L’aumônier militaire, un prêtre auprès des soldats
Jean-Yves Ducourneau, prêtre de la mission Saint-Vincent-de-Paul est aumônier militaire en poste à Saint-Maixent (Province de Poitiers). Pour les festivités du 14 juillet, il recevra de la Grande Chancellerie la Croix de la Légion d’honneur. Après 32 ans de carrière dans l’Armée, le « Padre » quittera son poste d’aumônier militaire pour s’engager dans la réserve citoyenne. Il revient sur ces années d’engagement passées auprès des troupes militaires françaises.
Père, comment est née votre vocation sacerdotale ? Pourquoi vous êtes-vous engagé en tant qu’aumônier militaire ?
J’ai commencé très jeune dans le milieu militaire, dès l’âge de 14 ans, en tant qu’enfant de troupes puis sous-officier. Mon premier théâtre d’opérations à l’étranger était à Djibouti où je suis resté une année. J’ai réfléchi, au cours de ce séjour, d’un point de vue humaniste sur le sens de la vie et la pauvreté. Ce moment de réflexion m’a permis devenir prêtre en 1994 au sein de la Congrégation de la mission (Lazaristes).
Mes expériences d’aumônier de prisons et de bénévole auprès de l’Association d’aide aux Gens de la Rue « Aux Captifs, la Libération » m’ont permis de comprendre que la misère n’a pas de frontières. Il n’y a qu’un seul médecin de l’âme, le Christ. Je rejoins l’aumônerie militaire en septembre 1996. Je suis alors parti en opérations extérieures à l’étranger (Opex), sur plusieurs lieux de conflits où est présente l’Armée Française : au Tchad, en Macédoine, au Liban, au Kosovo, en Côte d’Ivoire, au Darfour, en Centrafrique et deux fois en Afghanistan.
Quelle est votre mission actuelle ?
Je suis à Saint-Maixent l’Ecole (Deux-Sèvres) à l’Ecole Nationale des Sous-Officiers d’Active (Ensoa). Je suis disponible pour les élèves et les promotions extérieures. Je ne partirai plus en Opex. Après plus de 32 ans d’armée, je vais m’engager dans la réserve citoyenne pour vivre une autre mission. Je termine mon temps à l’aumônerie militaire cet été.
Comment participez-vous aux festivités du 14 juillet cette année ?
Cette année, la Fête Nationale revêt un caractère particulier puisqu’on m’octroie la Croix de la Légion d’honneur. La République reconnait les services rendus par un prêtre de l’institution militaire. C’est aussi un honneur pour le Diocèse aux Armées. Seuls quelques aumôniers ont déjà obtenu ce grade de chevalier de la Légion d’honneur. Dans le mémoire rédigé par la Grande Chancellerie, il est fait mention de mes écrits qui mettent en exergue le monde militaire. L’ouvrage, Les cloches sonnent aussi à Kaboul, itinéraire d’un soldat de Dieu (Editions les Béatitudes) m’a fait connaitre de la hiérarchie militaire. J’avais reçu le deuxième prix de la Légion d’honneur en 2012. Ce livre souligne l’accompagnement spirituel des soldats par des prêtres sur les terrains de guerre.
Comment définissez-vous la figure de l’aumônier militaire ?
Il est le conseiller spirituel du commandement. Le « Padre » est l’homme du « C » car il est à la fois christique, conseiller, confident, consolateur, confesseur, charitable et « communicateur du ciel ». L’Évangile de Luc : « Les deux disciples d’Emmaüs » et tout particulièrement cette phrase : » De quoi discutiez-vous en marchant? » résonne en moi. Jésus entre dans la difficulté avec ses hommes. Il n’a pas peur d’entrer dans leur histoire, de marcher avec eux pour les amener à quelque chose de plus grand, l’éveil de la foi. Cette phrase montre l’intérêt que Jésus porte à la vie quotidienne des hommes. Par incidence, le Padre « doit aller au contact » des militaires. Je prêche auprès des soldats pour leur ouvrir le cœur vers la spiritualité.
En quoi consiste la mission d’aumônier militaire ?
J’accompagne les soldats sur le terrain dans des missions difficiles et partage leur quotidien (Opex) mais j’assiste également les familles de défunts. J’aime beaucoup l’expression : « fraternité d’armes » même si elle est paradoxale. Comment pouvons-nous être frère si on a des armes ? Cette fraternité d’armes passe par des fraternités de larmes. Ma mission est que cette fraternité devienne une « fraternité d’âme ».
