« La vie consacrée » , par Mgr Papin
Mgr Papin, évêque de Nancy et président de la Commission épiscopale dans les Églises particulières pour la vie consacrée, pointe le sens et l’importance de la vie consacrée dans l’Église diocésaine. A l’occasion de la 48e journée mondiale de prière pour les vocations, le 15 mai 2011, Il invite les chrétiens à se questionner sur la place des consacrés dans la mission reçue du Christ.
Aujourd’hui, nous sommes plus souvent confrontés à la fermeture de communautés religieuses qu’à des ouvertures. Ces fermetures ne laissent personne indifférent aussi bien dans l’Église que dans la société civile. Certains se résignent, non sans regret, à cet effacement progressif tandis que d’autres se mobilisent pour le maintien de la communauté ou pour un appel à un autre institut. Quelle signification et quelle place sont données à la vie consacrée pour qu’on lui attribue une si grande importance ?
D’une perception à une autre
Il fut un temps où les religieux et religieuses de vie apostolique étaient considérés surtout pour leur utilité : enseignement, soins aux malades, pastorale, accompagnement spirituel, prédication de retraites, etc. C’est dans cette perspective que les diocèses et les paroisses faisaient appel à eux. Non sans raison, car la plupart des instituts avaient été fondés pour répondre à un besoin social ou ecclésial. Mais considérer la vie consacrée d’un point de vue seulement utilitaire est insuffisant. Cette façon de voir fait passer à côté de ce qui en fait le cœur. Aujourd’hui, cette conception seulement utilitaire de la vie consacrée se rencontre moins fréquemment. Lorsqu’une équipe d’animation paroissiale élabore un projet pour la venue d’une communauté religieuse, elle parle plus souvent en termes de présence et de signification que de tâches à accomplir. Comme si le départ d’une communauté avait des conséquences sur l’être et la qualité de vie chrétienne de l’Église plus que sur son organisation et son fonctionnement. Ce n’est que dans un second temps qu’on précise les activités dans lesquelles les membres de la communauté pourraient s’investir en fonction du charisme de leur institut et des besoins de l’Église locale.
Au cœur de la vie consacrée
Comme chacun peut le constater, la vie consacrée se concrétise dans des formes nombreuses et diverses : ordres monastiques contemplatifs, instituts de vie apostolique, instituts séculiers, vierges et veuves consacrées, ermites… Cette diversité appelle à s’interroger sur ce qui en fait l’unité et donc le cœur. Ce faisant, on saisit mieux ce qu’elle est dans et pour une Église particulière. Lors d’une récente session des délégués épiscopaux à la vie consacrée, sœur Sylvie Robert, théologienne, situait cette unité non pas seulement dans la consécration à Dieu, laquelle est commune à tous les baptisés, mais dans le fait que cette consécration par la profession des conseils évangéliques de pauvreté, de chasteté et d’obéissance est vécue dans un célibat choisi et professé, et dans une communion instituée qui se concrétise différemment selon les diverses formes de la vie consacrée. La communion fraternelle est, en effet, vécue et organisée différemment selon qu’il s’agit d’une abbaye, d’une congrégation de vie apostolique, d’un institut séculier ou de la virginité consacrée. S’engager dans la vie consacrée, c’est donc prendre un chemin particulier de sainteté pour le bien de l’Église et de chacun de ses membres.
Pour la sainteté de l’Église et l’annonce de l’Évangile
En effet, quelle qu’en soit la forme, la vie consacrée, comme tout état de vie et tout charisme, n’est pas un en-soi. Elle est pour l’Église et pour sa mission qui est d’annoncer l’évangile du Royaume de Dieu. Vatican II souligne fortement cette finalité lorsqu’il déclare que la vie consacrée, bien que ne se situant pas dans la structure hiérarchique de l’Église entre les ministres ordonnés et les laïcs, appartient inséparablement à sa vie, à sa mission et à sa sainteté. Elle contribue, selon sa spécificité, à la sanctification du Peuple de Dieu et de chacun de ses membres quel que soit son état de vie et sa mission particulière. Au sein de l’Église, elle est une invitation permanente à progresser dans la suite du Christ, à garder le cap de l’amour filial envers Dieu et de l’amour fraternel envers tous. Elle appelle les ministres ordonnés à accomplir les tâches de leur ministère dans cet esprit, et les laïcs à vivre de même leur vocation de témoins du Christ dans le monde. C’est dire l’importance de la vie consacrée pour une Église locale. Dans l’exhortation apostolique sur la vie consacrée, Jean-Paul II va jusqu’à affirmer que la conception d’une Église composée uniquement de ministres ordonnés et de laïcs ne correspondrait pas aux intentions de son fondateur qui a appelé certains à tout quitter pour le suivre. En se sens, ajoute-t-il, elle en est un élément constituant et irremplaçable qui ne pourra jamais lui faire défaut. N’est-il pas paradoxal de constater que c’est au moment où les communautés religieuses se font moins nombreuses et plus âgées, moins investies dans des responsabilités ecclésiales et des activités sociales, que nous redécouvrons ce qui fait le cœur et le caractère irremplaçable de la vie consacrée : contribuer par une présence le plus souvent humble et discrète à ce que tous les membres de l’Église progressent dans la sainteté qui est leur vocation commune et soient ainsi mieux à même d’annoncer l’Évangile ? Mais la mission de la vie consacrée ne se limite pas à l’Église. Elle est aussi pour le monde. Si la fermeture d’un monastère ou le départ d’une communauté suscitent des réactions attristées ailleurs que dans l’Église, c’est que leur présence et leur mode de vie signifient et annoncent quelque chose d’important à un monde en quête de sens, de spiritualité et de fraternité. Pensons aux petites fraternités insérées dans les quartiers populaires, souvent seules présences chrétiennes dans des immeubles habités par des personnes et des familles en grande précarité et majoritairement musulmanes. C’est cette signification et cette place de la vie consacrée dans l’Église et dans le monde que perçoivent plus ou moins clairement tous ceux qui se désolent de voir partir une communauté ou fermer un monastère. C’est cela qui mobilise des équipes d’animation paroissiale et des évêques qui ne peuvent se résoudre à l’effacement de la vie consacrée dans des zones de plus en plus vastes de leur diocèse.
Tous concernés
Le peuple chrétien dans son ensemble se sent très concerné par l’avenir du ministère des prêtres parce qu’il a besoin d’eux, notamment pour la célébration des sacrements. Se sent-il autant concerné par celui de la vie consacrée ? L’un et l’autre sont aussi essentiels à la vie de l’Église. L’avenir de la vie consacrée nous concerne donc tous. Les difficultés que rencontrent actuellement nombre d’instituts ne doivent pas faire douter de cette conviction qu’elle appartient à la nature intime de l’Église et à sa mission. Don de Dieu à son peuple, elle est importante pour la réalisation de notre vocation chrétienne. Si des formes de vie consacrée s’effacent, d’autres surgissent, les unes proches des anciennes, les autres plus originales qui doivent prendre le temps et les conditions de la maturation. « Éternelle jeunesse de l’Église », écrivait Jean-Paul II.