Homélie du dimanche 24 janvier
Dimanche 24 janvier 2016
Troisième dimanche du temps ordinaire
Références bibliques :
Lecture du livre de Néhémie : 8. 1 à 10 : “Ce jour est consacré à notre Dieu ! la joie du Seigneur est votre rempart.”
Psaume 18 : “ Accueille les paroles de ma bouche, le murmure de mon coeur.”
Saint Paul. 1ère lettre aux Corinthiens : 12. 12 à 30 : “ Tous nous avons été désaltérés par l’Unique Esprit.”
Evangile selon saint Luc : 1. 1 à 4 : “ Les témoins oculaires qui sont devenus les serviteurs de la Parole.”
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Le choix des lectures de ce dimanche semble ne pas relever pas d’une logique rationnelle. Pourtant ce choix n’est pas arbitraire. Nous pouvons relier entre elles les lectures par la vision de l’Eglise, qui se dégage des trois textes, en particulier celui de saint Paul, en ce dimanche au cœur de la « Semaine de prière pour l’Unité des chrétiens ».
– Edification de la communauté juive au retour de l’exil, axée sur les paroles de la Loi.
– Unité de l’Esprit dans les différences non seulement entre chaque baptisé, mais aussi entre chaque Eglise qui donnent forme et vie « l’oikuménè » de Dieu :” Ceux que Dieu a placés dans l’Eglise”.
– Enfin les témoins de la Parole dont le Christ est “le prototype” à la synagogue de Nazareth car “l’Esprit repose sur Lui.”
Ce dimanche nous invite à fêter la Parole vivante issue du Livre dont la communauté accueille l’expression une et diverse selon le charisme et la vocation de chacun des fidèles.
LA LITURGIE DE LA PAROLE.
Le contexte historique.
Le livre de Néhémie nous place dans un des moments “fondateurs” du judaïsme. Néhémie est un laïc juif, échanson à la cour du roi de Perse au temps de l’exil. Il obtient une première mission officielle pour se rendre à Jérusalem. Nommé gouverneur de la région de Juda, il relève les murs de la ville, veille à la justice sociale entre les habitants et organise son repeuplement par le retour des exilés.
Dix ans plus tard, si l’on accepte une certaine chronologie, il revient et procède avec autorité au rétablissement du sabbat, au respect des lévites, à la réglementation cultuelle. Et c’est là que se situe l’épisode que la liturgie de ce dimanche relate. Au terme d’un travail dont Esdras est la cheville ouvrière, les traditions orales sont recueillies et transmises par écrit pour qu’elles ne se perdent pas comme ce fut le risque au cours de l’exil.
Esdras est “un scribe versé dans la Loi de Moïse” (Esdras 7. 1 à 5), “interprète des commandements de Yahvé et de ses lois concernant Israël” (Esdras 7. 10 et 11). Il était d’ailleurs secrétaire pour les affaires juives à la cour du roi de Perse. La lecture solennelle de la Loi qu’il introduit dans la communauté, prend le relais des “ Tables de la Loi” qui ont été détruites. Pendant l’exil, les Juifs dispersés se sont regroupés non plus au Temple, centre de leur ancien petit royaume, mais dans des synagogues pour rester fidèles à la Parole de Dieu reçue au Sinaï et transmise par Moïse et ses successeurs.
Le sens de cette liturgie.
Le fait de lire selon un certain rituel confère au Livre de la Parole de Dieu une valeur symbolique. Le Livre de l’Exode et le Livre des Nombres rattachaient toute la constitution du Peuple d’Israël à la révélation sur le Sinaï. Esdras constitue le Peuple Juif également autour de la Parole de Dieu, non pas nouvelle, mais permanente.
Comme Moïse a présenté les tables du Décalogue, nous retrouvons ici une présentation du Livre, une mise en valeur du lecteur, un accueil préalable par la prière qui est bénédiction du Seigneur et enfin une attitude spirituelle et corporelle (“amen”, debout, prosterné) du peuple qui écoute et ratifie.
LA LITURGIE DE NAZARETH.
Le début de l’évangile selon saint Luc explique ses motivations. L’épisode de Nazareth situe les paroles de Jésus dans ce cadre, avec une insistance particulière sur la puissance de l’Esprit qui est en oeuvre.
Le livre ancien que le Christ reçoit pour faire la lecture du prophète Isaïe a été écrit pour être lu à l’office synagogal. Il a été écrit jadis. Et Jésus le referme. Le livre neuf que saint Luc vient d’écrire est destiné lui aussi à être “lu” dans l’Eglise, par ceux qui sont devenus les serviteurs de la Parole. Luc ne veut ni réaliser une oeuvre littéraire, ni rédiger une histoire chronologique, même si les premiers chapitres comportent des repères qui attestent cet aspect de l’oeuvre. Sa visée est d’affermir la foi.
Saint Jean dira de même au terme de son évangile. Il a écrit “pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour que, en croyant, vous ayez la vie en son nom.” (Jean 20. 31)
Les premiers versets de saint Luc nous donnent les signes distinctifs des apôtres et de ceux qu’ils associent à leur tâche. Quand il faudra remplacer Judas, Pierre cherchera parmi ceux qui les “ont accompagnés durant tout le temps où le Seigneur Jésus a marché à leur tête” (Actes 1. 21), parce que la tâche de l’apôtre est d’être le témoin de la Résurrection et le messager de la Parole. Les premiers chapitres des Actes nous montrent d’ailleurs les apôtres prêchant, enseignant, expliquant, appelant à la conversion. (Actes 4. 29 à 31)
C’est à sa manière ce que saint Paul rappelle aux Corinthiens, chacun, selon sa vocation spécifique, annonce l’Evangile. Pour lui, comme pour les rédacteurs des quatre évangiles, les écrits ne sont pas des “outils” de propagande, mais plutôt des éveilleurs de la foi, des soutiens de la catéchèse.