De plus, le lien avec les populations locales est très important en opérations extérieures. C’est une qualité de se décentrer du camp militaire pour aller aux « périphéries » environnantes. Nous sommes là pour construire quelque chose et « entrer en relation avec ». Par exemple au Liban avec la Princesse de Bourbon-Lobkowicz, ambassadrice honoraire de l’Ordre de Malte au Liban, nous œuvrons auprès de la population locale et les communautés religieuses locales comme les Filles de la Charité à travers des dons alimentaires, des quêtes ou des dons vestimentaires.
La fonction d’aumônier a-t-elle évolué en trente ans ?
Elle a évolué progressivement. Quand j’étais sous-officier, le « Padre » était au cœur du dispositif car il était seul et recevait une ordonnance. Aujourd’hui il doit se faire connaitre auprès des militaires. J’appelle tout le monde par son prénom pour créer une proximité avec eux. Cette proximité est appréciée car l’aumônier – par définition – est hors hiérarchie. Il n’a plus le grade de capitaine depuis la guerre d’Algérie pour ne pas être couper de la base. Si nous sommes hors hiérarchie, nous ne sommes pas hors discipline. Nous sommes aumôniers militaires et pas militaires aumôniers ! Certes, il faut savoir être sportif mais ce n’est pas notre but premier. A l’armée, l’habit fait justement le moine. Nous sommes habillés comme les soldats. L’aumônier n’est pas le Père du régiment mais il est un repère, il rappelle cette paternité divine et donne des repères humains et sociétaux.
Quelles difficultés avez-vous rencontré sur le terrain ?
Dire la messe dans des zones de guerre peut-être difficile. Parfois, j’étais menacé de mort et le commandement de l’armée me déconseillait de me rendre dans certaines zones risquées. Aller à la messe nécessitait parfois de prendre des véhicules blindés. Les militaires qui m’accompagnaient à l’office étaient tous volontaires. Il faut montrer que cette liberté peut-être à risques mais si je ne peux pas sortir de ma base, quelle est au final la crédibilité de ma mission ?
Comment gérer les longues missions ou la confrontation avec la mort lors d’opérations en théâtres extérieures ?
Il faut être équilibré dans sa vie pour pouvoir vivre pleinement la mission car nous sommes souvent isolés des communautés ou des bases. L’aumônier militaire catholique doit avoir un fort enracinement spirituel. On ne peut pas envoyer n’importe qui n’importe où. Le discernement est primordial. Nous devons être présents quand il faut, remonter le moral des troupes quand il y a en a besoin, savoir se mettre en retrait si nécessaire, savoir faire preuve de fraternité, être copain de sport…. Et bien sûr, faire corps avec les soldats et par extension avec les familles de militaires.
Après avoir rédigé plusieurs ouvrages sur le quotidien de la vie d’aumônier militaire sur des lieux de guerre et les différences facette de la mission, vous publierez prochainement Le Café du Padre (Edition Salvator), un livre sur l’importance d’accueillir l’autre et de se laisser accueillir. En quoi est-ce important de se laisser accueillir par un régiment en mission?
Quand je vais dans les bataillons et les compagnies, je dois me faire connaitre des militaires et me laisser accueillir. Je bois de nombreux cafés avec eux car c’est un prétexte de lien social ! Je souhaite mettre en exergue l’importance de l’accueil en Eglise. L’accueil de l’aumônerie militaire est quelque chose d’extraordinaire car nous avons un panel hétéroclite à l’image de la société française : des catholiques pratiquants, des agnostiques, des athées et des personnes d’autres confessions (musulmans)… C’est une grande richesse car je peux engager des discussions. Quand je prêche aux militaires, je ne fais pas de sermons de théologie. J’essaie de me mettre à leur portée. J’ai eu dans mon passé la joie de travailler avec des personnes en difficultés. J’ai la passion des âmes. C’est, pour moi, ce supplément d’âmes qui est au-dessus de la fraternité d’armes.
Pour aller plus loin
L’Autre Combat, Vers une reconstruction humaine des militaires blessés, des sans-abri, des prisonniers, preface de Mgr Luc Ravel, ancien évêque aux Armées françaises, éditions les Béatitudes.