Benoît XVI : « La politique doit être un engagement pour la justice »
« Pour le développement du droit et pour le développement de l’humanité, la prise de position des théologiens chrétiens contre les obligations de droit envers les divinités, a été cruciale. En se rangeant du côté de la philosophie, ils ont reconnu que la corrélation raison nature était une source juridique valable pour tous… Si jusqu’à l’époque des Lumières puis de la Déclaration des Droits de l’Homme…la question des fondements de la loi semblait claire, un dramatique changement de la situation est arrivé au cours du dernier demi siècle. L’idée du droit naturel est aujourd’hui considérée comme une doctrine catholique plutôt singulière, sur laquelle il ne vaudrait pas la peine de discuter en dehors du milieu catholique, de sorte qu’on a presque honte d’en mentionner même seulement le terme. Je voudrais brièvement indiquer comment cette situation s’est créée… Une conception positiviste de la nature, qui entend la nature de façon purement fonctionnelle…ne peut créer aucun pont entre l’Ethos et le droit. La même chose vaut aussi pour la raison dans une vision positiviste qui, chez beaucoup, est considérée comme l’unique vision scientifique. Dans cette vision, ce qui n’est pas vérifiable ou falsifiable ne rentre pas dans le domaine de la raison stricte… C’est là une situation dramatique, qui nous intéresse tous et sur laquelle une discussion publique est nécessaire. Le but essentiel de ce discours est d’inviter à ce débat ».
Le concept positiviste de nature et de raison, a-t-il poursuivi, comme « la vision positiviste du monde, est une partie importante de la connaissance et de la capacité humaine, à laquelle nous ne devons absolument pas renoncer… Là ou la raison positiviste s’estime comme la seule culture suffisante, reléguant toutes les autres réalités culturelles à l’état de sous-culture, elle réduit l’homme, et menace même son humanité. Je le dis justement à l’Europe, où de larges milieux cherchent à reconnaître seulement le positivisme comme culture commune et comme fondement commun pour la formation du droit, alors que toutes les autres convictions et les autres valeurs de notre culture sont reléguées au rang de sous-culture. Ainsi l’Europe se place-t-elle, face aux autres cultures, dans une condition de déficit culturel, tandis que des courants extrémistes et radicaux sont favorisés ». D’où l’urgence de rendre leur place à la nature et à la raison… Nous devons écouter le langage de la nature et y répondre avec cohérence… L’homme aussi possède une nature, qu’il doit respecter et qu’il ne peut manipuler à volonté… L’homme ne se crée pas lui-même, car il est esprit et volonté, mais aussi nature. Sa volonté est juste lorsqu’il écoute la nature et la respecte, quand il s’accepte lui-même pour ce qu’il est, et qu’il accepte qu’il ne s’est pas auto-créé. C’est alors seulement que se réalise la véritable liberté humaine ».
C’est là que le patrimoine culturel de l’Europe peut « nous venir en aide. Sur la base de la conviction de l’existence d’un Dieu créateur se sont développées l’idée des droits de l’homme, l’idée d’égalité de tous les hommes devant la loi, la connaissance de l’inviolabilité de la dignité humaine en chaque personne et la conscience de la responsabilité des hommes pour leur agir. Ces connaissances…constituent notre mémoire culturelle. Ignorer ou considérer celle-ci comme simple passé serait une amputation… La culture de l’Europe est née de la rencontre entre Jérusalem, Athènes et Rome, de la rencontre entre la foi dans le Dieu d’Israël, la raison philosophique de la Grèce et la pensée juridique de Rome. Cette triple rencontre forme l’identité profonde de l’Europe. Dans la conscience de la responsabilité de l’homme devant Dieu et dans la reconnaissance de la dignité inviolable de l’homme, de tout homme, cette rencontre a fixé des critères du droit, et les défendre est notre tâche en ce moment historique ».
Source : VIS du 22 septembre 2011