète le désir de tendresse de l’enfant sur le plan d’une demande d’ordre érotique et sexuel. Le langage de la tendresse, qui vient de l’enfant, est confondu avec celui de l’érotisme. L’interprétation du langage de l’enfant par l’adulte crée cette confusion. Afin de pouvoir conserver la part de tendresse venant de l’adulte, l’enfant s’oblige à identifier ce que veut son agresseur. L’enfant a tendance à accorder ses voeux à celui de l’adulte. Il se soumet à la façon d’un automate et cherche à deviner le moindre désir de l’agresseur. Ferenczi a aussi décrit le trauma provoqué par une agression sexuelle, un viol (Lire à ce sujet : Le Traumatisme, Petite bibliothèque Payot, 2006).

Récemment encore Le Monde a fait référence à Sándor Ferenczi à l’occasion de faits de l’actualité. Alors que Françoise Dolto en 1979 affirmait que les enfants abusés sont « toujours consentants », des psychanalystes aujourd’hui se réfèrent à Ferenczi pour dire que le consentement n’existe pas de la part d’un enfant. Lire Claude Halmos et Serge Tisseron dans Le Monde du 16 janvier 2020. Le propos de Ferenczi ne concerne pas seulement les problèmes d’inceste à l’intérieur de la famille, mais aussi ceux qui proviennent de toute relation éducative mal ajustée.

Qui était Sándor Ferenczi ? Benoît Peeters raconte admirablement les origines familiales de celui-ci, dans un milieu intellectuel très riche. Ses parents libraires et imprimeurs accueillent à la maison des écrivains et des artistes. Dès son enfance, Sándor est un grand lecteur. Mais il aime aussi la nature.
Son père meurt alors qu’il n’a que 15 ans. Et sa mère, femme efficace et énergique gérera ensuite la famille de manière très dure. Sándor se plaindra toute sa vie, considérant que sa mère a fait preuve d’injustice à son égard.

Grâce à une abondante correspondance entre Sándor et Freud nous découvrons quel type de relation entretenait les deux hommes. Ferenczi est tout d’abord plein d’admiration pour Freud, ébloui au point d’être parfois paralysé devant lui. Prenant de l’assurance au fur et à mesure que sa pratique psychanalytique se développe et s’enrichit au contact de nombreux patients, il va prendre une position divergente de Freud. En 1932, il donne lecture d’une communication à Freud qui sera très fortement agacé : « Je suis arrivé peu à peu à la conviction que les patients perçoivent avec beaucoup de finesse les souhaits, les tendances, les humeurs, les sympathies et antipathies de l’analyste, même lorsque celui-ci en est totalement inconscient lui-même. Au lieu de contredire l’analyste, de l’accuser de défaillance ou de commettre des erreurs, les patients s’identifient à lui. »

L’insistance de Ferenczi sur les comportements inadéquats de certains analystes paraît excessive à Freud. Ferenczi poursuit sa lecture en abordant la question des traumatismes infantiles. Il est convaincu de la réalité des abus sexuels mais aussi de leur fréquence : « Même des enfants appartenant à des familles honorables et de tradition puritaine sont, plus souvent qu’on osait le penser, les victimes de violences et de viols » (Cité par Benoit Peeters p. 11). Pour Freud, Ferenczi s’est engagé sur une pente glissante, s’éloignant des techniques classiques de la psychanalyse. Pourquoi prendre pour argent comptant les traumatismes infantiles au lieu de les interpréter comme des fantasmes ? Le désaccord entre les deux hommes apparaît clairement.

Ce retour à Ferenczi nous intéresse particulièrement au moment où nous mettons en place des formations au sujet de la prévention des abus sexuels et de la protection des mineurs. Il est considéré aujourd’hui comme un précurseur des approches les plus contemporaines sur le soin, les enfants abusés et la résilience.
Le livre de Benoît Peeters est abondamment illustré avec des portraits de psychanalystes, mais aussi de femmes qui ont marqué l’itinéraire sentimental et intellectuel de Ferenczi (Gizella Palos et ses deux filles, Mélanie Klein, Lou Andreas-Salomé).

Les amateurs de bande dessinée connaissent Benoît Peeters, auteur avec François Schuiten de la série Les Cités obscures, auteur d’essais sur Tintin, biographe de Jacques Derrida, Paul Valéry et Hergé.

En évoquant le riche itinéraire de Sándor Ferenczi (1873-1933), Benoît Peeters nous plonge dans les débuts tâtonnants de la psychanalyse.

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