Méditation de Mgr Aveline donnée lors de la veillée de prière pour la canonisation de Charles de Foucauld

Méditation de Monseigneur Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille, donnée samedi 14 mai 2022, lors de la veillée de prière de la canonisation Charles de Foucauld, en la Basilique Sant’Andrea della Valle.

« Regardons les saints mais ne nous attardons pas sur eux. Profitons de leurs exemples mais sans nous y arrêter longtemps. Ne cherchons pas à les imiter eux mais, avec eux, à imiter le Christ, qui est le modèle unique », écrivait Charles de Foucauld. Suivons donc son conseil. Et cherchons comment Charles nous aide à contempler Jésus-Christ et de quelle façon il nous encourage à l’imiter.

Je choisis de le faire en reprenant trois lieux bibliques qui ont fait vibrer le cœur de Charles et nous aident à contempler le cœur du Christ, ce Sacré-Cœur qui a tant aimé le monde.

Le premier lieu, c’est Nazareth.

De Nazareth, pourtant, « que peut-il sortir de bon ? », avait demandé Nathanaël au début de l’évangile de Jean (Jn. 1, 46). Mais Charles a immédiatement compris que, pour la foi chrétienne, la vie cachée de Jésus à Nazareth, pendant trente ans, était aussi le lieu de notre salut. Charles a compris que ces trente années de vie de Jésus à Nazareth faisait autant partie de l’œuvre du salut que les trois ans de ministère public, jusqu’aux trois jours du mystère pascal. A quelqu’un qui l’interrogeait sur la façon d’obtenir la vie éternelle, Jésus avait répondu : « Lorsque tu es invité, va te mettre à la dernière place » (Lc. 14, 10). Et, ce conseil, Jésus Lui-même l’avait vécu en habitant humblement à Nazareth, cette ville de mauvaise réputation, et en partageant la condition humaine la plus ordinaire, en toutes choses excepté le péché. Suivre le Christ, c’est s’approcher de la dernière place, en toutes choses, car c’est là qu’on est le plus proche de Lui. Il y a là un appel pour notre Église aujourd’hui. C’est en passant par la porte du service des pauvres qu’on a le plus de chance de trouver le chemin de la suite du Christ. Les jeunes, aujourd’hui, le savent bien ! Et je ne cesse de les y encourager.

Le deuxième lieu, c’est Béthanie.

Quand il s’installe comme domestique chez les Clarisses à Jérusalem (il va y rester quelque temps, après Nazareth), Charles écrit à sa cousine que, depuis sa cabane au fond du jardin, il voit Jérusalem, le Mont des Oliviers et « notre chère Béthanie ». C’est que Charles aime beaucoup contempler Jésus à Béthanie. Béthanie, pour Jésus, c’est le lieu de l’amitié, de la fraternité. C’est Lazare, Marthe et Marie… et la tendresse d’une famille amie. Foucauld, orphelin très jeune, savait l’importance de cette tendresse. Et, quand il s’installera à Beni-Abbès puis à Tamanrasset, il n’aura de cesse de créer autour de lui un climat d’amitié, de service, de famille, de fraternité. Béthanie, c’est aussi le lieu où Jésus, avant de Lui-même laver les pieds de ses disciples, avait accepté que Marie Madeleine Lui lave les pieds et les essuie avec ses cheveux. Tout Fils de Dieu qu’Il était, Il reçut d’une femme pécheresse ce geste d’amour dont Il fera Lui-même le geste d’une communion à son propre amour, à cet amour dont Dieu aime le monde : « Ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, Il les aima jusqu’au bout » (Jn. 13, 1). C’est en contemplant Jésus à Béthanie que Charles a compris l’importance de la fraternité. Une fraternité capable de recevoir des autres quelque chose du don de Dieu. Comme Jésus et Marie-Madeleine. Et comme Charles apprendra à recevoir de Dassine le lait de chèvre qui lui sauva la vie à Tamanrasset quand il faillit y mourir. Comme il avait reçu des musulmans marocains, dont la prière l’avait impressionné, quelque chose du don de Dieu qui le ramena vers la foi. Il y a là un appel pour notre Église : apprendre à recevoir et vivre la mission dans un esprit de dialogue, de confiance, sans peur de témoigner du Christ mais sans négliger le don de Dieu qui, par son Esprit, est « présent et agissant non seulement dans les personnes mais aussi dans les sociétés, dans les cultures, dans l’histoire et dans les religions » (Jean-Paul II, Redemptoris missio, 28).

