« Benoît XVI, 3ème pape pèlerin en Terre Sainte » : interview du père Patrick Desbois
Quels sont, à vos yeux, les enjeux du voyage du pape en Terre Sainte ?
Rappelons ensuite que le pèlerinage de Benoît XVI s’inscrit dans la tradition de ses prédécesseurs : en 2000 ans ce n’est que le 3ème voyage d’un pape en Terre Sainte.
Le premier fut celui du pape Paul VI en 1964, avant la reconnaissance officielle d’Israël par le Saint-Siège. On se souvient surtout que ce fut l’occasion d’une rencontre de réconciliation avec le Patriarche de Constantinople Athénagoras sur le Mont des Oliviers. Si ce séjour, presque confidentiel, fut mal vécu du côté des Israéliens et des Juifs puisqu’il n’y avait pas de reconnaissance officielle de l’Etat d’Israël, il n’en fut pas moins historique : c’était en effet la première fois qu’un pape se rendait en Terre Sainte.
Le deuxième pape fut Jean-Paul II. Tout était différent puisque les relations officielles étaient établies depuis 1993. Ce pèlerinage se situait dans le cadre du Jubilée de l’An 2000. Le pape souhaitait parcourir les principaux lieux de la « Géographie du Salut » : Irak, Sinaï, Jordanie, et Israël-Territoires palestiniens. Il ne put se rendre en Irak à cause de la guerre et célébra cette étape au Vatican. Il parcourut un à un chacun des autres lieux où Dieu avait « planté sa tente », insistant beaucoup sur l’unité de la géographie du Salut. En Terre Sainte, même si cela a été très dur à faire entendre, il s’agissait avant tout d’un pèlerinage mais aussi d’une démarche pastorale envers les communautés catholiques installées en Terre Sainte, et non d’une démarche politique.
Qu’est-ce qui distingue le pèlerinage de Benoît XVI de celui de Jean-Paul II ?
Parmi les étapes marquantes en 2000, on se souvient du grand rassemblement public en Galilée, de la visite d’un camp de réfugiés à côté de Bethleem, de la visite du Mémorial de Yad Vashem, de celle du Dôme du Rocher pour lequel il n’avait pas eu d’autorisation d’entrer. Chacun a en mémoire le mot glissé dans les fentes du Mur du Temple sur lequel était écrite la demande de pardon qu’il avait déjà lue dans la Basilique Saint Pierre quelques jours auparavant.
Le pape Benoît XVI reprend le même itinéraire. Ce qui diffère c’est qu’il reste beaucoup plus longtemps en Jordanie où il posera un geste fort vis-à-vis de l’Islam puisqu’il entrera dans une mosquée très connue. Il y manifestera son soutien aux communautés catholiques jordaniennes. Rappelons que le cœur aujourd’hui de l’Eglise patriarcale latine est en Jordanie : 95% des vocations presbytérales du patriarcat latin viennent de Jordanie. Le nouveau patriarche de Jérusalem, Mgr Fouad Twal, est ainsi jordanien. L’Eglise catholique jordanienne se réjouit de cette visite du pape : cela révèle son existence publique au Royaume de Jordanie et cela renforce sa stabilité.
En Israël, l’itinéraire chronologique du voyage qui suit la vie de Jésus est semblable à celui de Jean-Paul II. Benoît XVI restera un jour à Bethlehem comme son prédécesseur et visitera un camp de réfugiés palestiniens, différent pour des raison de sécurité de celui où s’était rendu ce dernier. Le pape confortera les chrétiens en Israël et dans les Territoires palestiniens alors que ces derniers ont énormément diminué en 10 ans.
Notons aussi les gestes forts voulus par le pape Benoît XVI : toutes les messes célébrées seront publiques et accessibles à tous, chrétiens de Terre Sainte et pèlerins. Il a d’ailleurs tenu à inviter personnellement dans la co-cathédrale de Jérusalem tous les prêtres et religieuses âgés ou handicapés qui ont travaillé toute leur vie en Terre Sainte et ont donné leur vie pour que l’Eglise puisse continuer son chemin dans cette région. Un geste extrêmement bien ressenti sur place.
Du côté juif ce qui diffère c’est que, depuis le pèlerinage de Jean-Paul II, des relations officielles entre le Saint-Siège et le Grand Rabbinat d’Israël se sont établies (1). Cela change considérablement la donne. La connotation religieuse juive de la visite du pape Benoît XVI est donc largement plus importante que celle du pape Jean-Paul II qui n’avait été reçu que 15 minutes au Grand Rabbinat en 2000. Il s’agira là d’une visite plus longue et significative, nourrie d’une connaissance mutuelle. La même chose au Mur des lamentations: en 2000 les rabbins avaient interdit toute présence rabbinique au Mur et le pape était seul avec un ministre.
Par ailleurs, à la différence de Jean-Paul II, qui ne s’était rendu qu’au Mémorial, le pape Benoît XVI se rendra également au Mémorial, mais visitera par ailleurs la Vallée des Communautés perdues. Certains prétendent que le pape ne visitera pas le musée lui-même, étant donné la photographie du Pape Pie XII et le contenu de son commentaire. Il n’en est rien ! Aucun officiel ne visite l’ensemble du musée pour des raisons évidentes de minutage.
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(1) : deux fois par an une commission constituées de cardinaux et d’archevêques et de grands rabbins se réunit sur des sujets purement théologiques et spirituels
Certains soulignent la dimension politique du voyage et regrettent qu’il intervienne quelques mois après la guerre à Gaza…
On essaie de politiser les voyages des papes en Terre Sainte à l’extrême alors que, s’il y a un voyage à dimension religieuse par excellence c’est bien celui du pape en Terre Sainte !
Je tiens à rappeler aussi que, contrairement à ce qu’ont pu dire certains médias en évoquant l’affaire Williamson qui aurait incité le Vatican à programmer ce voyage, et la guerre à Gaza, qui aurait motivé les Israéliens à recevoir le pape, ce voyage a été programmé de longue date : il été annoncé à la messe de Noël 2008 par Mgr Fouad Twal, nouveau patriarche de Jérusalem.
Quant à dire que c’est la pire période, rappelons qu’il y a eu des guerres, l’Intifada, des bombardements à Gaza, des attentats à Jérusalem… en ce moment il n’y a rien de tout ça.
Le pape fait un pèlerinage sur les lieux saints et suit la géographie du Salut. Il ne fait pas non plus un voyage de médiation politique. C’est pourquoi il ne va pas à Gaza, comme il ne va pas non plus à Haifa, à Ashkenon ou au Sud Liban.
J’invite à prendre un point de vue christique : si le Christ était aujourd’hui à la porte de Jérusalem, il serait évidemment déchiré par le fait qu’il aime les uns et les autres et qu’il sait qu’ils s’entre-déchirent. Le pape, comme tout chrétien qui aujourd’hui va en Terre Sainte, est traversé par cela.
Comment, en tant que chrétiens, pouvons-nous vivre ce pèlerinage ?
Tous sont aussi invités, s’ils se rendent ultérieurement en Terre Sainte, à aller en Jordanie et à reconnaître ainsi l’un des cœurs vivants de l’Eglise patriarcale latine, à visiter les communautés catholiques en Israël et dans les territoires palestiniens isolées comme celles d’Aboud, Haifa, Beer Sheva, que personne ne va voir. Les catholiques là-bas ont besoin de savoir que les catholiques d’ici sont avec eux, au-delà du politique mais dans une démarche religieuse.