« Il est bon pour vous que je parte », par Mgr André Vingt-Trois
Dans l’évangile de saint Jean, Jésus dit à ses disciples : « Il est bon pour vous que je parte ». Nous comprenons que pour eux, ce départ du Christ n’est pas forcément une nouvelle heureuse. Ils étaient accoutumés à vivre avec lui, à le voir au milieu d’eux, à le toucher, à partager ses repas, bref à entretenir une relation humaine, normale avec lui. Et voilà qu’en les quittant, Jésus laisse un vide au milieu d’eux.
Quel est le sens de ce départ du Christ ? Pourquoi doivent-ils se réjouir de ce que le Christ les quitte comme il le dit dans l’évangile de saint Jean ? C’est la condition pour qu’ils reçoivent son Esprit. Mais cela, ils ne le savent pas encore ! Ici, l’évangile de saint Matthieu nous dit que les paroles que Jésus leur adresse au moment de les quitter mettent en évidence et en valeur, la dimension universelle de sa mission : faire des disciples de toutes les nations. Nous commençons à comprendre que l’humanité de Jésus, Jésus de Nazareth, qui ouvre la porte pour tout homme au salut qu’il est venu accomplir est aussi pour chacun et chacune d’entre nous une limitation dans le temps et dans l’espace. Jésus ne peut pas être simultanément à Jérusalem et en Galilée. Il ne peut pas être présent simultanément sous l’occupation romaine et au Moyen-Âge ou même aujourd’hui. S’il s’agit de toucher tous les hommes de toute la terre, il faut d’une certaine façon échapper à cette localisation dans le temps et dans l’espace. La seule possibilité d’y échapper, pour Jésus, c’est de sortir de la situation humaine dans laquelle il est entré. Son départ, le vide qu’il creuse au milieu de ses disciples sont l’espace d’ouverture pour que toutes les nations soient atteintes par l’évangile.
Mais nous comprenons comme Jésus le dit lui-même que cette mission universelle de toucher toutes les nations ne pourra s’accomplir que par sa présence, la présence de son Esprit qu’il va bientôt leur envoyer, une présence personnelle : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde ». Pour nous, c’est évidemment la question la plus importante. Qu’est-ce que cela veut dire qu’il est tous les jours avec nous jusqu’à la fin du monde ? Est-ce que cela veut dire simplement qu’on a une pensée sur Jésus qui nous habite ? Est-ce que cela veut dire qu’on a une vénération – j’allais dire – presque magique pour ses paroles, que la présence de Jésus à l’univers et à nous en particulier sera simplement l’existence du livre qui nous assimilerait à toutes les religions du livre ? Nous ne sommes pas une religion du livre, nous sommes une religion de la personne du Christ. Qu’est-ce que cela veut dire « être présent tous les jours » ? Cela veut dire qu’il existe des formes et des modalités de cette présence. Nous savons que Jésus est présent au monde non pas simplement par le souvenir de ce qu’il a vécu à Nazareth, à Jérusalem, en Galilée et en Judée. Il est présent au monde non pas simplement par un message écrit que l’on décortiquerait à l’infini. Il est présent au monde par une réalité humaine que tout le monde peut voir, toucher, entendre, avec qui tout le monde peut entrer en discussion et cette réalité humaine : son corps ecclésial.
La réalité de la présence du Christ ressuscité au monde, c’est nous, nous qui constituons son Église qu’il a instituée comme sacrement de sa présence, c’est-à-dire comme un signe visible, humain, intelligible humainement, de la réalité de la présence du Christ à l’histoire des hommes. C’est pourquoi la vie de l’Église dans le monde, pas simplement dans notre petite communauté ou dans notre petite région, mais la vie de l’Église dans le monde entier est un signe de la présence du Christ à l’humanité. C’est pourquoi les initiatives, les actions, les messages, les programmes par lesquels l’Église réalise cette présence au monde ont une telle importance parce qu’ils expriment dans un langage humainement compréhensible où et comment le Christ se manifeste à travers l’histoire des hommes. C’est pourquoi ces missions de l’Église sont tellement importantes, non seulement pour chacun des membres de l’Église, pour les chrétiens mais aussi pour tout le monde. Cela n’est pas indifférent si des chrétiens sont présents sur les fronts de la souffrance humaine. Cela n’est pas indifférent si des chrétiens sont présents auprès de ceux qui vivent une période difficile de leur vie. Cela n’est pas indifférent si l’Église est institutionnellement visible et présente dans cette expérience tout à fait exceptionnelle que représente l’accueil d’un enfant dans la vie d’un homme et d’une femme. Cela n’est pas indifférent de savoir que cet événement si décisif au cœur de chacune des familles est aussi un événement auquel le Christ est présent à travers le signe que constitue une maternité catholique où la référence à la personne du Christ n’est pas interdite mais au contraire souhaitée.
Mais la présence du Christ à travers son Église dans l’histoire des hommes possède aussi une visibilité plus particulière dans l’expérience de l’Eglise à travers la vie sacramentelle. Le corps ecclésial tout entier est sacrement du Christ pour le monde. Mais dans le corps ecclésial, la présence active du Christ est rendue perceptible par les actes sacramentels c’est-à-dire par des actes humains visibles, humainement palpables, audibles, que constituent les sacrements au cœur d’une maison chrétienne comme cette maternité, comme au cœur de toute communauté chrétienne. La présence sacramentelle eucharistique du Christ est le signe capital de cette présence active de Jésus tous les jours jusqu’à la fin du monde. C’est pourquoi l’autel sur lequel on célèbre l’eucharistie est considéré comme un signe visible de la présence active du Christ, comme un lieu et un signe de la présence de Jésus.
Rendons grâce à Dieu qui nous permet de vivre cette dimension sacramentelle de la présence du Christ et prions-le pour que cette présence se diffuse pour les familles, les femmes et les enfants qui viennent vivre ici l’accueil d’une vie nouvelle pour le monde. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois
Archevêque de Paris