« Des œuvres de miséricorde qui doivent durer dans le temps » par Mgr Ballot

Mgr Philippe BALLOTEclairage de Mgr Philippe Ballot, archevêque de Chambéry, Maurienne et Tarentaise, sur l’importance des œuvres de Miséricorde corporelles et spirituelles dans le cadre du Jubilé de la Miséricorde.

Dans la bulle d’indiction du jubilé extraordinaire de la miséricorde (N° 15), le pape François rappelle l’importance des œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles. En les énonçant il attire l’attention de tout chrétien sur le contenu de la démarche jubilaire qui doit se traduire par des changements de comportement. Par les œuvres de miséricorde, chacun inscrit concrètement, dans sa vie, cette miséricorde; il la rend visible, palpable en quelque sorte. On « touche » la miséricorde.
La conversion personnelle
Celui qui franchit l’une des portes saintes de la miséricorde signifie et symbolise la « conversion personnelle» qu ’il veut vivre. Cette conversion prend naissance dans la contemplation de Dieu miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour. En regardant Dieu dans son mystère de bonté, de bienveillance, d’amour, chacun est amené tout naturellement à se tourner vers son prochain et à l’aimer. On peut dire que les œuvres de miséricorde traduisent l’unité de cet amour orienté vers Dieu et vers les autres. Aimer Dieu et aimer son prochain, c’est tout un.
Mais ces œuvres de miséricorde ne peuvent pas être que ponctuelles, l’effort d’un moment. Il s’agit bien de changer et ce changement doit durer. Ce n’est pas une simple bonne action.
Auparavant le Pape cite « les périphéries existentielles » et « les situations de précarité et de souffrance » créées par le monde dans lequel nous évoluons. Il parle des blessures de ceux qui « n’ont plus de voix parce que leur cri s’est évanoui et s’est tu à cause de l’indifférence des peuples riches », cette indifférence mondialisée l’attriste au plus haut point. A l’indifférence doit se substituer l’attention et la solidarité. « Ne tombons pas dans l’indifférence qui humilie, dans l’habitude qui anesthésie l’âme et empêche de découvrir la nouveauté, dans le cynisme destructeur!» Devant tant de souffrances nous devons nous sentir appelés à entendre les cris de ceux qui les vivent.
Les œuvres de miséricorde
Le Pape exprime un désir, voir le peuple chrétien réfléchir aux œuvres de miséricorde. Il y voit l’occasion de « réveiller notre conscience souvent endormie face au drame de la pauvreté, et de pénétrer toujours davantage le cœur de l’évangile ». C’est dans la prédication de Jésus que nous découvrons ces œuvres de miséricorde.
Quelles sont-elles? Le Pape nomme sept œuvres de miséricorde corporelles : donner à manger aux affamés, donner à boire à ceux qui ont soif, vêtir ceux qui sont nus, accueillir les étrangers, assister les malades, visiter les prisonniers, ensevelir les morts. Puis sept œuvres de miséricorde spirituelles : conseiller ceux qui sont dans le doute, enseigner les ignorants, avertir les pécheurs, consoler les affligés, pardonner les offenses, supporter patiemment les personnes ennuyeuses, prier Dieu pour les vivants et les morts. Les œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles doivent être vécues ensemble, s’attirant et se fécondant mutuellement, les unes n’excluant pas les autres.
C’est sur ces œuvres que nous serons jugés à la fin de nos vies confirme le Pape. Aurons-nous donné à manger à qui a faim et à boire à qui a soif ? Aurons-nous accueilli l’étranger et vêtu celui qui était nu ? Aurons-nous pris le temps d’être auprès de celui qui est malade et prisonnier ? Aurons-nous aidé à sortir du doute qui engendre la peur et bien souvent la solitude ? Aurons-nous été capables de vaincre l’ignorance dans laquelle vivent des millions de personnes ?
C’est sur l’amour que nous serons jugés.
C’est à chacun maintenant, au cours de cette année sainte, de regarder avec lucidité et sérénité, avec courage et confiance, ce qu’il vit aujourd’hui, ce qu’il a vécu jusqu’à maintenant, ce qu’il est prêt à vivre demain.
Passons aux actes
Je souhaite que dans les paroisses, réseaux, services, mouvements et associations, communautés religieuses, monastères et abbayes… les pasteurs et les responsables aident tous les chrétiens à cette réflexion. Que celui qui a de l’argent se demande s’il a suffisamment partagé, s’il ne l’a pas dépensé de manière excessive. Celui qui est au contact du monde intellectuel et de la recherche a-t-il aidé à sortir du doute, à enseigner quand des erreurs ou l’ignorance orientaient des réflexions ou des choix ? Celui qui est au contact de personnes qui ont une responsabilité dans l’économie, l’industrie, le commerce, l’artisanat, l’agriculture ou dans les associations, qui a eu ou a encore des responsabilités politiques… a-t-il averti quand des choix ne respectaient pas l’être humain ? Pour chacun, y-a-t-il des situations où il n’a pas pardonné, où il a laissé dans l’ignorance, manquant de courage pour risquer une parole de croyant, quand sont abordés les sujets dits de société (mariage, développement, respect de la vie, respect de la nature…) ? Face à la situation de l’étranger, du migrant chacun doit se questionner sur les propos qu’il tient, sur les attitudes négatives et la ségrégation qu’il a pu parfois justifier, sur l’accueil qu’il a refusé alors qu’il a la possibilité de le faire. Quand je suis jeune, je peux être tenté de laisser les plus âgés avoir le souci des morts et des familles endeuillées sans me préoccuper si je peux faire partie d’une équipe de funérailles. Il y a les prisonniers dont je  aussi me préoccuper quand ils purgent leur peine puis sortent de prison, les malades que des jeunes peuvent visiter.
Toutes ces œuvres convergent dans le témoignage concret de l’amour préférentiel pour les pauvres, rappelé à de nombreuses reprises par le Pape qui cite le Bienheureux Paul VI dans sa lettre apostolique Octogesimo Adveniens de 1971 : « Les plus favorisés doivent renoncer à certains de leurs droits pour mettre avec plus de libéralité leurs biens au service des autres » (N° 23). Observons aussi que ce sont les quatre formes de pauvreté qui sont ainsi présentées dans ces quatorze œuvres de miséricorde : physique, culturelle, sociale et relationnelle, spirituelle. Elles nous interrogent sans cesse.
Mgr Philippe Ballot, archevêque de Chambéry, Maurienne et Tarentaise

 

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