Ne comptez pas sur moi pour dire « Amen. »!

Dans nos contrées, la publicité pour le film de Costa-Gavras n’a guère été affichée. Mais vous en avez vu la reproduction dans vos journaux. Pour l’opinion publique, le président de la Conférence épiscopale, Mgr Jean-Pierre Ricard, s’est exprimé. Inutile de nourrir la polémique : la bataille est perdue d’avance, comme le confirme le jugement rendu en faveur de l’affiche par le Tribunal de grande instance de Paris. Mais il faudrait, au moins, que les catholiques soient au clair avec les accusations dont leur Église est la cible.L’inversion des rôles

Le film contient, paraît-il, de nombreuses erreurs historiques. L’auteur, d’ailleurs, reconnaît qu’il n’a pas voulu s’encombrer d’un conseiller en la matière. Mais le mensonge de l’affiche qui associe la croix du Christ à l’emblème nazi n’est pas un détail : elle transforme tout simplement des victimes en tortionnaires. Car on oublie que l’Église catholique a été victime du nazisme.
Comptabilisez les chefs religieux qui ont encouragé le nazisme : vous n’irez pas loin. Comptez, en regard, le nombre de prêtres, de religieux, de religieuses qui sont morts dans les camps. Pensez à Mgr Gabriel Piguet, évêque de Clermont-Ferrand, déporté. Pensez à Marcel Callo et aux dizaines de prêtres, de séminaristes, de scouts, de jocistes qui ont été mis à mort, uniquement à cause de leur apostolat de chrétiens. En Pologne, l’Église a été décimée. Rappelez-vous, dans notre diocèse, Pascal Vergès, mort au camp de Spergau.
À Jérusalem, l’État d’Israël (qui ne se réduit pas à M. Sharon) a institué un lieu de mémoire : Yad Vashem (Isaïe 56, 5). À côté d’un musée et de divers monuments commémoratifs, le site comporte une plantation d’arbres : les  » allées des justes « . Les non-juifs qui ont aidé des juifs, pendant la guerre, au péril de leur vie sont invités à venir planter un arbre. La proportion de prêtres, de religieux, de religieuses, de tous les pays européens, est impressionnante. Dans une semaine, avec la trentaine de pèlerins qui auront eu le courage de venir en Terre sainte, nous saluerons la mémoire de Mgr Pierre-Marie Théas, en nous recueillant au pied de l’arbre qui rappelle son engagement.
Ce ne sont donc pas quelques individualités marginales qui ont pris parti et ont payé souvent de leur vie leur fidélité à l’Esprit du Christ. Quand il s’agissait de supérieures religieuses, en accueillant des enfants juifs, elles mettaient en danger, non seulement leur propre vie, mais la tranquillité de leur communauté. Je me plais, au passage, à saluer le courage de ces femmes, dignes héritières des fem-mes fortes de l’Ancien Testament.
Quand j’étais enfant, je fréquentais le patronage paroissial, le Bon Conseil, dont le directeur avait été décapité à Cologne pour avoir aidé les résistants, avec l’accord tacite de son curé. Je regrette qu’on ne m’en ait pas parlé davantage à l’époque. Dans le même temps, au lycée, nous allions tous les ans devant la plaque commémorant les « cinq martyrs du lycée Buffon » : nos professeurs avaient raison, même s’ils ne nous expliquaient pas grand chose. Parce qu’elle a été trop longtemps loyaliste à l’égard du régime de Vichy, l’Église catholique, en France, n’a pas osé honorer ses morts. Elle s’est laissée enfermer dans la honte.

Le procès des morts

Avant même que le film soit sorti, la thèse qu’il illustre a été publiée dans tous les journaux : il est donc permis d’en parler. Le cinéaste reprend l’acte d’accusation dressé par Ralf Hochhuth dans sa pièce, Le Vicaire (1963). Le vicaire (du Christ), c’est Pie XII, mort en 1958 : courageux ! Le texte de la pièce concernait toutes les autorités  » morales  » ; le metteur en scène a choisi de cibler sur l’Église catholique. C’est trop d’honneur !
La thèse est celle-ci : Pie XII savait et il n’a pas parlé. S’il avait parlé, il aurait arrêté le génocide. Il s’est tu parce qu’il comptait sur les nazis pour vaincre les bolcheviques, parce qu’il voulait protéger les intérêts de l’Église catholique, parce que le sort des juifs lui était indifférent, voire par antisémitisme.
La conduite du Pape a été, en fait, déterminée par une préoccupation dominante : sauver des vies et, tout particulièrement, des vies de juifs, dans les pays occupés par Hitler, et jusqu’à Rome même. Vous connaissez l’histoire du grand rabbin de Rome qui se convertit au christianisme après la guerre et qui, par reconnaissance pour l’action du Pape, prit le nom d’Eugène.
Pour sauver le plus grand nombre possible de vies humaines, le Pape pense qu’il ne faut pas couper les ponts. Il utilisera tant qu’il le pourra les canaux diplomatiques. N’est-ce pas ce que fait, aujourd’hui, Amnesty International et l’Acat en nous demandant d’écrire bien poliment aux ambassadeurs de pays dont nous réprouvons totalement les régimes ? Au cours de la guerre, le Pape a été conforté dans son attitude par ce qui est arrivé aux juifs hollandais, en 1942 : une lettre pastorale condamnant les déportations de juifs a amené une recrudescence des rafles. Édith Stein en fut victime. Les archives de l’époque déjà publiées (dix volumes, en attendant l’intégrale) montrent l’absurdité des motivations qui sont prêtées au Pape.
La polémique antichrétienne (l’affiche) et anticatholique (le film) est tellement grossière et tellement déplacée en ce temps où il faut débusquer toute tentation de haine religieuse ou antireligieuse que des personnalités juives, d’une part, laïques, d’autre part (le Mrap), l’ont désapprouvée. Pour autant, la plupart d’entre eux jugent, sans doute, que le Pape aurait pu et dû s’exprimer plus clairement : non pas pour l’efficacité, mais face à l’Histoire.
Quand un courant « révisionniste » s’est manifesté dans le monde universitaire, il a été, fort heureusement, condamné. Comment se fait-il que la seule Église catholique puisse être calomniée impunément ?