Célébration des obsèques du Père Jean-Baptiste Sèbe

Célébration des obsèques du Père Jean-Baptiste Sèbe à l’église Saint-Jean Romain le jeudi 27 septembre 2018 par Monseigneur Dominique Lebrun, archevêque de Rouen.

Mgr Dominique LebrunHomélie « Heureux … » Frères et sœurs, ce mot, ce mot répété a du mal à résonner dans mon cœur. Sans doute aussi dans le vôtre. Chers parents, chers frères et sœurs, chers amis de Jean-Baptiste, chers frères prêtres du diocèse, de ceux de Normandie et de bien au – delà, chers petits frères scouts, et petites sœurs guides, chers paroissiens, chers fidèles consacrés, chers collègues et étudiants, et surtout vous chers paroissiens, vous le savez, les béatitudes lui tenaient à cœur : « heureux !». Il disait que nous devrions les connaître sur le bout des doigts, par cœur.
« Heureux les pauvres de cœur, car le Royaume des cieux est à eux » (Mt 5, 3) ouvre cette litanie. Combien nous nous sentons pauvres en ces jours ! Nos « pourquoi » affluent même lorsque notre raison dit l’impossibilité de comprendre. A ces « pourquoi» succèdent parfois des interrogations plus profondes sur l’Évangile que le Père Jean-Baptiste Sebe a proclamé, sur la foi qu’il a professée et enseignée, sur Dieu Père, sur Dieu Sauveur, sur Dieu Esprit consolateur mais aussi sur la vie humaine si défaillante, si fragile, parfois si dramatique.
Cet après-midi, avec vous, je voudrais accueillir ma pauvreté, celle du psaume que nous avons chanté : « Je tends les mains vers toi, me voici devant toi comme une terre assoiffée» (Ps 142, 6) : Terre assoiffée ? Devant toi ? Mains tendues ? Terre assoiffée : Que signifie notre révolte ou du moins notre refus de nous résigner sinon que nos âmes sont « des terres assoiffées » ? Mon âme est assoiffée mais elle est une terre, terre aux ressources cachées, une terre faite pour porter la vie, pour produire du fruit. La douleur qui nous atteint est le cri d’une terre qui n’accepte pas d’être autre chose qu’une terre de vie, une terre pour de bons fruits.
Alors, pour être en vérité avec notre propre douleur, ne faut-il pas unir notre âme à toutes les terres en souffrance : terres proches que chacun peut-être, prêtre ou évêque compris , a pu piétiner ; terres lointaines dévastées ou délaissées ; terres pleine de ronces qui semblent indéfrichables. Dans la salle attenante à la sacristie, Jean-Baptiste et votre communauté ont voulu que soient accueillis des réfugiés souvent très jeunes, ayant fui leur terre desséchée.
Les bons fruits sont là, comme dans l’âme de tant d’entre vous que le ministère de Jean-Baptiste a arrosée. Hier soir, la veillée a rejoint le psalmiste : « Je me souviens des jours d’autrefois, je me redis toutes tes actions » (Ps 142, 5). Ce sont des premières pluies bienfaisantes, pas les dernières.
« Me voici devant toi comme une terre assoiffée » ! « Devant toi » ! Seigneur, tu vois notre pauvreté, notre désir de choisir la vie. Et tu nous éprouves ! Voudrais-tu abreuver nos âmes avec plus de vérité, plus de justice, plus de paix, comme une pluie généreuse, abondante ? Pour cela, Seigneur, donne-nous la foi de Saint-Paul, pas une foi de principe ou une foi orgueilleuse qui nous ferait meilleur, mais une foi qui comble et abreuve notre terre desséchée.
Notre terre est ravinée par toute sorte « de détresse, d’angoisse, de persécution, de faim, de dénuement, de danger, de glaive» (Rm 8, 35). « En tout cela, ose dire Paul, nous sommes les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés » (8, 37).
Déjà, nous sentons combien ne pas fuir et unir nos cœurs apaise et nous reconduit à la source, combien confesser nos fragilités fait couler cette source. Seigneur, fais-nous croire que ton Fils Jesus est vraiment descendu dans nos craquelures, nos failles, nos ravins, nos péchés, nos péchés jusqu’à la mort, pour y déposer l’amour vrai. Oui, en « tout cela »! Notre foi est «foi en JESUS» si personne n’est exclu du salut, en aucune circonstance, si personne ne peut désespérer, ni les vivants ni les morts : « J’en ai la certitude, dit saint Paul avec sa propre expérience, ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les principautés célestes, ni le présent, ni l’avenir, ni les Puissances, ni les hauteurs, ni les abîmes, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le CHRIST JESUS notre Seigneur » (Rm 8, 38). « Je tends les mains vers toi, me voici devant toi comme une terre assoiffée ».
Sur la croix Jésus, assoiffé, a les mains ouvertes, les bras étendus, devant toi, Père. A sa suite, tendons nos mains vers Dieu, son Père, notre Père.Il est l’amour et la miséricorde dont nous avons tant besoin, comme Jésus crucifié, et nous le sommes un peu ou beaucoup.
Par cet amour, et seulement par cet amour et avec la puissance de Dieu, Jésus est sorti vainqueur de la mort, de toute mort : « Le CHRIST JESUS est mort; bien plus, bien plus, il est ressuscité ! » (Rm 8, 34). Combien de mains se tendent en ces jours où la mort a pris un visage si terrifiant ? Combien de mains tendues vers Dieu ! Et, quand les mots manquent ou que notre cœur n’arrive plus à prier, dans son amour, Dieu nous donne des frères et des sœurs pour leur tendre nos mains, nos pauvres mains. Amis, la main qui se tend vers Dieu ou vers des frères et des sœurs, c’est la foi qui devient espérance du pauvre. « Heureux les pauvres de cœur, car le Royaume des cieux est à eux ». Tendre la main, c’est faire vivre la petite espérance que nous guettons à travers les larmes.
Cœur de pauvre, mains tendus d’espérance, aimés, sauvés par Jésus crucifié malgré nos limites et nos inconduites, déjà ressuscités à sa suite, nous pouvons alors continuer la litanie des béatitudes. Heureux… Nous pouvons même quand le Seigneur nous en fera la grâce, ranger nos questions comme on désarme, comme on range ses armes, pour recevoir ce mot heureux dans la simplicité et la tendresse de l’enfant qui pleure : « Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés » (Mt 5, 4). La litanie des béatitudes nous conduit alors jusqu’à l’extraordinaire promesse : « Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux » (5, 12). Promesse qui est plus que jamais, le chemin de vie qui s’ouvre encore pour Jean-Baptiste, par notre prière, notre foi, notre espérance.
Dominique Lebrun, Archevêque de Rouen

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