Le désir de Dieu pour l’homme, une réponse au problème de l’indifférence

Fiche de l’Observatoire Foi et culture du mercredi 3 octobre 2018 sur « Le désir de Dieu pour l’homme, une réponse au problème de l’indifférence » de Jean-Baptiste Lecuit.

Le désir de Dieu pour l'hommeIl n’est pas fréquent de voir figurer parmi les fiches de l’Observatoire Foi et Culture (OFC) un ouvrage de théologie, qui plus est de la très renommée collection Cogitatio fidei, aux éditions du Cerf. Pourtant, si l’on admet une définition large de la notion de culture et pas seulement une notion réduite au patrimoine et aux œuvres artistiques, le livre de Jean-Baptiste Lecuit, carme déchaux de la Province de Paris et professeur de théologie de l’université catholique de Lille, prend toute sa place dans une réflexion sur la culture d’aujourd’hui.

La culture renvoie en effet à nos manières de penser, d’aimer, d’agir. Elle interroge le rapport au monde et les relations avec Dieu. Par ailleurs, le trésor de la théologie et de la spiritualité chrétienne demeure un apport culturel considérable et indiscutable pour la société. C’est tout cela que nous pouvons découvrir en lisant Le désir de Dieu pour l’homme.

Jean-Baptiste Lecuit dans une introduction pose une question de manière abrupte. « Dieu nous aime infiniment : en son Fils Jésus, il offre à chacun de partager sa propre vie (…). Cette bonne nouvelle n’a cessé d’être annoncée, méditée depuis des siècles en Europe. Pourquoi la proportion de ceux qui vivent dans l’indifférence à une si heureuse annonce y a-t-elle grandi à ce point ? » (p. 11). Il constate ensuite : « Car l’indifférence envers le Dieu de Jésus Christ, en qui l’homme est appelé à trouver sa joie ultime, ne signifie pas une indifférence envers la joie et le bonheur. Cette indifférence implique seulement un écart, une absence de correspondance entre le désir de l’homme et l’appel de Dieu. De ce point de vue, la question de la vérité de la foi chrétienne semble s’effacer devant celle de sa désirabilité » (p. 14).

Après de précieuses distinctions et définitions à propos de mots proches du terme désir (volonté, tendance, contentement), Jean-Baptiste Lecuit analyse la notion de désir au cœur de l’homme dans sa recherche de Dieu. Comment Dieu s’offre-t-il au désir de l’homme ? La Bible (en particulier, les psaumes, les écrits de sagesse, les livres prophétiques) a développé abondamment comment le désir de l’homme envers Dieu est grand et comment Dieu appelle à la communion avec lui. Au passage, il était nécessaire de faire une distinction entre le désir et la convoitise si présente dès les premiers livres de la Bible (p. 67-71).

Un parcours à travers les écrits des Pères de l’Église dans les premiers siècles expose différentes harmoniques du désir de l’homme envers Dieu. Pour Ignace d’Antioche il s’agit d’« obtenir Dieu » en mourant ; pour Augustin d’« apprendre à désirer Dieu ». Grégoire le Grand affirme que celui qui désire Dieu, le possède. Plus tard, au XIIe siècle, Anselme de Cantorbéry s’adresse à Dieu en disant : « Que je te cherche en te désirant, et te désire en te cherchant, te trouve en t’aimant et t’aime en te trouvant. »

Jean-Baptiste Lecuit fait un détour par la psychanalyse pour faire apparaître la différence fondamentale entre le désir et le besoin, puis pose une question théologique : peut-on dire que Dieu désire ? Pour répondre à cette question, il faut d’abord préciser en quoi consiste le désir. Celui-ci se présente sous tant de formes, à propos d’objets si divers qu’il est bien difficile d’y reconnaître un phénomène unique. On peut dire cependant qu’il suppose le manque d’un bien futur. En ce sens, il est proche du besoin dont il partage l’orientation vers une satisfaction future et la volonté dont il partage l’illimitation et le caractère actif et personnel.

Dieu peut-il désirer ? Comment pourrait-il manquer de quelque bien, et auprès de qui pourrait-il l’acquérir ? De plus, Dieu n’est-il pas l’Éternel transcendant le temps et l’histoire, comment pourrait-il vouloir un bien futur ? Le désir est lié au changement. Or, en Dieu il n’y a pas de changement. Dieu, dans sa perfection n’a besoin de rien et ne peut donc désirer. C’est la position de saint Augustin et de saint Thomas d’Aquin.

Pour l’un comme pour l’autre, l’immutabilité de Dieu est incompatible avec la présence en lui du désir. Pour ces théologiens, seul l’homme peut donc désirer, se réjouir ou acquérir un savoir. De tels mouvements ne sont attribués à Dieu que métaphoriquement, en tant qu’il en est la source.

Les théologiens des dernières décennies, en revanche, parlent volontiers d’un désir de Dieu pour l’homme et son salut. Jean-Baptiste Lecuit cite, par exemple, François Varillon dans son célèbre ouvrage sur la souffrance de Dieu. Cet auteur souligne que l’amour accompli suppose l’attente d’une réciprocité. Il va de soi que dans le cas de Dieu, un tel vouloir n’est aucunement marqué d’égoïsme : « Quand Dieu nous invite
à l’aimer en retour, ce n’est pas qu’il se replie ou s’incurve sur soi, c’est que l’amour étant la valeur suprême, il désire que nous en vivions comme il en vit lui-même. Le désintéressement poussé à la limite n’est plus qu’indifférence à autrui » (La Souffrance de Dieu, p. 66).

Hans Urs von Balthasar, dans son étude de Charles Péguy, ne parle pas de Dieu comme désirant, mais il voit en lui le sujet d’une espérance, liée au risque d’une non-réponse de la liberté créée à son créateur : « C’est là ce que Dieu a voulu : que sa grâce élève l’homme dans la liberté, dans le même risque qui constitue le cœur de Dieu » (La Gloire et la Croix, II, 3, De Jean de la Croix à Péguy, p. 11). Balthazar exprime l’affirmation d’un risque pris par Dieu, et surtout d’une espérance en la réponse de l’homme. Implicitement est affirmé le désir de cette réponse.

Même le discours magistériel contemporain, prenant appui sur la Tradition, va à l’encontre d’Augustin et Thomas d’Aquin pour attribuer à Dieu le désir. Le pape Benoît XVI dans sa première encyclique parle de l’erôs divin, du désir amoureux, en référence à Osée ou Ézéchiel. Ceux-ci ont décrit la passion de Dieu pour son peuple avec des images érotiques audacieuses, avec la métaphore des fiançailles et du mariage. Benoît XVI développera le thème de la soif de Dieu en plusieurs occasions. Dans l’homélie du Jeudi Saint, le 21 avril 2011, Benoît XVI dira : « Seigneur tu nous désires, tu me désires (du hast Sehnsucht). Tu désires te donner toi-même à nous dans la sainte Eucharistie, t’unir à nous. Seigneur, suscite en nous le désir de toi. »

À la fin de son livre, Jean-Baptiste Lecuit propose une étude remarquable de l’œuvre de François de Sales en la situant dans le contexte historique de la Réforme catholique. Avec les jésuites, ses contemporains, François de Sales insiste sur le libre arbitre qui peut « refuser d’acquiescer » à l’appel de Dieu à se disposer à la grâce.

Le désir de Dieu pour l’homme fait voyager le lecteur dans toute la tradition spirituelle. Malgré des réponses conclusives un peu rapides concernant le problème de l’indifférence, l’ensemble de l’ouvrage est un apport d’une grande richesse.

 Hubert Herbreteau