Homélie de Mgr Jean-Marc Aveline, messe télévisée du Jour du Seigneur, pendant l’Assemblée plénière des évêques de France d’automne 2025
« Jésus fit un fouet avec des cordes et les chassa tous du Temple, ainsi que les brebis et les bœufs ; il jeta par terre la monnaie des changeurs, renversa leurs comptoirs et dit aux marchands de colombes : “Enlevez cela d’ici. Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce.” »
Le récit de cet épisode si impressionnant et si décisif dans la vie de Jésus figure, nous le savons, dans les quatre Évangiles. Mais alors que chez les trois autres, il est placé à la fin du ministère de Jésus, peu avant son arrestation et sa Passion, car son geste est comme la goutte d’eau qui fait déborder le vase et qui finit de convaincre ses adversaires qu’il faut l’éliminer, chez saint Jean, le même épisode est situé non pas à la fin, mais au tout début du récit évangélique, alors que Jésus ne fait que commencer son ministère public.
Comme si saint Jean voulait nous aider à comprendre que le drame de la Passion, qui fera se lever sur le monde l’aurore du salut, n’est pas la simple conséquence d’une hostilité progressive des opposants à Jésus, qui auraient fini par convaincre Pilate de le livrer à la mort, mais bien plutôt l’intention profonde du Fils de Dieu dans son Incarnation : « Ma vie, nul ne la prend mais c’est moi qui la donne ! » (Jn 10, 18). Comme s’il nous invitait, au seuil de son Évangile, à contempler déjà le Mystère pascal, faisant le lien entre le Verbe et la croix, entre la splendeur de la gloire et le prix de la grâce. Avant que, dès la fin du chapitre 12, Jésus ne soit contraint de se cacher, de ne plus parler en public, de vivre comme un homme traqué, il avait déclaré à ses disciples ces mots qu’annonçait déjà l’épisode des vendeurs du Temple : « C’est maintenant le jugement de ce monde. Maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors. Mais moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes » (Jn 12, 31-32).
Laissons-nous attirer par Lui, frères et sœurs, car c’est en Lui que notre vie prend sens, c’est en Lui seulement qu’elle trouve son salut, loin de toute activité mercantile faussement religieuse. Avec la force de son Esprit, apprenons à renoncer aux marchandages intérieurs par lesquels nous refusons de nous abandonner à Lui et de Lui faire confiance en toutes choses. Cessons de faire du trafic avec les choses de Dieu, en les utilisant sournoisement pour asseoir notre pouvoir, pour couvrir des injustices, des violences ou des agressions. Ne parlons pas du Christ comme si l’on pouvait se servir de sa gloire sans avoir éprouvé dans notre chair quelque chose de la douleur de sa croix. Ne l’humilions pas davantage en prétendant le suivre, alors même que nous nous tenons éloignés de nos frères humains, si nombreux aujourd’hui, qui connaissent comme Lui la détresse de l’homme traqué et défiguré, calomnié et méprisé. Car depuis que le Verbe s’est fait chair, la maison de son Père n’est plus un bâtiment, si beau soit-il, mais bien cette chair, cette condition humaine, cette humanité si fragile et si faillible où Il a pourtant choisi de venir établir sa demeure. « Si quelqu’un m’aime, avait dit Jésus, il observera ma parole, et mon Père l’aimera ; nous viendrons à lui et nous établirons chez lui notre demeure » (Jn 14, 23). « Je te cherchais dehors, disait saint Augustin, mais tu étais dedans, plus intérieur à moi-même que moi-même ! »
Mais il faut bien reconnaître que nous avons beaucoup de mal, aujourd’hui, à retrouver le chemin de l’intériorité ! Comme si une amnésie spirituelle nous avait saisis, avec ses effets secondaires que sont la tristesse, le désespoir, et finalement la peur, engendrant à son tour la division et la violence. La crise que traverse notre monde provient d’une blessure spirituelle, nous a dit en début de semaine notre frère orthodoxe Bartholomée Ier, patriarche œcuménique de Constantinople, invité à Lourdes pour l’ouverture de l’Assemblée plénière des évêques de France. « Lorsque Dieu disparaît du regard humain, la terre devient un bien à exploiter, l’autre un rival à craindre et la vie elle-même une marchandise. » Et hier soir, nous avons pu écouter d’autres paroles fortes que nous a adressées le cardinal Pizzaballa, patriarche latin de Jérusalem, à propos de la situation actuelle en Terre Sainte. « Ne laissons pas la guerre façonner nos esprits ! », a-t-il insisté, invitant les communautés chrétiennes à vivre jusqu’au bout une proximité solidaire avec les plus pauvres, dans l’humilité et la fidélité, partageant la joie de l’Évangile jusque dans la détresse du quotidien.
Frères et sœurs, nous le savons : la proximité est la signature de Dieu dans sa révélation : « J’ai entendu la misère de mon peuple, […] je connais ses souffrances » (Ex 3, 7) lit-on au livre de l’Exode. C’est cela, en définitive, la dédicace de Dieu, la signature qui atteste sa présence, le geste par lequel, en son Fils, il signe l’œuvre du salut en en accomplissant les signes, libérant les captifs, guérissant les infirmes, pardonnant aux pécheurs, prenant soin des pauvres et des petits, donnant à tous sa paix. En ce jour où nous fêtons la dédicace de la basilique de Saint-Jean du Latran, « Mère et Tête de toutes les églises de la Ville et du monde », comme le proclame son fronton, demandons au Seigneur de nous aider à imiter sa signature, en n’ayant pas peur de nous comporter en hommes et femmes libres à cause de l’Évangile ! Libres à l’égard des idoles de tous les Temples d’aujourd’hui et de leurs trafics en tous genres ! Libres de réveiller les consciences, la nôtre et celles de nos contemporains, quand nous gagnent l’amnésie spirituelle et son cortège de maux. Libres de ne pas laisser les idéologies ni les algorithmes formater nos esprits et les rendre vulnérables aux puissants de ce monde. Libres de nous faire proches, à cause de l’Évangile, de tous ceux que la société préfère ignorer et rejeter.
Un seul épisode, dans l’Évangile de Jean, excepté le Prologue, est situé avant la scène de l’expulsion des vendeurs du Temple : c’est celui des noces de Cana. En racontant comment Marie attire l’attention de son Fils sur le vin qui vient à manquer, saint Jean nous suggère que la confiance que sa mère place en Lui devient pour Jésus comme une goutte d’eau qui fait déborder les jarres de son cœur miséricordieux et suscite ainsi la foi de ses premiers disciples, devant la gloire qui se manifeste en Lui et non plus dans le Temple, devenu une maison de commerce. Avec tous les pèlerins de Lourdes, demandons à la Mère de Dieu de nous aider à vivre en enfants de Dieu appelés à la liberté, pauvres de tout mais riches du Christ. Retrouvons le chemin de l’intériorité pour écouter la voix de l’hôte intérieur. « Tout ce qu’Il vous dira, faites-le ! », avait conseillé Marie aux serviteurs de la noce. C’est encore son conseil pour nous ce matin.
Amen !
+ Jean-Marc Aveline
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