Et le dernier lieu, c’est Gethsémani.

C’est le lieu du combat. C’est le lieu qui, vu de l’extérieur, est celui de l’échec. Le sentiment d’échec a toujours habité Charles, surtout vers la fin de sa vie. Le Maroc est resté fermé. Aucun musulman n’est devenu chrétien. Aucun frère ne l’a rejoint pour partager sa vie. Sa mission n’a rien donné, du moins à ses yeux. Toutes ses stratégies ont échoué. « J’ai tout ce qu’il faut pour faire un bien immense, excepté moi-même ! », dira-t-il. Mais Gethsémani, c’est aussi, pour le Christ, le lieu de l’abandon. Charles, à son habitude, avait médité l’Évangile en se glissant dans la prière et la pensée de Jésus. Il a ainsi cherché à exprimer la prière que fit Jésus à Gethsémani, cette prière si connue aujourd’hui : « Mon Père, je m’abandonne à Toi. Fais de moi ce qu’il Te plaira. (…) Je suis prêt à tout. J’accepte tout. Parce que je T’aime et que ce m’est un besoin d’amour de me donner, avec une infinie confiance, car Tu es mon Père ». Là encore, il y a pour notre Église un appel. La mission n’est pas notre œuvre. Elle est d’abord l’action de l’Esprit Saint qui « poursuit son œuvre dans le monde et achève toute sanctification » (Prière Eucharistique IV). Habiter la Parole, aimer de tout son cœur en imitant le Sacré-Cœur, adorer le Seigneur, célébrer l’Eucharistie comme le premier et le plus fondamental des gestes missionnaires : voilà le chemin des disciples que Charles nous indique. Et ce chemin ne s’évalue pas en efficacité, en courbe de croissance ni en nombre de conversions, comme sur un tableau de chasse. Car la fécondité de la mission a pour matrice le mystère pascal. Elle est l’œuvre de Dieu à laquelle il nous est demandé, par grâce et non à cause de nos mérites, de coopérer.

Rien n’est universel qui ne soit concret : telle est la leçon de Nazareth.

Rien n’est réellement transmis qui ne soit fraternellement confié : telle est la leçon de Béthanie.

Rien n’est fécond qui ne consente à être enfoui, comme le grain de blé tombé en terre : telle est la leçon de Gethsémani.

S’il est bien vrai que la catholicité n’est pas pour l’Église un statut ni un privilège mais plutôt une vocation et une tâche à accomplir, alors Charles de Foucauld aura offert à notre Église de mieux comprendre cette vocation à la catholicité : comme à Nazareth, une catholicité de la dernière place, avec les pauvres et pour les pauvres ; comme à Béthanie, une catholicité de la fraternité, qui sait donner et recevoir, annoncer et dialoguer, espérer pour tous et prier Dieu sans cesse afin que « tous les humains aillent au ciel » ; comme à Gethsémani, une catholicité de l’abandon, du renoncement à nos ambitions d’efficacité pour accueillir, d’où qu’il vienne, le don de Dieu, accueillir, purifier, assumer et apprendre à coopérer avec l’Esprit pour qu’un jour, le Père puisse tout récapituler sous un seul chef, le Christ, les choses du ciel et celles de la terre.

« On travaille souvent pour autre chose qu’on ne croit », écrivait un jour Charles à son ami Henri Duveyrier. Après beaucoup d’échecs, Charles en était venu à penser que sa vocation n’était que de défricher. Mais il pensait que c’est pour que d’autres, plus tard, puissent aller convertir le Maroc et le Sahara. Il ne savait pas que c’était en réalité pour autre chose : offrir à notre Église aujourd’hui le cadeau d’une nouvelle compréhension de sa mission, plus profonde et plus exigeante. Que Charles en soit remercié et que Dieu en soit loué ! Amen !

Mgr Jean-Marc Aveline,
archevêque de Marseille

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