« L’Amazonie, un enjeu pour la planète et pour l’Église »

Prêtre de la Communauté Mission de France, Serge Baqué, psychologue, vit à Saint-Laurent du Maroni (Guyane). Après six ans au service de l’Aide sociale à l’enfance, il œuvre depuis trois ans en milieu scolaire. L’essentiel de son ministère s’exerce en lien étroit avec les populations amérindiennes et bushinenguées. Il revient sur les enjeux du synode pour l’Amazonie, qui se tiendra à Rome du 6 au 27 octobre. Entretien. Par Florence de Maistre.

Qu’est-ce qui caractérise vos liens avec l’Église locale ?

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Je célèbre régulièrement le dimanche et anime un groupe de lecture biblique. Mgr Emmanuel Lafont, évêque de Cayenne, souhaitait un prêtre de la Communauté Mission de France pour présenter un autre type de figure sacerdotale que celle du prêtre diocésain. La paroisse englobe plusieurs villages amérindiens avec lesquels j’ai des liens forts. J’ai choisi de vivre au sein du principal quartier bushi-nengué (descendants des esclaves, les Noirs marrons) de Saint-Laurent du Maroni à la Charbonnière. J’ai des liens très fraternels avec la communauté des Frères de Écoles Chrétiennes, nous partageons la même sensibilité missionnaire.

Comment avez-vous réagi à l’annonce de l’ouverture du synode pour l’Amazonie ?

L'évêque avec João.Photo João GutembergCette initiative est une très belle surprise ! Ce pape ne manque ni d’audace ni d’intuition ! L’Amazonie est aujourd’hui une région emblématique des défis que doivent affronter nos sociétés. Celui d’un nouveau modèle de développement respectueux de l’environnement comme seule alternative à notre survie. “Vois, j’ai mis devant toi la vie et la mort pour toi et tes descendants. Choisis la vie” (Dt. 30, 19). Jamais peut-être cette injonction n’a été aussi vraie. Les croyants doivent contribuer à faire retentir cette parole qui transcendent nos appartenances nationales ou religieuses tout en prenant conscience de la complexité du défi et de ses interdépendances. Les incendies qui ravagent actuellement la forêt amazonienne sont en partie liés à une politique d’extension des terres agricoles. Or nous continuons à importer du soja brésilien pour nourrir à peu de frais notre bétail…

Quels sont les autres grands défis ?

La préservation de la diversité des communautés humaines et la prise de conscience des valeurs portées par les sociétés traditionnelles. C’est un des aspects auquel je suis le plus sensible du fait de ma proximité avec les peuples amérindiens. Nous assistons à une disparition rapide de la biodiversité culturelle et donc à une “babélisation” du monde. Il n’y aura bientôt plus d’Amérindiens, de Pygmées, de Touaregs, d’Inuits, ni de Papous, etc., du fait de la destruction de leur environnement naturel et de la mondialisation de notre mode de vie occidental qui a pris le relais de la colonisation. Je crois que la violence avec laquelle nous traitons notre planète et ses peuples est le signe d’un dérèglement, d’une perversion de notre système et de nos valeurs qui conduira aussi à notre propre disparition. La lutte contre les inégalités qui s’accroissent est également un défi, ici comme ailleurs. Enfin, un nouveau modèle missionnaire vis-à-vis des peuples autochtones d’Amazonie est à penser. Comment être porteurs d’une bonne nouvelle pour ces peuples et non une menace supplémentaire de déculturation et de mort ?

Quelle est, selon vous, l’attitude missionnaire la plus juste ?

Au sujet de la mission, les documents préparatoires du synode et ceux de la Mission de France disent des choses identiques ! Dieu nous a précédé. Il est déjà présent dans la spiritualité et la vie de ces peuples. Nous avons tout autant à nous convertir auprès d’eux qu’à les convertir. La mission, c’est d’abord se mettre au service de nos frères pour qu’ils vivent. Le respect doit être le maître-mot, y compris pour ceux qui ne veulent aucun contact avec nous. C’est une prise de distance salutaire avec les techniques missionnaires Evangélistes qui déferlent sur les pays d’Amérique du Sud. En ce sens, ce synode pose des questions fondamentales et interpelle l’Église Universelle. Et s’il tient toutes ses promesses, ce peut être un synode aussi important que le Concile Vatican II !

Que retenez-vous de l’assemblée pré-synodale des peuples autochtones et communautés locales de Guyane convoquée par Mgr Emmanuel Lafont début juillet ?

Photo João Gutemberg3L’humilité a caractérisé notre assemblée. Humilité vient d’humus, c’est à dire “terre”. Être humble ce n’est pas s’abaisser mais trouver sa juste place : en l’occurrence redécouvrir que nous ne sommes pas des êtres “hors-sol”, mais des êtres dépendants de l’eau, du soleil, de la forêt, de la terre ! Non pas au-dessus, mais parmi les autres vivants de cette planète. Humilité rime avec vérité : la vérité c’est que nous, croyants, n’avons pas été à l’origine ni à la pointe du combat pour l’écologie. Comme pour beaucoup d’autres causes, nous avons pris le train en marche. Quelle joie d’avoir entendu notre évêque reconnaître nos errements et demander pardon aux peuples autochtones de la manière dont nous les avons traités, puis de leur déclarer que nous avons besoin d’eux et de leurs valeurs pour sauver aujourd’hui notre humanité ! Humilité rime aussi avec réalisme : ces trois jours ont été des moments forts de rencontre et de partage en vérité et en fraternité, mais nous n’étions pas des milliers et la Guyane Française est un confetti au regard de l’immensité des autres pays amazoniens.

Qu’attendez-vous du synode ?

Au regard de tous ces enjeux, le synode Amazonien est une idée géniale du pape François ! Il pressent que ce qui se joue dans cette partie du monde représente un enjeu pour la planète et pour l’Église, invitée à se convertir au développement intégral selon ses mots. Il y a donc une intuition prophétique du pape à mettre cette région sous les feux des projecteurs ! Mais rien n’est gagné : de l’interpellation à la conversion, il y a un pas qui est souvent un abîme… J’ai aussi quelques réserves. J’aurais aimé, par exemple, que ce synode se déroule ici, en Amazonie. L’Église ne pouvait-elle pas faire l’effort de se décentrer géographiquement pour signifier son désir de se décentrer psychologiquement et spirituellement ? « Encore 40 jours et Ninive sera détruite ! » Aurons-nous la sagesse des habitants de Ninive qui se sont convertis et ont évité la catastrophe annoncée ? Ma foi aujourd’hui est peut-être moins dans la certitude que nous éviterons la catastrophe que dans l’espérance qu’elle engendrera un jour nouveau.

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