« 24 octobre 1989 : Le dernier grand du XXe siècle » par Michel Camdessus
Témoignage sur le pape Jean-Paul II de l’économiste Michel Camdessus, ancien directeur général du Fonds Monétaire International (FMI) de 1987 à 2000, Gouverneur honoraire de la Banque de France, à l’occasion d’une conférence intitulée « Eglises du monde en dialogue », à Espelette, le 26 août 2014.
Elu pape en 1978, Jean-Paul II a été béatifié le 1er mai 2011, canonisé le 27 avril 2014. Il est fêté le 22 octobre, date de son intronisation pontificale.
« Pardonnez-moi, je m’emporte, mais c’est parce que vous êtes un ami !… »
Et mon interlocuteur a un sourire auquel il serait difficile de résister…
Je crois maintenant bien le connaître. Je l’ai déjà rencontré à sa demande, il y a deux ans, mais aujourd’hui, c’est de Pologne qu’il veut me parler. Je suis seul cette fois avec lui dans sa grande bibliothèque. C’est le même homme, mais entretemps, depuis notre premier entretien en décembre 1987, le monde a changé. Cet homme est en train de renverser l’empire soviétique et de libérer ses satellites d’Europe de l’Est. Il le fait à mains nues, sans la moindre division, aurait dit Staline, avec ce haussement d’épaules qui est resté dans l’histoire. Je devrais être intimidé, coincé peut-être ; mais l’accueil est tel, fait d’ouverture, de chaleur, d’attention, d’attente confiante perceptible au premier contact, que l’on se sent comme hissé, de plain-pied avec lui. C’est ainsi que notre conversation, conclue dans cet échange vif, s’est engagée.
On l’a compris, l’homme que je rencontre, ce 24 octobre 1989, est le pape Jean-Paul II. Qu’ai-je donc fait pour qu’il s’emporte ? Revenons donc à notre première rencontre.
J’imagine que, pour la plupart des hommes, des rencontres entre le Vatican et le FMI relèvent de l’improbable. L’un s’occupe de ce qu’il tient pour le Royaume de Dieu et sa venue dès maintenant en ce monde, en appelant les hommes à agir en frères ; l’autre, de technique monétaire, prêchant « à temps et à contretemps » les grands équilibres et une gestion sage des économies. Ajoutons que le grand principe de laïcité des institutions publiques et le « rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » de Jésus de Nazareth font bon ménage. Comme chrétien -et qui plus est, ancien fonctionnaire français- j’ai une conception très claire de la laïcité des institutions et je veille à ce que, dans ce domaine comme dans d’autres, le FMI soit irréprochable. Je n’avais donc pas inscrit le Vatican à mon programme initial de rencontres à travers le monde. L’occasion m’en fut offerte par la publication par le Conseil pontifical « Justice et Paix », le 27 décembre 1986, d’un document formulant quelques reproches au comportement du Fonds et de ses agents (…)