Les évêques de la Conférence épiscopale des Antilles à Rome
Dispersés sur plusieurs îles et territoires de la Caraïbe, ils ont bien du mal à se rencontrer ; pour pouvoir échanger entre eux, ils ont le plus souvent recours aux web-meetings: les évêques de la Conférence épiscopale des Antilles (AEC) se sont retrouvés ces jours-ci à Rome. Parmi eux, trois français : Mgr Emmanuel Lafont, évêque de Cayenne (Guyane française), Mgr David Macaire, archevêque de Saint-Pierre et Fort-de-France (Martinique) et Mgr Jean-Yves Riocreux, évêque de Basse-Terre (Guadeloupe). Romilda Ferrauto a recueilli les impressions des évêques français.
Au programme de leur séjour à Rome : une visite ad limina, du 15 au 21 avril, la première depuis 2008, suivie de l’assemblée plénière annuelle, tenue exceptionnellement dans la Ville éternelle. Au cœur de leurs réflexions : la jeunesse (d’autant qu’un grand rassemblement des jeunes est prévu au mois de juillet en Martinique) ; les vocations ; la famille ; les problèmes de justice dans des pays gangrénés par la corruption, le chômage, le trafic de drogue, et la violence. Au bout du compte, ils auront passé près de deux semaines ensemble et ils s’en réjouissent.
Ils ont trouvé à Rome « une écoute extrêmement attentive, chaleureuse et fraternelle ». Ils ont eu des échanges francs et ouverts dans plusieurs dicastères de la Curie et surtout avec le pape. Ils ont passé plus de deux heures avec lui : « Une rencontre exceptionnelle », affirme sans hésitation Mgr Lafont. « On a l’impression d’avoir été entendus et compris », ajoute Mgr Macaire qui repart avec « une plus grande confiance dans l’Église et des réponses à ses questions ». Le pape François n’a pas prononcé de discours, les cardinaux non plus ; ils ont répondu aux questions, proposé des pistes. « Aujourd’hui, il y a une nouvelle manière de vivre la visite ad limina », assure Mgr Lafont.
Le Saint-Père a encouragé les évêques de cette Conférence épiscopale très ancienne et unique en son genre, il leur a dit la confiance qu’il leur porte. Des évêques, qui se sentent souvent seuls, isolés, qui ont du mal à se retrouver entre eux en raison des contraintes géographiques, alors qu’ils ont la responsabilité de peuples confrontés à « des souffrances très profondes, à cause de la situation sociale, à cause de l’histoire mais aussi parfois à cause de l’Église », souligne Mgr Lafont. « Le pape, ajoute-t-il, nous a dit : c’est vous qui êtes sur le terrain et quelles que soient les règles et les orientations, c’est à vous de les adapter à ce que vivent les gens».
On a l’impression qu’on fait attention à nous
Fier d’avoir offert au pape François un tableau réalisé par une religieuse du Carmel de Guadeloupe (la photo est en première page de l’Osservatore romano, le journal du Vatican), Mgr Riocreux évoque avec joie et amusement la poignée de main énergique du pape François qui a qualifié leur conférence épiscopale de « macédoine ». « Il nous a laissés poser nos questions de manière très libre, raconte-t-il, le pape François prend le temps d’écouter ». Les évêques des Antilles ont rencontré un pape « plein d’humour », « qui casse les codes », « qui ne sait pas tout, et qui le dit avec humilité ».
« C’est un peu nouveau pour nous », constate Mgr Lafont. « On sent un homme d’autorité, un général de la Compagnie de Jésus », ajoute en souriant Mgr Macaire qui compare le pape François à un guide de haute montagne. « Si on a du mal à le suivre… c’est parce que le chemin est escarpé… Les pierres roulent sur le chemin…Du coup, son pontificat parait plus mouvementé… Certes, c’est moins rassurant ». Ce jeune évêque déclare avoir découvert la richesse humaine et la simplicité de la Curie. « Les échanges sont de très haut niveau, avec une grande expertise en humanité… Finalement, il y a peu de monde. Les équipes sont réduites. On arrive directement au sommet de la hiérarchie. … Il y a un petit peu de décor, mais pas tant que ça. On dit ce qu’on a à dire et voilà ».
