« De la patience » par Fr. Rivero
Il en va de même dans nos relations avec Dieu. Le Seigneur prend la dernière place. Faisant preuve de patience, Jésus fait route avec nous. Petit à petit, Il nous conduit vers le haut en épousant notre rythme humain.
Il arrive souvent que l’homme se tourne vers Dieu pour lui reprocher sa lenteur, voire son inaction. Et pourtant « le Seigneur n’est pas en retard pour tenir sa promesse, comme le pensent certaines personnes ; c’est pour vous qu’il patiente : car il n’accepte pas d’en laisser quelques-uns se perdre ; mais il veut que tous aient le temps de se convertir » (Deuxième épître de saint Pierre 3, 9).
La patience est présentée par l’apôtre Paul comme un fruit de l’Esprit Saint (1). Le chrétien habité par l’Esprit de Jésus fait preuve de patience. Il compte sur Dieu quand il voudra et à la manière dont il voudra accomplir son action. La patience relève par conséquent de la grâce. Le fidèle unit sa volonté à la volonté de Dieu en se dépouillant de son ego pour laisser Dieu agir en lui.
Tertullien, théologien africain de Carthage, dès la fin du deuxième siècle a réfléchi sur la patience (2) du Fils de Dieu et celle des hommes. Jésus-Christ brille comme un modèle de patience. Sa patience trouve ses racines dans l’amour envers l’humanité. Patiemment le Fils de Dieu a grandi comme homme d’abord dans le sein de sa mère, Marie, ensuite à Nazareth sous le regard attentif de son père adoptif, Joseph. Il a reçu le baptême au milieu des pécheurs et pour eux. Avec patience, Jésus a fait resplendir le mystère de son Père tenu caché dès avant la fondation du monde. Humblement il a lavé les pieds de ses disciples. Au cours de sa Passion il n’a pas désiré la vengeance mais il est allé jusqu’au supplice de la croix. Mis au tombeau, il a attendu dans le néant de la mort la résurrection le troisième jour, œuvre de l’Esprit de son Père. Nul homme n’a fait montre d’une telle patience sur terre.
Impatience…
Il y a l’impatience des jeunes qui veulent tout, tout de suite. « Faisons des expériences, goûtons à tous les plaisirs ! », s’exclament certains. Cependant ne pas faire certaines expériences représente une expérience unique. Ceux qui touchent à tout ne pourront jamais savourer cette expérience de la non-expérience inutile ou nuisible. Il est des expériences qui rendent esclaves et malheureux.
Il y a l’impatience des personnes âgées. Ayant acquis des connaissances au cours de leur longue vie, les adultes risquent de sombrer dans la colère. Ils méprisent alors les jeunes qui à leurs yeux ne savent pas grand-chose : « Regardez comment ils écrivent. Ils ne connaissent pas l’orthographe ! »
Il y a l’impatience entre les générations. Une génération reproche à l’autre la cause des échecs et des dysfonctionnements sociaux voire ecclésiaux. Les jeunes pensent que leur malheur vient de leurs parents. Les aînés estiment que les nouvelles générations ne font pas ce qu’il faut pour s’en sortir. Dans l’Église, certains jeunes prêtres dénoncent la débandade des anciens, et des prêtres plus âgés regrettent la fermeture d’esprit et le retour en arrière chez de jeunes prêtres. Dans les familles, l’impatience fait irruption dans les relations entre mari et femme, entre enfants et parents. De plus en plus la famille devient un lieu de négociation permanente à propos du rôle, des droits et des devoirs de chacun.
Mgr Serge Miot, ancien archevêque de Port-au-Prince, victime du terrible séisme du 12 janvier 2010 en Haïti, conseillait aux frères dominicains qui cherchaient un terrain pour construire un couvent la triple vertu : « Patience, patience, patience ! » Il rappelait que Dieu accomplit ses desseins dans un temps qui paraît long : « Le peuple d’Israël guidé par Moïse a mis quarante ans pour entrer en Terre promise », nous disait-il.
Il y a aussi l’impatience de la victime qui cherche à se venger. Tertullien analyse les pensées de l’agresseur et de l’agressé. Il propose dans la lumière de la foi en Jésus de ne pas répondre à la violence par la violence. Le refus de la vengeance devient une victoire sur le désir de faire souffrir caché dans le cœur agressif : « Il est clair que si l’on t’offense, c’est pour que tu souffres, car la récompense de l’offenseur réside dans la souffrance de l’offensé. Par conséquent, quand tu lui supprimeras sa récompense en ne souffrant pas, c’est lui qui, automatiquement, souffrira d’avoir perdu sa récompense. Tu t’en retourneras alors, non seulement indemne (ce résultat, à lui seul, est déjà suffisant), mais en plus satisfait de la frustration de ton adversaire et vengé par sa souffrance. Tels sont l’avantage et le plaisir que procure la patience ! »
Comme un veilleur
Patience ne veut pas dire peur, inertie, refoulement, anesthésie ou attentisme.
Le chrétien attend l’heure du Christ comme un veilleur attend l’aurore les yeux ouverts, le cœur éveillé par la foi, sans baisser les bras dans la lutte contre le mal et le découragement. Patience active et aimante.
Il attend son Dieu fidèle !
Fr. Manuel Rivero, o.p.
Marseille, le 22 février 2012, Mercredi des cendres
1 Épître aux Galates 5, 22.
2 TERTULLIEN, De la patience, « Sources chrétiennes », n°310, Paris, Éditions du Cerf, 1984.
3 Idem.