« La messe au nom de… »
Prêtre de la Mission de France et aumônier national des prisons depuis 2015, Jean-François Penhouet rappelle » qu’il est important que les chrétiens se rassemblent pour faire Eucharistie ».
Français, nous aimons bien les étiquettes, les catégories, les partis…et les conflits, oppositions et divisions que cela entraîne !
Pour faire caricatural, à propos du « débat » sur la messe, qui a enflammé les journaux, les réseaux sociaux, les paroisses et les mouvements cathos pendant le confinement, je ferais bien deux chaînes dont les termes s’opposent point par point : tradis-conservateurs, identitaires, pieux, de droite, pour ceux qui revendiquaient la messe ; progressistes, ouverts, sociaux, de gauche, pour les autres.
J’ai été amené quelquefois à contester ces schèmes. Leur simplicité qui est un mérite ne rend pas forcément compte de la complexité des personnes et des situations. Classé probablement dans la deuxième catégorie par ceux de la première puisque j’appartiens à la Mission de France (MDF), je voudrais partager quelques réflexions sur l’Eucharistie qui pourraient permettre aux uns et aux autres d’entrer dans un dialogue exigeant, à moins qu’ils n’aient classé définitivement ceux de l’autre bord dans le statut de mauvais chrétiens.
Je crois pouvoir dire que l’Eucharistie est centrale dans ma vie de prêtre, même si je ne la célèbre pas quotidiennement. J’ai beaucoup de respect et d’admiration pour mes confrères qui font Eucharistie quotidiennement, même s’ils sont seuls. Beaucoup de prêtres-ouvriers, de membres de la MDF en Chine ou en pays musulman ont célébré, et célèbrent encore, quotidiennement. Seuls. Ils ont probablement une perception mystique de la messe que je n’ai pas.
Le problème pour moi n’est pas le nombre de messes que je célèbre ni le nombre de participants. J’ai eu la grâce de commencer mon ministère en Limousin et de célébrer pendant dix ans dans des églises quasiment vides, les dimanches et les fêtes y compris. Cette situation de départ a enraciné profondément en moi une dimension eucharistique de ma vie et m’a fait comprendre cet essentiel : seul, à deux ou trois, à 500 ou à 10000, l’Eucharistie est toujours la même, en latin ou français, avec enfants de chœur, chasuble et encens ou dans le dépouillement le plus complet ; il s’agit de porter la louange et la supplication du monde dans le Christ au Père. Seul ou à 100000, l’Eucharistie dépasse toujours ceux qui sont rassemblés. Elle se célèbre avec, pour et au nom des autres qui sont absents. Merci aux bancs vides des églises limousines de m’avoir appris cela très tôt !
Il est important que les chrétiens se rassemblent pour faire Eucharistie, si modeste soit le signe qu’ils posent. Mais au lieu de se lamenter sur le nombre de pratiquants qui va s’amenuisant, il me paraît plus dynamisant de chercher ce qui est en jeu dans la célébration de nos eucharisties, quels qu’en soient le nombre, la fréquence et l’assistance. Il s’agit, ni plus ni moins, que de la rencontre de Dieu et de l’humanité (pas seulement son Église !) à travers la Parole et le Pain partagés. Il s’agit de l’édification du Corps du Christ aujourd’hui. Il s’agit de porter « l’hymne de joie et de douleur qui naît aujourd’hui », comme l’exprime si bien un hymne de l’Office, de le porter dans l’offrande du Christ à son Père. Nous, pratiquants de la messe, sommes chargés de cela, au nom de tous les non-pratiquants de la messe qui peuvent par ailleurs pratiquer l’amour et le service du frère de façon très authentique. En Limousin, pour y revenir, je devais assurer une astreinte de travail le dimanche matin à l’ESAT où j’étais salarié. Christian, mon collègue communiste, m’a fait savoir qu’il était toujours prêt à me remplacer ce dimanche matin si je devais célébrer un office. Il était là, d’une certaine façon, présent avec moi à la messe tout en étant au travail. Jean-Pierre, son voisin, a assumé tous les jours, en plus du sien, à 15 km de chez lui, le travail à la ferme d’un autre collègue dépressif pendant six mois. Il ne pouvait pas venir à la messe. Mais moi, j’y étais. En son nom, en quelque sorte. En prison, les bruits de la promenade, du sondage des barreaux, les cris, les alarmes « dérangent » l’ordre de la célébration. C’est très bien ainsi ! Les autres détenus, les musulmans, les non croyants, les surveillants, les familles sont ainsi associés à la messe. Nous sommes tous là, à 3 ou à 50, au nom des 900 qui se trouvent dans le bâtiment. Au nom de l’humanité entière.
Je pense que nous gagnerions à approfondir théologiquement ce qui est en jeu derrière des mots qu’on se lance à la figure pour dire, selon le bord où on se situe, soit qu’ils sont complètement dépassés, voire dangereux, soit qu’ils sont centraux et que c’est parce qu’on les a perdus que nous arrivent tous les malheurs. J’ai nommé : sacrifice et sacerdoce.
Avec un peu de rigueur intellectuelle, de souplesse et d’humour sur nos propres pratiques et catégories, on devrait arriver à vivre en frères. Ce qui est quand même normalement un fruit de l’Eucharistie.
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— Eglise catholique de la Sarthe (@Diocese72) November 28, 2020
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