Quelle Europe voulons-nous pour demain ? | Documents épiscopat

À l’approche des élections européennes, qui auront lieu, en mai 2019, dans les 27 États membres de l’Union, Documents Épiscopat revient sur le rôle actif des chrétiens dans la construction de l’Europe, hier et aujourd’hui.

Édito de Mgr Antoine Hérouard

À quelques semaines des élections au parlement européen, on peut souligner sans peine que l’Europe n’a pas bonne presse. Pour la plupart des citoyens, elle semble lointaine, technocratique, souvent inefficace. Elle paraît trop souvent incapable de définir des politiques communes, comme sur la question des migrants et des réfugiés où l’on a vu les égoïsmes nationaux empêcher toute gestion d’ensemble de la crise de 2015. La défense des seuls intérêts nationaux, sans recherche d’un bien commun européen, et la montée des diverses formes de « populisme » rendent l’Europe responsable de bien des maux et des déficiences des gouvernements.

Si, avec le Brexit, c’est la première fois qu’un pays européen va quitter l’Union, on voit aussi que cela ne va pas sans grandes difficultés, que beaucoup d’arguments avancés par les tenants de la sortie de l’Union se sont révélés faux et rendent difficile et incertaine la définition de la future relation entre la Grande-Bretagne et les pays de l’Union. C’est sans doute aussi une des premières fois où l’enjeu des élections au Parlement européen peut permettre dans différents pays, au-delà des enjeux purement nationaux, une vraie thématique européenne. Quelle Europe voulons-nous pour demain ? Il ne suffit pas de critiquer les insuffisances, les lourdeurs bureaucratiques ou les échecs de l’Europe sans s’interroger plus profondément sur ce qui en est la cause : par exemple, dans la crise migratoire et ses conséquences, est-ce les institutions européennes qui n’ont pas fonctionné ou l’égoïsme des états membres qui n’a pas permis de définir une politique commune et des responsabilités partagées ?

Ces questions sont évidemment d’ordre politique, mais elles intéressent et concernent aussi l’Église dans ce qui constitue sa mission propre. C’est vrai d’abord au niveau historique dans son engagement constant en faveur de la paix dont nous voyons toujours la fragilité, particulièrement après avoir célébré le centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale : nous nous souvenons des millions de morts qu’elle a entraînés, comme une saignée béante pour notre continent. Si les papes successifs se sont engagés en faveur de la construction européenne, c’est toujours avec cette perspective de consolider la paix sur notre continent, laquelle est sans doute plus fragile que ne le pensent beaucoup de citoyens européens. Si la paix en Europe semble aujourd’hui acquise pour les jeunes générations, rappelons-nous que la guerre est aussi à notre porte (hier dans les Balkans, aujourd’hui en Ukraine…).

Si l’Europe se doit d’être l’horizon incontournable de nos démocraties et la promesse d’un meilleur bien-être pour tous, il ne s’agit pas d’en faire une démarche incantatoire mais de mettre en œuvre le projet qui fut celui des pères fondateurs. Robert Schuman s’exprimait ainsi dans sa déclaration du 9 mai 1950 : «La contribution qu’une Europe organisée et vivante peut apporter à la civilisation est indispensable au maintien des relations pacifiques. […] L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes, créant d’abord une solidarité de fait.» N’oublions pas à quel point la réconciliation franco-allemande, après trois guerres aussi meurtrières en moins d’un siècle, est sans doute un exemple unique dans l’histoire récente.

Au-delà des différences d’approche politique légitimes –une Europe plutôt libérale qui met en avant, à travers le respect de la concurrence, l’intérêt supposé du consommateur ou une Europe cherchant à mettre en place une véritable économie sociale de marché, dans la recherche d’une harmonisation sociale qui ne soit pas seulement a minima–, des intérêts économiques différents entre les pays qui composent l’Union européenne, l’important est sans doute aujourd’hui de retrouver une âme, un sens à ce que nous essayons de vivre dans cette construction européenne, souvent laborieuse et difficile et, pour nous chrétiens, de nous y engager avec générosité et réalisme.

En son temps, le pape saint Jean Paul II exprimait ainsi ce qui lui semblait devoir être l’identité de l’Europe: «Pour donner un nouvel élan à son histoire, l’Europe doit reconnaître et retrouver dans une fidélité créatrice, les valeurs fondamentales à l’acquisition desquelles le christianisme a apporté une contribution déterminante et qui peuvent se résumer dans l’affirmation de la dignité transcendante de la personne, de la valeur de la raison, de la liberté, de la démocratie, de l’état de droit et de la distinction entre politique et religion»[1].

quelle-europe-voulons-nous-Le pape François, pourtant issu d’un autre continent, n’a pas manqué de s’exprimer longuement (pas moins de cinq grands discours sur ce sujet depuis son élection !) sur l’importance de la construction européenne, le rôle que l’Europe a à jouer dans le monde et la contribution que peuvent apporter les chrétiens à la construction européenne.