Mgr Macaire avoue qu’il était venu aussi vérifier ses options pastorales. Or les défis sont énormes. En Martinique comme en Guyane, l’Église catholique est confrontée à la concurrence des évangéliques. « Nous avons abandonné le terrain de la mission », regrette Mgr Lafont, qui a engagé un effort pour inverser la tendance. « Les évangéliques s’engouffrent là où les catholiques ne sont pas. La quasi-totalité de leurs adeptes sont des gens qui ont quitté l’Église catholique », renchérit Mgr Macaire. « Il faut se demander pourquoi. Ils n’ont pas été soutenus comme il fallait par l’Église catholique et ils sont partis ».
Les règles volent en éclat
Autre souci partagé : la famille. Mgr Lafont évoque « les immenses déficits de vie familiale, le désarroi de beaucoup de femmes qui portent seules le fardeau et qui trouvent que dans l’Église on ne les accueille pas suffisamment ». L’archevêque de Fort-de-France rejoint son confrère de Cayenne quand il parle des « familles déstructurées qui ne tiennent pas la route….L’hédonisme occidental, la néo-colonisation idéologique qui détruit la famille, s’ajoutent à quelque chose qui existait déjà : les conséquences de l’esclavage qui n’a jamais construit la famille ». Pour lui l’accès aux sacrements des couples non-mariés qui fréquentent régulièrement l’Église est une vraie question.
Et puis il y a la situation des prêtres et des séminaristes : « Comment les écouter, s’interroge l’évêque de Cayenne, comment les aider, comment leur redonner le dynamisme de leur jeunesse ? Les conditions spirituelles ne sont pas faciles ». Parmi ses soucis pastoraux, Mgr Riocreux cite, quant à lui, l’inculturation, la liturgie, les traductions en créole, les problèmes sociaux et la violence permanente. « Trinidad, où les gangs font la loi, détient des records de mort violente…Partout, les gens partent, les français vers la métropole, les autres vers les États-Unis, la Grande Bretagne, le Canada ou ailleurs…. ».
Une histoire marquée par le colonialisme et l’esclavage
Malgré la diversité de leurs territoires, les évêques de cette région du monde partagent de nombreuses préoccupations, car, comme le souligne Mgr Lafont, plusieurs problèmes sont un héritage de l’histoire marquée par le colonialisme, la traite des noirs, l’extermination des indiens, les migrations, la mauvaise gouvernance. Ils se sentent tous concernés par le prochain Synode sur l’Amazonie, par les sujets qui y seront abordés : surtout la marginalisation des peuples autochtones et le réchauffement climatique. Les îles sont touchées par la montée des eaux mais aussi par la force des cyclones. Mgr Riocreux tient à rappeler à ceux qui l’auraient déjà oublié que Saint Martin et Saint-Barthélemy ont été dévastées, l’année dernière, par l’ouragan Irma.
Il faut rester dans le fleuve
Le pape leur a proposé une image qui les a tous frappés. Il a comparé l’Église à un fleuve où chacun peut nager là où il veut ; il y en a qui nagent un peu plus à droite, d’autres un peu plus à gauche ; tant qu’on est dedans on est dans l’Église. « C’est l’image d’une Église qui rassemble tous ceux qui veulent jouer le jeu », explique Mgr Lafont. « Une Église qui invite à accepter les différences ». Pour Mgr Macaire, l’image du fleuve « ça veut dire aussi qu’il y a des limites à ne pas franchir. Si le fleuve n’a pas de rives, il devient marécage »…« On est libre, mais on est quand même une Église. Il faut veiller à cette unité, sinon on se divise. La Curie et le pape sont là pour ça ». Mgr Macaire sait que ses pensées ne sont pas très œcuméniques quand il s’exclame : « Seigneur, merci de m’avoir fait catholique ».