Centre Teilhard de Chardin : “permettre les rencontres”
Nouveau lieu d’Église, d’accueil et de dialogue avec le monde scientifique, le Centre Teilhard de Chardin – sens et sciences en dialogue – vit sa première rentrée universitaire sur le campus du plateau de Saclay. Les propositions pour les jeunes, les chercheurs et les curieux sont déjà nombreuses. Rencontre avec le P. Dominique Degoul sj, directeur du Centre Teilhard de Chardin, aumônier d’HEC et de CentraleSupélec. Par Florence de Maistre.
Qu’est-ce qui caractérise le Centre Teilhard de Chardin ?
Le Centre Teilhard de Chardin est le lieu d’Église situé sur le plateau de Saclay du côté de Gif-sur-Yvette dans l’Essonne. Il y a là, trois grands pôles universitaires. HEC a une chapelle historique. Polytechnique dispose aussi d’une chapelle, mais l’école dépend de l’aumônerie militaire et du diocèse aux armées. Elle a été rejointe par quatre autres grandes écoles d’ingénieurs. Supélec se trouve sur le troisième côté du plateau. Il y a trente ans, elle était au milieu des champs ! Il s’agit maintenant de CentraleSupélec, avec à ses côtés AgroParisTech, l’École Normale Paris-Saclay et plusieurs autres facultés et instituts universitaires. D’une école, le site est devenu une véritable petite ville ! L’Église a décidé d’y implanter un lieu à la fois pastoral pour le monde étudiant, ouvert aux familles qui habitent là, et un lieu de mise en dialogue du monde scientifique et de l’Église.
Quelles sont les propositions du Centre ?
Côté pastoral, il y a quatre messes par semaine. Celle du dimanche rassemble tous les chrétiens. Les autres, bien entendu ouvertes à tous, sont animées par les communautés chrétiennes étudiantes. Nous proposons ensuite une série de conférences sur le rythme d’une par mois. La première, ce 21 septembre, a abordé “L’évolution du travail humain à l’heure de l’intelligence artificielle”. D’autres thèmes sont prévus, sur la pensée de Teilhard de Chardin, sur la confiance en la parole scientifique, etc. Le 5 octobre, la soirée portera sur la lumière et croisera les regards d’une artiste, d’un théologien et d’un astrophysicien. L’originalité de nos propositions est de mêler ainsi à chaque fois le regard d’un spécialiste, d’un philosophe ou d’un acteur des sciences humaines et sociales et d’un théologien. Les conférences sont pilotées par notre conseil scientifique [Éric Charmetant, Étienne Klein, Dominique Lambert, Thierry Magnin, Inès Safi, Philippe Trouchaud], proposées en présentiel ou en distanciel.
Enfin, nos activités sont portées par quatre groupes de travail et de réflexion. Celui sur l’intelligence artificielle est piloté par Bertrand Thirion, chercheur à l’Inria. Le groupe partage questions de fond, lectures et synthèses. Un article devrait être prochainement publié sur ce qui distingue l’intelligence humaine et l’intelligence mécanique. Un deuxième groupe s’intéresse à l’écologie intégrale. Il a publié l’an dernier l’ouvrage Vivre en écosystème étendu aux éditions Médiaspaul qui explique et développe cette notion, avec un regard synthétique qui va du terrain au global et du matériel au spirituel. La conclusion du Fr. Benoît Dubigeon ofm, est très belle. Il évoque saint Bonaventure, on ne se refait pas ! Nous avons aussi un groupe de réflexion qui étudie et approfondit la pensée de Pierre Teilhard de Chardin et un autre sur les liens entre science et entreprise.
Comment ce projet est-il né ?
Au départ, il s’agit d’une initiative Mgr Michel Dubost, alors évêque d’Évry. Il nous a appelés à réfléchir avec lui, puisque nous étions déjà aumôniers, présents sur place auprès des étudiants, et de longue date en lien avec le monde scientifique. Il y a donc une première alliance entre le diocèse d’Évry et la Compagnie de Jésus. Et puis, avec le projet de construction du bâtiment de 1600m2, un nouvel appel a été lancé à toute la province ecclésiale : les diocèses de Paris, Nanterre et Versailles ont répondu présents. Pour conduire la démarche, une équipe d’économes diocésains avec celui de la province jésuite a été solidement constituée. L’ensemble du travail juridique et financier s’est fait de manière efficace. Une campagne commune d’appel aux dons, avec un partage des fichiers, a été menée dans une vraie confiance. Aujourd’hui, l’animation du Centre nous est confiée. Nous sommes trois jésuites à résider sur place et douze étudiants vivent en colocation dans deux maisonnées adaptées sur le toit du Centre. Nous allons voir comment les partenariats se poursuivent et avec quelle dynamique pastorale et spirituelle. Il faut noter également que la genèse du Centre s’inscrit en lien et en complémentarité des propositions du Collège des Bernardins, du Centre Sèvres et de l’Institut catholique de Paris.
Face à un défi ouvert, il est assez facile de se retrouver et d’œuvrer ensemble
Que disent ces collaborations de l’Église ?
Un des économes disait : on a tous le même bon Dieu ! C’est assez beau, je crois, et cela a été rappelé par Mgr Laurent Ulrich, archevêque de Paris, le jour de la consécration de l’autel de la chapelle, en présence du Provincial des jésuites, de l’évêque d’Évry et de celui de Versailles, le 4 juin dernier : l’enjeu du dialogue avec le monde scientifique évite le risque de la division en Église, les sujets ne sont pas prétextes à des disputes doctrinaires. Par exemple, même après réflexion et en ayant participé au groupe de travail sur l’intelligence artificielle, je reste fasciné et terrorisé. Mais porter un jugement moral pertinent est très difficile. D’ailleurs aucun évêque n’a eu la témérité de se prononcer sur cette technique-là. Face à un défi ouvert, il est assez facile de se retrouver et d’œuvrer ensemble. Pour moi, comme jésuite, je vois une belle preuve de confiance réciproque au service de ce défi : nouer le dialogue avec le monde scientifique. Pour nous, cela relève aussi d’une longue tradition. Il y a peu, des astéroïdes ont pris le nom de jésuites ! Et l’on rejoint le choix du nom du Centre : Teilhard de Chardin !
