Les quatre vivants
Fiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC) du mercredi 14 février.
Saluons la toute récente naissance dans la famille sans cesse recomposée de l’édition religieuse de Quatre Vivants. Une appellation tirée évidemment des visions d’Ezéchiel reprises dans l’Apocalypse, qui suffit à exprimer la volonté de cette nouvelle maison de se tourner vers les quatre points de l’horizon et de faire dialoguer l’Occident et l’Orient, Israël et les nations, le sacré et le profane. Quatre Vivants pourrait aussi bien
désigner les quatre frères bénédictins, Bertrand, Guillaume, Bernard et Étienne qui ont choisi de se lancer dans cette aventure éditoriale. Moines du Mesnil-Saint-Loup, ils ont de qui tenir, puisque le fondateur de leur monastère, le P. Emmanuel André, fut en son temps l’éditeur de la Revue des Églises d’Orient et entretenait une correspondance avec Soloviev et des liens étroits avec des prélats melkites. Hébraïsant, auteur d’un commentaire du Cantique des Cantiques qui fit l’objet d’une correspondance avec un rabbin de Bohème, il se passionna tout autant pour le judaïsme.
Depuis lors, à la faveur d’une rencontre en 1985 avec Anastasia Douroff (La Russie au creuset, Cerf), le monastère du Mesnil a noué de nombreux liens d’amitié avec la Russie et les pays de l’Est. C’est ainsi que par l’entremise d’un ami russe, les éditions des Quatre Vivants ont publié leur premier ouvrage dans la collection bien nommée « Gare de l’Est ». Il s’agit du récit autobiographique de Liliana Lounguine recueilli par Oleg Dorman intitulé Mot à mot. Une vie dans le siècle soviétique. Liliana Lounguine (1920-1997), juive agnostique, épouse du grand scénariste que fut Semion Lounguine, mère du cinéaste Pavel Lounguine (Taxi blues, L’Ile) a été l’amie d’écrivains soviétiques dont bon nombre ont été victimes de la terreur stalinienne.
Témoin de leur destin et gardienne de leur mémoire, elle raconte la vie de l’intelligentsia soviétique du XXe siècle et le combat qu’elle a mené sans jamais désespérer. Dans la même collection, les éditions des Quatre Vivants ont publié un ouvrage du grand écrivain albanais, Bashkim Shehu, Le jeu, la chute du ciel, que lui ont inspiré ses dix ans de prison comme détenu politique après que son père, numéro deux du Parti communiste ait été assassiné par le dictateur Enver Hoxha. C’est d’un roman qu’il s’agit, aux accents kafkaïens. Il raconte la descente aux enfers d’un condamné qui témoigne pour des milliers d’autres de ce que fut l’Albanie totalitaire. Faut-il ajouter que Bashim Shehu, né en 1955, a été découvert au début des années 1970 par Ismaïl Kadaré, qu’il a publié plusieurs livres en France dont L’Automne de la peur (Fayard, 1993) et qu’en 2015 il a reçu en Albanie le prix national de Littérature ?
Avec le livre du P. Cesare Giraudo, s.j., professeur émérite de l’Institut Pontifical Oriental de Rome, Confesser les péchés et confesser le Seigneur, les éditions des Quatre Vivants ont lancé une autre collection : « L’arbre de vie ». Ce premier livre en donne le ton. Nourri par la connaissance qu’a son auteur de la liturgie des Églises d’Orient comme de l’ancienne tradition de l’Église d’Occident, il fait découvrir à ses lecteurs la richesse d’un sacrement qui, s’il est confession des péchés, n’en est pas moins d’abord et fondamentalement confession du Dieu miséricordieux, comme le suggère le titre augustinien de cet ouvrage que sa concision et sa pédagogie rendent lumineux.
Les éditions des Quatre Vivants1 méritent d’autant plus notre attention qu’elles relèvent (pour l’instant) de l’artisanat et de l’autodiffusion. Mais tous ceux qui auront leurs livres en main en conviendront : ils sont d’une facture magnifique et d’une élégance devenue rare. Il faut féliciter les moines du Mesnil-Saint-Loup d’apporter tant de soin à leurs publications et d’honorer ainsi l’ « humanisme monastique » qu’ils veulent servir.
Robert Scholtus