AGIR DANS IMPRÉGNÉS PAR LA FOI
C’est le terme de catéchèse qui est utilisé ici : “catéchètès”, non pas avec la précision technique qu’il a maintenant, mais au sens “tu as reçu”. (Luc. 1. 4), la transmission présente d’un enseignement. Dans le prologue des Actes, saint Luc dira : “ce que Jésus a commencé à faire et à enseigner”, “poïev kai didaskeiv”. (Actes 1. 1)
L’Evangile n’est pas d’abord dans l’écriture, mais dans “l’agir” de Dieu qui ressuscite Jésus comme Christ et Seigneur et, par Lui, nous donne l’Esprit-Saint. Certes cet agir de Dieu s’est inscrit dans l’histoire. Mais il n’appartient pas qu’au seul passé. Cet agir est présentement. Quand la Parole est annoncée et que les sacrements sont célébrés, l’Esprit nous communique aujourd’hui la vie du Christ, la vie du Fils, la vie de fils.
Quand l’Ecriture est lue, plus encore quand elle est proclamée en Eglise, les événements de la vie de Jésus prennent pour nous leur pleine actualité. Ils sont actuels. Ils s’accomplissent pour nous qui sommes son corps. (Saint Paul aux Corinthiens)
Jésus le dit à Nazareth. Après avoir replié le rouleau du prophète de l’Ancien Testament, nous pouvons entendre en vérité la Parole du Christ dans le Nouveau Testament. “Cette parole de l’Ecriture que vous venez d’entendre, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit.” (Luc 1. 21)
LA PORTEE DE L’EVANGILE DE LUC.
L’introduction que saint Luc a jugé utile d’inscrire dès les premières lignes de son évangile, peut être aussi l’objet d’une réflexion sur la place de l’Ecriture dans l’Eglise actuelle, tout particulièrement en cette semaine de l’Unité.
Saint Luc ne mentionne pas son propre nom, mais, depuis toujours la tradition des premiers écrivains chrétiens lui attribue le troisième évangile et les Actes des Apôtres. Il est nommé trois fois parmi les collaborateurs de saint Paul, l’apôtre des païens. (Colossiens 4. 14 – 2ème à Timothée 4. 11 – Lettre à Philémon 25). Il est grec et la langue grecque est sa langue maternelle. Il est dans la situation de tout païen du monde hellénique, qui n’avaient pas la possibilité de rencontrer des témoins directs du ministère de Jésus.
Les chrétiens d’origine juive qui habitaient en Palestine pouvaient le faire auprès des auditeurs de Jésus en Judée ou Galilée. Il s’adresse à Théophile, “un ami de Dieu” et lui précise qu’il n’est pas un apôtre, qu’il n’est même pas un témoin immédiat. Pourtant son oeuvre est “apostolique” par la source principale qu’il cite : ceux qui, dès le début, furent témoins oculaires et sont devenus serviteurs de la Parole. Il le fait avec rigueur, avec soin (Luc 1. 3)
Nous voyons qu’entre ces témoins privilégiés et lui-même, une activité, que nous appellerions “littéraire”, avait commencé de se déployer. Les mots employés ne permettent pas de préjuger de la nature orale ou écrite de chacun de ces documents. Fait-il référence aux autres évangiles que nous connaissons, dans leur état actuel ou dans leur état antérieur ? Fait-il référence à d’autres textes que nous ignorons aujourd’hui parce qu’ils n’ont pas été retenus par l’Eglise comme inspirés ?
Il est impossible de le dire. En tout cas, il a rencontré les témoins. Il suggère même un témoin privilégié :”Marie retenait avec toutes ces choses en son coeur.” (Luc 2. 19)
Saint Luc témoigne ainsi de cet entredeux qui trouble souvent le chrétien aujourd’hui : que s’est-il passé entre les événements et la rédaction des évangiles tels que nous les possédons ? Thème que les médias contemporains aiment à remettre à l’ordre du jour.
Luc ne prétend pas avoir reçu la révélation directe de ce qu’il devait mettre par écrit et de la manière dont il devait composer son oeuvre. Il a mené une enquête d’une rigoureuse authenticité. Il a choisi les faits et gestes du Christ significatifs de la révélation divine et non pas pour le pittoresque anecdotique. ”Pour que tu te rendes bien compte de la solidité des paroles que tu as reçues.” (Luc 1. 4) Il prend ses responsabilités par rapport au choix qu’il fait et nous donne le sens de sa liberté. Il insiste sur le sérieux de son travail.
La Bible a Dieu pour auteur, ce qui n’empêche pas chaque auteur sacré d’agir aussi en véritable auteur.
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C’est à l’homme d’entendre ce que Dieu lui inspire dans la Parole qui est lue ou entendue. “Accueille les paroles de ma bouche, le murmure de mon coeur.” (Psaume 18) C’est aussi à cet homme de parler et de révéler ce qui le fait vivre. Jésus nous le dit à Nazareth; saint Luc nous le suggère dans son introduction.