Qu’est-ce qui vous touche chez ce jésuite, chercheur, paléontologue, théologien et philosophe (1881-1955) ?
C’est l’homme qui le premier a proposé une synthèse assez magistrale entre l’histoire du monde telle qu’on la raconte et la foi. Après une longue période de résistance par rapport aux théories l’évolution, Darwin et le Big bang, qui remettent en cause l’exactitude de la Genèse, l’Église a dû repenser l’histoire du monde et la présence de Dieu. Si le premier homme et la première femme n’ont pas vraiment existé et ne nous ont pas entrainé dans leur chute, alors de quoi Jésus vient-il nous sauver ? Avec les Pères de l’Église, le P. Teilhard de Chardin donne une autre manière de dire Dieu à l’œuvre dans l’évolution du monde. Sans doute, son expérience mystique vécue dans les tranchées, le feu et l’acier de la première guerre mondiale fait que d’autres questions, celle du mal moral en particulier, lui échappent. Mais il apporte une voix très belle du côté d’un Dieu qui “fait les choses se faire” selon ses termes et qui a un dessein à long terme. Une magnifique exposition sur sa vie et son œuvre est présentée au sein du Centre.
Que retenez-vous des journées d’inauguration du Centre en juin dernier ?
La conférence d’ouverture “Quelles Lumières pour aujourd’hui ? Comment faire progresser l’idée de progrès ?” a été un temps vraiment fort. L’idée de progrès n’a de sens que s’il permet d’améliorer les conditions de vie et la morale. Depuis le XVIIIe siècle, nous avons beaucoup reçu entre augmentation des niveaux de vie et progrès matériel, mais qu’en est-il du point de vue moral quand aux XIXe et XXe siècle nous tombons dans l’horreur technique ou plutôt les techniques de l’horreur. Et puis Étienne Klein a souligné le glissement actuel, politique, du terme progrès pour celui d’innovation. Or ce dernier désigne initialement un avenant à un contrat, c’est-à-dire ce qu’il faut changer pour maintenir l’existant, pour que rien ne se dégrade trop. C’était un très bon moment, très stimulant ! Je retiens également le nombre et la diversité des personnes intéressées par notre projet lors de l’inauguration et aussi lors des dernières journées du patrimoine. Les chrétiens ont enfin un lieu pour se réunir, en cela le Centre résout une vraie question. Il rassemble aussi des scientifiques passionnés, des passionnés par la pensée de Teilhard de Chardin. Un ancien étudiant est revenu pour voir le bâtiment qu’il a vu se construire depuis sa chambre pendant le Covid. Il y a ici plein d’éléments qui convergent. Et pour moi un vrai défi : éviter d’être l’empereur d’Autriche-Hongrie ! Ne pas superviser ces réalités différentes au risque de simplement les juxtaposer, mais les rendre compatibles et permettre les rencontres.
Comment envisagez-vous votre mission ?
Je ne suis pas un homme de vision et j’avais peur de n’être pas celui de la situation. En revanche, je me réjouis de fédérer les différentes énergies. D’accueillir chacun avec son désir, voir comment l’orienter au mieux et rajouter un petite pierre, comme une petite fourmis, pour faire grandir le projet. Encore une fois, je suis frappé par le nombre de personnes venues aux journées d’inauguration et du patrimoine, qui s’interrogent sur le projet. Je ne sais pas ce qu’il en sera dans 10 ans. La pastorale et le dialogue avec les sciences seront toujours présents, car c’est notre ADN ! Mais sous quelle forme ? Aujourd’hui je suis confiant dans la somme des énergies que le projet suscite et j’en suis très heureux !
Une architecture conçue pour la rencontre
“Le bâtiment, il faut venir le voir pour le comprendre et écouter l’architecte, Jean-Marie Duthilleul, en parler !”, lance le P. Dominique Degoul sj, directeur du Centre Teilhard de Chardin. Au centre, se tient la chapelle : un cône à base d’ellipses, en briques de terre. C’est le seul élément architectural courbe de tout le Centre. Le cahier des charges imposait des angles droits et des parallélépipèdes rectangulaires pour l’implantation du bâtiment : un parti pris assez heurtant visuellement. Heureusement, les baies vitrées de la façade laissent apercevoir la forme et la chaleureuse tonalité de la chapelle. Le bois brûlé également en façade manifeste une attention à l’intégration du bâti dans son environnement entre ville et nature. Peu à peu, les visiteurs apprivoisent l’usage du site : le grand hall qui peut accueillir 120 personnes, les espaces de vie et de travail. Déjà les étudiants investissent le Centre et s’installent à l’heure du déjeuner. Une centaine d’entre eux est présente à la célébration eucharistique du dimanche.
Contact
https://centreteilharddechardin.fr
Présentation de l’ouvrage Vivre en écosystème étendu : https://www.youtube.com/watch?v=jHTrFSdo56s
Reportage de KTO sur l’inauguration du Centre : https://www.ktotv.com/video/00429622/reportage-du-8-juin-2023
Revoir la conférence inaugurale : Quelles Lumières pour aujourd’hui ? Peut-on faire progresser l’idée de progrès ?
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