« Personne et communauté sont donc les fondements de l’Europe que, en tant que chrétiens nous voulons et pouvons contribuer à construire. Les pierres de cet édifice s’appellent : dialogue, inclusion, solidarité, développement et paix » [3].

Ainsi lors du colloque organisé, à Rome, par la COMECE [2] et la Secrétairerie d’État à Rome, en octobre 2017, «Rethinking Europe», le pape François soulignait que « la première et peut-être la plus grande contribution que les chrétiens puissent offrir à l’Europe d’aujourd’hui, c’est de lui rappeler qu’elle n’est pas un ensemble de nombres ou d’institutions, mais qu’elle est faite de personnes. […] Les personnes ont des visages, elles nous obligent à une responsabilité réelle, active, “personnelle”; les chiffres nous occupent avec des raisonnements, certes utiles et importants, mais ils resteront toujours sans âme. Ils nous offrent l’alibi d’un désengagement, parce qu’ils ne nous touchent jamais dans la chair. Reconnaître que l’autre est surtout une personne signifie valoriser ce qui m’unit à lui. Le fait d’être des personnes nous lie aux autres, nous fait être communauté. Donc, la deuxième contribution que les chrétiens peuvent offrir à l’avenir de l’Europe est la redécouverte du sens d’appartenance à une communauté

« Personne et communauté sont donc les fondements de l’Europe que, en tant que chrétiens nous voulons et pouvons contribuer à construire. Les pierres de cet édifice s’appellent : dialogue, inclusion, solidarité, développement et paix » [3].

Devant la montée des extrêmes, le Pape plaide pour un véritable dialogue en Europe : « Favoriser le dialogue, tout dialogue est une responsabilité fondamentale de la politique et malheureusement on observe trop souvent comment elle se transforme plutôt en lieu d’affrontements entre des forces opposées. La voix du dialogue est remplacée par les hurlements des revendications. À bien des endroits on a le sentiment que le Bien commun n’est plus l’objectif premier poursuivi et ce désintérêt est perçu par de nombreux citoyens. Ainsi trouvent un terrain fertile, dans beaucoup de pays, les formations extrémistes et populistes qui font de la protestation le cœur de leur message politique, sans toutefois offrir l’alternative d’un projet politique constructif » [4].

Un autre aspect qu’il nous faut souligner dans les enjeux actuels du débat européen est la question de la place de l’Europe dans le monde et dans le fonctionnement d’une économie mondialisée. Plus que nous ne le pensons et sans doute ne l’imaginons, l’Europe est attendue et regardée par d’autres pays et d’autres ensembles en construction (Amérique du Sud, Asie, Afrique…).

« En vingt ans le monde a profondément changé et il est clair qu’il n’est plus centré sur l’Europe. L’Église, elle aussi, a beaucoup changé et s’est internationalisée dans ses références culturelles et son mode de gouvernement. La question est bien de voir si ce que l’Europe a pu apporter au monde dans sa compréhension de l’homme, de sa dignité inaliénable, de ses droits fondamentaux, de sa capacité relationnelle et solidaire, pourra encore être affirmé demain et proposé comme un idéal sur d’autres continents » [5].

Autrement dit, devant les mutations très rapides des équilibres géopolitiques entre les grandes puissances (repli américain, influence russe sur différents lieux de conflits, montée de la puissance économique et militaire chinoise), si nous plaidons pour des relations internationales mieux organisées et davantage régulées, tant au point de vue politique qu’économique et commercial, c’est bien l’Europe, et sans doute elle seule aujourd’hui, qui peut en être la cheville ouvrière et le fer de lance.

Comme chrétiens, nous avons à aider les citoyens européens à discerner la nature des choix à effectuer pour que l’Europe réponde davantage aux attentes des peuples européens mais aussi à sa mission propre dans l’évolution du monde. Elle est attendue.

Mgr Antoine Hérouard,
évêque auxilliaire de Lille,
représentant de la CEF en tant que président de la commission sociale de la COMECE

—————————-

 

[1] Exhortation apostolique Ecclesia in Europa, saint Jean Paul II, 28 juin 2003, n°109.

[2] COMECE : Commission des épiscopats de l’Union européenne

[3] Colloque «Rethinking Europe» discours du pape François,28 octobre 2017.

[4] Idem.

[5] Mgr Georges Pontier, président de la CEF, discours de clôture de l’Assemblée des évêques à Lourdes, 8 novembre 2018.

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